Amélioration des plantes, agriculture et alimentation : l'Europe se saborde !
À propos de l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne sur la nature – OGM ou non – des variétés issues de la mutagenèse
Le cri de victoire de la Conf'. Saura-t-elle en tirer toutes les conséquences?
Le 25 juillet 2018, la Cour de Justice de l'Union Européenne a jugé que les organismes obtenus par mutagenèse sont des OGM ; ils relèvent des dispositions sur l'évaluation, les autorisations de dissémination et de mise en culture, etc. des OGM, sauf si les procédés de mutagenèse sont « traditionnels », par rapport à la directive en cause, donc 2001.
En pratique, toutes les « nouvelles techniques génétiques » désignées sous le signe anglais NBT – notamment l'édition des gènes, par exemple grâce à CRISPR/Cas9 – sont soumises aux dispositions qui, dans les circonstances médiatiques et politiques actuelles, font obstacle à leur utilisation et valorisation.
Les États membres sont même libres d'étendre ces dispositions aux variétés issues de mutagenèse « traditionnelle » – et à notre sens à toutes les sortes de variétés.
Les conséquences sont incommensurables. Le législateur peut, certes, redresser la barre, mais la situation actuelle rend ce sursaut illusoire.
Et quatre ministres français se félicitent de la décision...
L'activisme anti-OGM ne croit pas si bien dire : la CJUE a conclu, dans les faits, qu'une très grande partie de nos cultures et de notre alimentation -- tout ce qui contient des mutations induites -- est "OGM"
Ce mercredi 25 juillet 2018, la Cour de Justice de l'Union Européenne a rendu un très attendu arrêt sur la question de savoir si les variétés issues de la mutagenèse – plus spécialement les variétés rendues tolérantes à un herbicide – devaient être considérées ou non comme des OGM et être soumises au régime de l'évaluation de la sécurité sanitaire et environnementale, de l'autorisation de mise en culture et/ou d'utilisation, de suivi et de traçabilité, et d'étiquetage des « organismes génétiquement modifiés ».
La Cour n'a pas suivi l'avis nuancé de l'avocat général Michal Bobek – qui ne nous avait pas vraiment satisfait mais avait le mérite de chercher une porte de sortie raisonnable à un imbloglio juridique devenu grotesque.
Elle a au contraire délivré une interprétation (excessivement) rigoriste du droit européen – essentiellement de la Directive 2001/18/CE du Parlement Européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil.
Cette directive est un monument de gabegie législative dont les effets pernicieux sont largement dénoncés par les rationalistes tenants du progrès et soucieux de l'avenir de l'Europe et de nos enfants – et, au contraire, applaudis par les milieux anti-science, anti-biotechnologies végétales, anti-pesticides et « altermondialistes ».
Ces milieux ont obtenu une très grande victoire, qui dépasse sans doute leurs plus fols espoirs, même si la messe n'est pas entièrement dite : les conclusions de la Cour doivent encore être prises en compte par le Conseil d'État français dans l'affaire introduite par la Confédération paysanne, le Réseau Semences Paysannes, Les Amis de la Terre France, le Collectif Vigilance OGM et Pesticides 16, Vigilance OG2M, CSFV 49, OGM dangers, Vigilance OGM 33 et Fédération Nature et Progrès contre le Premier Ministre et le Ministre de l'Agriculture ; et la Commission Européenne devra faire une proposition sur le sort à réserver aux nouvelles techniques d'amélioration des plantes (NBT – New Breeding Techniques).
Mais l'horizon est bien sombre. Avant l'arrêt, ce qui posait problème était l'incertitude juridique. Les choses sont désormais claires : il s'agit ni plus ni moins du présent et de l'avenir de l'Union Européenne qui sont compromis en matière d'amélioration des plantes, de production agricole, de souveraineté et de sécurité alimentaire et de protection de l'environnement (si, si...).
