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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Mutagenèse et CJUE : un arrêt aux conséquences incalculables

31 Août 2018 , Rédigé par Seppi Publié dans #CRISPR

Mutagenèse et CJUE : un arrêt aux conséquences incalculables

 

André Heitz*

 

 

 

 

La Confédération Paysanne et huit autres ont saisi le Conseil d'État pour obtenir l'abrogation de l'article de décret qui définit les « OGM » non soumis aux dispositions sur l'évaluation, les autorisations de dissémination, le suivi, la traçabilité et l'étiquetage, ainsi que des limitations (interdiction ou moratoire) des « variétés rendues tolérantes aux herbicides ». Le Conseil d'État a posé quatre questions préjudicielles à la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE), essentiellement sur l'interprétation de la Directive 2001/18/CE [...] du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement [...].

 

La CJUE a rendu son arrêt le 25 juillet 2018. En bref, et pour l'essentiel :

 

1. Les organismes produits par mutagenèse – quelle que soit la technique utilisée – sont des OGM (cela découle directement de la directive).

 

2. Seuls sont exclus du champ d'application de la directive – donc non soumis aux règles d'évaluation, etc. – les organismes issus de techniques de mutagenèse « qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps », en bref connues et appliquées en 2001, année de l'adoption de la directive ; en bref aussi, recourant à des rayonnements ou des substances chimiques mutagènes.

 

3. Les États membres sont libres de soumettre les organismes exclus aux obligations de la directive (évaluation, etc.) ou à d’autres obligations, « dans le respect du droit de l’Union, en particulier des règles relatives à la libre circulation des marchandises » (joli terrain de jeu pour juristes...).

 

Sauf improbables prise de conscience et courage politique, les variétés nouvelles issues de la mutagenèse dirigée ne pourront pas être cultivées en Europe, compte tenu de l'hystérie anti-OGM. Le risque est grand de voir se bloquer d'autres voies de l'amélioration des plantes exploitées depuis des décennies, comme l'hybridation interspécifique qui a donné naissance au triticale ou permis d'acquérir de précieuses résistances à des parasites ou maladies.

 

C'est un désastre tant pour l'agriculture et son amont (recherche-développement, amélioration des plantes, production de semences) et aval (industries agroalimentaires et économie générale), que pour l'environnement et la santé publique. Oubliez les variétés rendues résistantes à une maladie grâce à CRISPR/Cas9... ou lorgnez avec envie l'avantage compétitif des farmers nord-américains... Oubliez la lutte contre le gaspillage alimentaire grâce à des pommes ne brunissant pas quand elle sont coupées... et les pommes de terre produisant peu d'acrylamide, suspecté d'être cancérogène.

 

Cet arrêt de la CJUE est fort critiquable en droit. Leurs Honneurs de Luxembourg se sont notamment permis d'interpréter une disposition claire, dépourvue de toute ambiguïté, imprécision ou maladresse rédactionnelle en lui donnant une signification qu'elle n'a manifestement pas.

 

Mais ce sont les conséquences qui sont les plus inquiétantes, y compris les « effets hors-cible ». L'agriculture biologique doit à notre sens renoncer à tous les OGM, selon la définition élargie par la CJUE, y compris la plupart des variétés d'après 1950-1960 qui incorporent une mutation induite, qu'elle y ait été introduite spécifiquement ou qu'elle ait été héritée de leurs géniteurs.

 

Il y a des paysans qui feraient bien de se demander si leur syndicat défend leurs intérêts ou sert plutôt de supplétif à la contestation altermondialiste et anti-science. Et d'autres qui feraient bien de se réveiller. Le danger est grand que nos décideurs politiques et législatifs ne succombent à nouveau au « syndrome du meilleur élève de la classe » et aux appels des prêcheurs d'apocalypse.

 

_______________

 

* Ingénieur agronome, en retraite.

 

Cet article a été publié dans La France Agricole du 31 août 2018. Il vient en complément d'un éditorial qui vaut lecture.

 

 

 

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