Sécurité sanitaire des aliments en France, si on ne change pas, on va dans le mur !
Albert Amgar*
Le rapport (un de plus ?) de la Commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l’affaire Lactalis et d’étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d’information, de la production à la distribution, et l’effectivité des décisions publiques » devrait paraître ces jours-ci et je vous avais dressé un tableau de quelques mesures ici…
Par ailleurs, on peut lire quelques informations sur ces mesures dans le compte-rendu du SNISPV (Syndicat National des Inspecteurs en Santé Publique Vétérinaire) après sa rencontre le 24 juillet 2018 avec des conseillères du ministre de l’agriculture, et l’on en ressent comme un certain goût amer… une fin de cycle en quelque sorte… un chef d’œuvre en péril !
Des arbitrages seraient donc attendus sur la délégation et l'organisation des polices de la chaîne alimentaire, une redevance sanitaire, les contrôles officiels… mais, à la fin, comme chacun le sait, c’est le ministre de l’économie qui gagne…
Cela étant, pour mieux vous « éclairer », voici une note de service de la DGAL (DGAL/SDPRAT/2018-547) du 24 juillet 2018 qui a pour sujet les « Orientations stratégiques et priorités 2019 pour l'organisme DGAL »… tout un programme qui fait, comme dirait l’autre « pschitt »… après cela peut être un objectif…
Au niveau des rappels, cela donne ce qui suit avec malheureusement un certain nombre d’incantations… et un réveil tardif de l’« armée mexicaine » (DGAL, DGCCRF, DGS) qui se trouve être déjà sous pression…
Une réflexion interministérielle est engagée sur la répartition des compétences entre les différents services (DGAL, DGCCRF, DGS) et sur la coordination de nos actions respectives dans la gestion des alertes. Les services de l’État doivent impérativement assurer une gestion claire et sans faille des crises alimentaires et une bonne circulation de l'information, pour répondre aux attentes légitimes des consommateurs, des opérateurs commerciaux mais aussi de nos partenaires européens et étrangers. C'est la raison pour laquelle, à ma demande, nous avons entamé avec la DGS et la DGCCRF le réexamen du protocole de coopération signé en 2006 entre nos services.
Nous réviserons également à cette occasion le protocole interministériel de gestion des alertes.
Nous nous appuierons sur le rapport récent de la mission d'enquête parlementaire sur le dossier Lactalis pour nourrir ces réflexions. Par ailleurs, suite aux dysfonctionnements constatés lors des récentes crises, le CNC a rendu un avis sur l'efficacité des procédures de retrait / rappel et de l'information des consommateurs. Ses recommandations seront intégrées dans les travaux précités.
On se doute bien qu’il y aura in fine un site unique de rappel. Ce sera d’ailleurs le seul véritable résultat concret de la mission d’enquête parlementaire sur l’affaire Lactalis, mais que c’est à long à mettre en œuvre, alors qu’il y a urgence…
Pour mémoire, le nombre de rappels en 2018 a déjà dépassé celui de l’ensemble de l’année 2017 et de même qu’au niveau des notifications au RASFF de l’UE pour les produits d’origine France, le nombre de 2018 (137 notifications) au 28 juillet a également dépassé le nombre de notifications (133) pour toute l’année 2017…
Au niveau de l’inspection de la chaîne alimentaire (y compris des abattoirs), un constat de baisse… et des approximations…
Après plusieurs années de diminution du niveau de programmation et du nombre d'inspections dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments, la programmation et la réalisation 2017 sont en hausse ; de même, les taux de suites adaptées sont en nette progression depuis 2015. Il faut donc continuer dans cette voie en 2019, en maintenant un haut niveau de programmation et de réalisation des inspections, d'autant plus attendu dans le contexte de publication des résultats de contrôle (Alim'confiance). Une certaine défiance de nos concitoyens vis-à-vis du dispositif d'inspection est entretenue par les scandales médiatiques et crises sanitaires successifs (fipronil dans les œufs, lait infantile contaminé par des salmonelles), dont nous devons collectivement tirer les enseignements. Ainsi, des retours d'expérience sur ces deux événements seront réalisés par le Conseil National de l'Alimentation.
Le petit souci est que, selon les propres chiffres de la DGAL, le « nombre d'inspections dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments » n’est pas en hausse en 2017 ; il est même encore en baisse par rapport à 2016…
Pour mémoire, voici le nombre total d’inspections en sécurité des aliments en France depuis 2012, date charnière de la baisse inexorable de ces contrôles :
2012 : 86 239
2013 : 82 729
2014 : 78 000
2015 : 76 000
2016 : 55 000
2017 : 54 000
On va donc dans le mur, et par conséquent « Il faut donc continuer dans cette voie en 2019, en maintenant un haut niveau de programmation et de réalisation des inspections »…
Langue de bois, aveugle, j’hésite… comprenne qui pourra...
Quant à Alim'confiance, son utilité reste largement à démontrer – voir ce qu’il en est de la Saga Alim’confiance, ici.
Du coup, on peut comprendre la défiance des consommateurs : les problèmes des rappels, les inspections à la baisse, sans oublier l’information des consommateurs concernant certains risques alimentaires…
Ainsi, on découvre stupéfait dans ce texte de la DGAL :
Les cas de syndrome hémolytique et urémique (SHU) attribués récemment à la consommation de reblochon sont venus nous rappeler que les messages de prévention sanitaire sont peu ou pas connus du grand public. Vous rappellerez chaque fois que l'occasion vous en sera donnée, que le lait cru et les fromages au lait cru ne doivent pas être consommés par les personnes sensibles (jeunes enfants, femmes enceintes et personnes immunodéprimées).
Mais c’est à qui la faute si « les messages de prévention sanitaire sont peu ou pas connus du grand public » ?
Je suggère l’« armée mexicaine », qu’en pensez-vous ?
Pour mettre tout cela en perspective, il faut aussi indiquer que selon un article paru dans le BEH de janvier 2018 :
Les résultats indiquent que la morbi-mortalité attribuable aux maladies infectieuses d’origine alimentaire reste élevée en France, avec 1,28 à 2,23 millions de cas annuels, dont 15 800 à 21 200 hospitalisations et entre 232 et 358 décès. En France, les infections à norovirus, Campylobacter spp. et Salmonella spp. représentent la majorité des cas et des hospitalisations d’origine alimentaire. Les infections à Salmonella spp. et Listeria monocytogenes représentent la moitié des décès d’origine alimentaire.
La connaissance du poids absolu et du poids relatif des infections d’origine alimentaire est utile pour l’ensemble des acteurs (pouvoirs publics et opérateurs) intervenant dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments.
Je ne crois pas que les Orientations stratégiques et priorités 2019 pour l'organisme DGAL aient pris en compte ce conseil et qu’elle soient de nature à faire baisser ces « chiffres attribuables aux maladies infectieuses d’origine alimentaire » en France… sans oublier bien entendu le coût (fardeau) de ces maladies !
À suivre…
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* Albert Amgar a été pendant 21 ans le dirigeant d'une entreprise de services aux entreprises alimentaires ; il n'exerce plus aujourd'hui, car retraité. Au travers de son blog il nous a livré des informations dans le domaine de l’hygiène et de la sécurité des aliments. Désormais, je l'accueille avec plaisir.