L'avocat général Bobek avait opiné dans son paragraphe 139 :
« Selon moi, la législation se doit, par nature, d’être pertinente, en ce sens qu’elle doit être techniquement et socialement réactive mais aussi mise à jour, pour autant que les évolutions ultérieures le nécessitent. »
Le « [s]elon moi » est de trop : la jurisprudence qui, sans renier ou dénaturer les textes de base, participe à l'évolution du droit et à son adaptation aux nouvelles réalités est fort abondante.
La Cour a choisi, en partie, de fossiliser la situation législative à la situation qui prévalait en 2001. Pour ce faire, elle a généreusement recouru au « principe de précaution » – le fondement de la directive – et une fait siens de manière complaisante (c'est notre avis) les arguments tirés d'une prétendue dangerosité des variétés issues de techniques de mutagenèse récentes et plus particulièrement des variétés tolérantes à un herbicide.
Voici ce que dit le communiqué de presse de la Cour (l'arrêt est ici) :
« Par arrêt de ce jour, la Cour considère tout d’abord que les organismes obtenus par mutagenèse sont des OGM au sens de la directive sur les OGM, dans la mesure où les techniques et méthodes de mutagenèse modifient le matériel génétique d’un organisme d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement. Il s’ensuit que ces organismes relèvent, en principe, du champ d’application de la directive sur les OGM et sont soumis aux obligations prévues par cette dernière [...] »
Jusque là, à notre sens, il n'y a rien à dire. Il y a les mots « en principe » et, la logique veut – même à propos d'un texte législatif irrationnel et délirant – qu'on ne peut exclure du champ d'application d'un texte que ce qui y est au départ inclus.
Notons tout de même que cette déclaration est lourde de sens pour l'agriculture biologique. La Confédération Paysanne et les autres activistes, ainsi que les idéologues du bio, en tireront-ils les conséquences pour leur mode de production favori ?
La Confédération Paysanne et les autres activistes, ainsi que les idéologues du bio, interdiront-ils la culture de toutes les variétés de tomates d'après-guerre ?
Le communiqué poursuit :
« […] La Cour constate cependant qu’il ressort de la directive sur les OGM que celle-ci ne s’applique pas aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de mutagenèse, à savoir celles qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps [...] »
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour s'est évidemment appuyée sur les dispositions de la directive, mais aussi sur un considérant qui, bien que n'ayant (en principe) aucune force juridique, est censé refléter la volonté du législateur. La Cour a sélectionné ce considérant (le (17)) – en ignorant en particulier le dernier :
« (63) Le cadre réglementaire créé pour les biotechnologies devrait être revu de façon à déterminer s'il est possible d'améliorer encore sa cohérence et son efficacité. Il pourrait être nécessaire d'adapter les procédures pour obtenir une efficacité optimale et il conviendrait d'examiner toutes les solutions qui permettraient d'y parvenir,
Mais il fallait un peu plus pour justifier de l'actualité maintenue de la première volonté et de l'insignifiance de la seconde. Du communiqué de presse :
« Quant à la question de savoir si la directive sur les OGM a également vocation à s’appliquer aux organismes obtenus par des techniques de mutagenèse apparues postérieurement à son adoption, la Cour considère que les risques liés à l’emploi de ces nouvelles techniques de mutagenèse pourraient s’avérer analogues à ceux résultant de la production et de la diffusion d’OGM par voie de transgenèse, la modification directe du matériel génétique d’un organisme par voie de mutagenèse permettant d’obtenir les mêmes effets que l’introduction d’un gène étranger dans l’organisme (transgenèse) et ces nouvelles techniques permettant de produire des variétés génétiquement modifiées à un rythme et dans des proportions sans commune mesure avec ceux résultant de l’application de méthodes traditionnelles de mutagenèse. Compte tenu de ces risques communs, exclure du champ d’application de la directive sur les OGM les organismes obtenus par les nouvelles techniques de mutagenèse compromettrait l’objectif de cette directive consistant à éviter les effets négatifs sur la santé humaine et l’environnement et méconnaîtrait le principe de précaution que la directive vise à mettre en œuvre. Il s’ensuit que la directive sur les OGM s’applique également aux organismes obtenus par des techniques de mutagenèse apparues postérieurement à son adoption. »
Résumons : la directive énonce clairement : « La présente directive ne s'applique pas aux organismes obtenus par les techniques de modification génétique énumérées à l'annexe I B », à savoir, notamment, « la mutagenèse » (à condition...). La Cour décide qu'il faut lire : « la mutagenèse par les seules techniques existantes en 2001.
