Parlement Européen, glyphosate et Christopher Portier : amnésie ou encore un mensonge ?
L'activisme anti-glyphosate et en particulier les « Monsanto Papers » auront eu raison de la raison (à moins d'un salutaire sursaut) au Parlement Européen : en janvier dernier, celui-ci a décidé d'instituer une commission spéciale chargée d'examiner la procédure d'autorisation des pesticides dans l'UE (commission PEST).
Initiative en principe louable. En théorie, le mandat de la commission est d'évaluer :
la procédure d'autorisation des pesticides dans l'UE ;
les failles potentielles dans la manière dont les substances sont évaluées et approuvées scientifiquement ;
le rôle de la Commission européenne dans le renouvellement de l’autorisation du glyphosate ;
les éventuels conflits d'intérêts dans la procédure d'autorisation ; et
le rôle des agences de l'UE et la question de savoir si elles disposent d'un personnel et d'un financement suffisants pour remplir leurs obligations.
Dans leur « sagesse », les députés membres de la Commission ont élu à la présidence M. Éric Andrieu. Pour le pedigree de ce monsieur, on pourra relire notamment « Glyphosate en Europe : festival d'imbécillités » et « L'activisme anti-pesticides du député européen Éric Andrieu ». C'est comme si on confiait à Dracula les clés de la banque de sang...
Voici le point de vue exprimé par MM. Éric Andrieu et Marc Tarabella le 18 janvier 2018 (le jour où la Conférence des Présidents a acté le principe d'une commission) :
« "Cette Commission devra faire toute la lumière sur les Monsanto papers et évaluer les potentiels conflits d’intérêt entre l’industrie et les agences européennes" estiment les eurodéputés Marc Tarabella et Eric Andrieu [...]. "Elle nous permettra d’enquêter de manière approfondie sur les tenants et les aboutissants de cette affaire, d’établir les responsabilités de chacun, et de jeter les bases de nouvelles pratiques garantissant transparence et indépendance du processus décisionnel de l’Union." »
Mais c'est peut-être de la sagesse : à la présidence, son militantisme forcené est bridé (toutefois, il a probablement une grande influence sur l'organisation des travaux).
La commission a procédé le 7 juin 2018 à une audition sur « la procédure de l'UE d'autorisation des pesticides – opinion de l'EFSA sur les projets de rapports d'évaluation et classement de l'EChA des matières actives ».
Nous supposons que le Parlement publiera une transcription. Pour le moment, nous disposons d'une vidéo.
Au programme de l'audition, notamment... M. Christopher Portier ! En gros, chargé de donner des leçons d'évaluation toxicologique à d'éminents membres du personnel de l'EFSA, de l'EChA et à l'un des Conseillers Scientifiques Principaux de la Commission Européenne (excusez du peu : Sir Paul M. Nurse, prix Nobel de physiologie ou médecine en 2001) et de saborder les évaluations du glyphosate.
En outre, ce personnage a eu la possibilité de donner des leçons de déontologie et d'indépendance décisionnelle par rapport à l'« industrie », alors qu'il est affligé d'un énorme conflit d'intérêts de par ses activités : aux États-Unis d'Amérique au service d'une ONG anti-pesticides, l'Environmental Defense Fund, et de cabinets d'avocats prédateurs qui espèrent faire les poches de l'ex-Monsanto ; en Europe, au service d'ONG furieusement anti-pesticides (nombreux articles à ce sujet sur ce site).
Mais cette audition aura donné l'occasion à Mme Angélique Delahaye de lui poser une question précise.