Nous n'aurons pas la prétention d'affirmer que les juges ont outrepassé les limites de leur pouvoir d'interprétation. Mais tout de même : Cessat in claris. Il est de règle que la loi ne doit être interprétée que si son texte fait naître un doute par suite d'une imprécision ou d'une maladresse de rédaction.
Et si la solution issue d'une loi claire n'est pas satisfaisante – nécessairement issue parce que le pouvoir d'interprétation ne peut y remédier – il appartient au législateur de modifier ou compléter la loi.
La Commission ayant annoncé il y a longtemps qu'elle allait se saisir de la question après le prononcé de l'arrêt, la Cour a en fait empiété modifié les « règles du jeu » législatif : à supposer que la Commission veuille proposer un régime raisonnable et équitable, qui réponde aux besoins de notre époque, elle ne devra pas construire ce régime, mais défaire l'interprétation de la Cour.
S'ils savaient...
Pour parvenir à sa conclusion, la Cour s'est donc embarquée dans le domaine de la pratique – la science, la technologie, l'agriculture, l'alimentation, la santé, l'environnement.
On peut s'étonner de la référence au « rythme » et aux « proportions sans commune mesure [...] », en bref à l'efficacité de la mutagenèse dirigée : incongru et sans pertinence, car le problème à résoudre serait le même si elle était moins efficace. Mais c'est un indice du caractère émotionnel de l'arrêt.
Sur le fond, en bref, « les risques [...] pourraient s’avérer analogues [...] ».
La Cour s'est-elle informée de la réalité matérielle des circonstances qui servent de sous-bassement à son arrêt ? Pas le moins du monde.
Occultée, donc, l'expérience acquise sur les « OGM », les vrais depuis maintenant trois décennies... Passée à la trappe, par exemple, cette conclusion de « A decade of EU-funded GMO research (2001 – 2010) » (Commission Européenne, 2010) :
« La conclusion principale à tirer des efforts de plus de 130 projets de recherche, couvrant une période de plus de 25 ans de recherche, et impliquant plus de 500 groupes de recherche indépendants, est que la biotechnologie, et en particulier les OGM, ne sont pas intrinsèquement plus risqués que par exemple les technologies conventionnelles d'amélioration des plantes. »
Ignorée également la position du gouvernement français (le précédent, pas celui d'un président qui amalgame glyphosate et amiante ou chlordécone). De l'arrêt :
« 22. […] les moyens des requérants au principal ne sont pas fondés. En effet, les risques allégués résulteraient non pas des propriétés de la plante obtenue grâce aux modifications génétiques, mais des pratiques culturales des agriculteurs. En outre, les mutations obtenues par les techniques nouvelles de mutagenèse dirigée seraient similaires aux mutations spontanées ou induites de façon aléatoire et les mutations non intentionnelles pourraient être éliminées lors de la sélection variétale par des techniques de croisement. »
Passées à la trappe toutes les études spécifiques sur les risques issus des NBT...
La Cour a en revanche privilégié le discours anxiogène, notamment celui qu'elle attribue au Conseil d'État. On lit ainsi dans la partie descriptive des arguments : « Selon la juridiction de renvoi […] » ou encore : « La juridiction de renvoi estime [...] ». Et cela donne dans la partie délibérative, dans le considérant 48 : « Or, ainsi que le souligne en substance la juridiction de renvoi, les risques [...] pourraient [...] »
Un arrêt d'une importance cardinale pour l'avenir de l'Europe se fonde ainsi, pour une évaluation de faits, sur les appréciations d'un organe judiciaire (qui n'a probablement fait que reprendre les arguments d'une partie) et, surtout, sur un conditionnel !
On en vient à se demander, considérant en outre l'avis de l'avocat général Bobek, si les juges n'ont pas succombé à leurs opinions, préjugés et partis pris personnels.
Les juges, de surcroît, ont bien été confrontés, dans leur propre décision, à la nécessité de faire une distinction. Celle-ci découle de « en particulier » dans le considérant suivant :
« 47. À cet égard, il convient de souligner que la juridiction de renvoi est appelée à se prononcer, en particulier, sur des techniques/méthodes de mutagenèse dirigée impliquant le recours au génie génétique, qui sont apparues ou se sont principalement développées depuis l’adoption de la directive 2001/18 et dont les risques pour l’environnement ou pour la santé humaine ne peuvent à ce jour être établis avec certitude.
Ils en ont donc bien eu conscience de la nécessité d'une analyse plus fine, mais ont décidé de l'ignorer.
La Cour dit le droit ; plus précisément, elle dit comment il faut comprendre et appliquer le droit européen – quelles qu'en soient les conséquences.
Vous souvenez-vous de l'affaire Bablok (communiqué de presse ici, arrêt ici) ? La Cour avait alors conclu que les grains de pollen constituaient un « ingrédient » du miel, de sorte que, en bref, la présence d'un seul grain de pollen d'un OGM non autorisé dans du miel suffisait à rendre ce miel illégal. Les instances de décision européennes ont alors modifié les textes pour faire du pollen ce qu'il est en réalité, un « constituant » du miel.
Les instance de décision européennes feront-elles de même pour la chienlit supplémentaire qui vient de se créer ? Rien n'est moins sûr !
En bref, soit une variété issue d'une mutation ou en incorporant une. Précisons la chose : une mutation identifiée en tant que telle, qui n'aura pas échappé à l'observation. La situation sera la suivante :
La variété (A) sera exploitable sans contrainte administrative particulière si la mutation est naturelle ou induite par des « techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps » (considérant (17) de la directive) – soit l'emploi de rayonnements ou de substances chimiques mutagènes.
La variété (B) devra passer sous les fourches caudines de la procédure d'autorisation des « OGM » si la mutation a été induite par des techniques modernes d'édition de gènes, par exemple avec CRISPR/Cas9.
Génétiquement, les variétés A et B pourront être indistinctes ! On voit déjà les conséquences en France où l'activisme « anti » se déploie contre les variétés nouvelles qui tolèrent un herbicide auquel la majorité des variétés anciennes étaient sensibles : que ce soient des « VTH » (variétés tolérantes à un herbicide) ou « VrTH » (variétés rendues tolérantes à une herbicide), les « Faucheurs » fauchent et détruisent...
Le comble, de surcroît, est que la sécurité des « techniques de modification génétique […] traditionnellement utilisées » n'est pas intrinsèque mais résulte de l'expérience et de la conscience professionnelle des sélectionneurs ; et que les techniques d'édition de gènes sont intrinsèquement beaucoup – infiniment – plus sûres.
Une conséquence de cet arrêt est aussi que, en application des nouvelles règles d'opt out (directive (UE) 2015/412), chaque État membre sera libre d'interdire la culture sur son territoire ou une partie de celui-ci d'une variété issue d'une technique de mutagenèse « non traditionnelle » et qui aurait passé tous les obstacles procéduraux liés aux « OGM » (rêvons...).
Mais ce n'est pas tout ! La Cour a fait un pas de plus. Selon le communiqué :
« La Cour précise néanmoins que les États membres sont libres de soumettre de tels organismes [les organismes issus de mutagenèse traditionnelle], dans le respect du droit de l’Union (en particulier des règles relatives à la libre circulation des marchandises), aux obligations prévues par la directive sur les OGM ou à d’autres obligations. »
Comment la Cour justifie-t-elle cet élargissement des compétences nationales et rétrécissement de l'idéal communautaire ? Selon le communiqué de presse :
« En effet, le fait que ces organismes sont exclus du champ d’application de la directive ne signifie pas que les personnes intéressées peuvent procéder librement à leur dissémination volontaire dans l’environnement ou à leur mise sur le marché dans l’Union. Les États membres sont ainsi libres de légiférer dans ce domaine dans le respect du droit de l’Union, en particulier des règles relatives à la libre circulation des marchandises. »
Cela relève de la pétition de principe. Le raisonnement de la Cour est pour le moins curieux, si ce n'est spécieux. De l'arrêt :
« 78. En revanche, ne relèvent pas du champ d’application de ladite directive, en vertu de son article 3, paragraphe 1, lu conjointement avec l’annexe I B, point 1, de celle-ci, les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps.