On pourra l'écouter, ainsi que la réponse en interprétation simultanée, ici (en original, partir de 15/26:29 – ce texte est repris de l'interprétation) :
« Je ne peux pas répondre à cette question sans vous donner plus de détail... je suis consultant et je suis payé pour faire mon travail. Lors de cette réunion du CIRC il ne s'agissait pas d'un conflit d'intérêts car je ne touchais à cette époque-là que ma pension, et puis je travaillais un jour par semaine pour le Fond de Protection de l'Environnement sur des problèmes de pollution de l'air [et de changement climatique] et donc il ne me semblait pas qu'à l'époque il y avait un problème de conflits d'intérêts [l'interprète a zappé un mot important : « financier »]... d'ailleurs, vous m'avez envoyé la question et si je devais répondre maintenant, "est-ce qu'il y a un conflit d'intérêts [financier] aujourd'hui pour moi, dans cette question du glyphosate", eh bien, je dirais "oui", pour ce qui est du glyphosate, oui car j'ai travaillé en tant que consultant sur cette question en particulier. Et merci. »
Comme nous le savons par le côté obscur – consciencieusement occulté par les activistes et par les journalistes militants – au moment de la réunion du groupe de travail du CIRC, M. Portier était déjà au service de l'un des cabinets d'avocats prédateurs pour des litiges qui impliquaient le classement d'un agent par le CIRC – sans nul doute les champs électromagnétiques de basse fréquence (téléphones portables, wifi, etc.), un classement fort contestable et contesté en « possiblement cancérogène » auquel il avait déjà participé.
M. Portier ne pouvait donc pas ignorer qu'un classement « infamant » du glyphosate allait immédiatement lui ouvrir des perspectives de contrats juteux avec ce cabinet d'avocats charognards.
Mais « ...il ne me semblait pas qu'à l'époque il y avait un problème de conflits d'intérêts »... Nooon ! En participant au groupe de travail du CIRC du 3 au 10 mars 2015, M. Portier – perdreau de l'année – ignorait la divine surprise qu'il allait avoir peu après le 20 mars 2015 (le jour de la publication du classement du glyphosate en « probablement cancérogène ») : une sollicitation pour assister deux cabinets d'avocats à faire les poches de Monsanto ; une sollicitation que, après rédaction du contrat, il allait accepter le 29 mars 2015 avec un acompte de 5.000 dollars...
Et « ...il ne me semblait pas qu'à l'époque il y avait un problème de conflits d'intérêts » pourrait bien signifier : « et maintenant je sais qu'il y en avait un »...
Cet homme est décidément plein de ressource !
D'autre part, dans son audition dans le cadre des plaintes dirigées contre Monsanto, il avait reconnu – nolens, volens – qu'il avait travaillé pour l'Environemental Defense Fund à la promotion d'un bracelet censé détecter l'exposition à des substances censées être nocives (voir par exemple ici). Certes, le glyphosate ne faisait pas partie des pesticides repérés... « pollution de l'air » est un camouflage assez ingénieux...
Et curieusement, lors de l'audition aux États-Unis, M. Portier ne se souvenait plus s'il avait travaillé sur ce projet à l'époque où le groupe de travail du CIRC s'est réuni…
Tout aussi curieusement, il ne se souvenait pas non plus si la liste des substances détectées incluait des pesticides...
Nous pouvons laisser M. Portier à ses petites affaires et ses turpitudes. Comme l'écrit ironiquement Mme Delahaye, « Je vous laisse apprécier sa réponse... »
Plus intéressante en revanche est la question de savoir ce que fera cette commission parlementaire : l'évaluation de l'EFSA doit être invalidée pour cause de conflits d'intérêts (allégués) selon une partie des membres de la commission. L'évaluation par la commission de l'évaluation de l'EFSA devrait en toute logique être invalidée pour cause de conflits d'intérêts de son « témoin » à charge principal…
Mais il faut aussi revenir à une question fondamentale, de principe : comment cette commission a-t-elle pu inviter à une audition un personnage qui, dans ses relations précédentes avec des instances communautaires (notamment par sa lettre du 27 novembre 2015 au Commissaire Vytenis Andriukaitis), avait caché ses vrais intérêts ?
Cela étant dit, M. Portier, très largement sollicité par les membres de la commission dans le cadre d'un « ping pong », a aussi fourni d'autres réponses, dont certaines qui semblent constructives et intéressantes s'agissant du fonctionnement du système d'évaluation et d'autorisation. Mais pour le glyphosate... si le CIRC devait refaire son analyse, il aboutirait selon lui au même résultat. Ses employeurs avocats doivent lui être grandement reconnaissants…