79. Partant, et dans la mesure où le législateur de l’Union n’a pas réglementé ces derniers organismes, les États membres ont la faculté de définir leur régime juridique en les soumettant, dans le respect du droit de l’Union, en particulier des règles relatives à la libre circulation des marchandises édictées aux articles 34 à 36 TFUE, aux obligations prévues par la directive 2001/18 ou à d’autres obligations.
80. En effet, le législateur de l’Union a exclu ces mêmes organismes du champ d’application de cette directive, sans préciser, en aucune manière, le régime juridique auquel ils peuvent être soumis. En particulier, il ne ressort pas de ladite directive que la circonstance que les organismes issus de techniques/méthodes de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps soient exclus de ce champ d’application implique que les personnes intéressées pourraient procéder librement à leur dissémination volontaire dans l’environnement ou au placement sur le marché, à l’intérieur de l’Union, de tels organismes en tant que produits ou éléments de produits. »
Résumons : ce qui a été expressément sorti du champ d'application d'une directive peut y être remis par décision nationale. Ou encore : chaque État peut légiférer à sa guise.
La directive a pourtant été adoptée dans le souci de « rapprocher les dispositions législatives des États membres concernant la dissémination volontaire dans l'environnement d'OGM et d'assurer le développement sûr des produits industriels utilisant les OGM » (considérant 7).
Dit autrement : en excluant les mutations du champ d'application de la directive, le législateur a expressément décidé qu'elles devaient relever du régime juridique général, à savoir la liberté économique (sous réserve de satisfaire aux dispositions générales en matière de variétés et de semences et plants, par exemple sous réserve d'inscription au catalogue).
On s'approche là, dans cet arrêt, des principes « juridiques » appliqués autrefois et encore présentement dans des régimes totalitaires : tout ce qui n'est pas expressément autorisé peut être interdit (ou soumis à des conditions tellement drastiques que cela vaut interdiction).
Résumons encore : le régime applicable aux variétés issues des méthodes d'amélioration des plantes « classiques », s'agissant des autorisations de dissémination, de commercialisation, de mise en culture, etc., n'a pas non plus été défini au niveau communautaire. La porte est ainsi ouverte à l'interdiction de cultiver, notamment, des variétés devenues tolérantes à un herbicide du fait d'une mutation naturelle ! Ou rendue tolérante par des croisements suivis de sélection !
On mesure là l'ampleur de la victoire des anti-OGM, anti-biotechnologies végétales, anti-pesticides, etc.
Certes, c'est « dans le respect du droit de l’Union », mais qu'est-ce à dire ? Comment, notamment, concilier une interdiction de mettre une variété en culture édictée par un État – disons à tout hasard la France – avec le principe de la libre circulation et libre possibilité d'en utiliser les semences découlant de l'inscription de cette variété dans le Catalogue Communautaire (résultant de l'inscription de la variété au catalogue d'un autre État membre) ?
Le moins que l'on puisse dire est que la Cour n'a pas vraiment dit le droit...
Le Conseil d'État a aussi demandé à la Cour d'interpréter l’article 4, paragraphe 4, de la directive 2002/53, relative au catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles. Cet article prévoit en substance qu'une variété génétiquement modifiée n’est admise au catalogue que si toutes les mesures appropriées ont été prises pour éviter les risques pour la santé humaine et l’environnement (en clair : ait franchi avec succès la obstacles de la procédure d'autorisation des OGM).
La Cour a conclu :
« L’article 4, paragraphe 4, de la directive 2002/53/CE du Conseil [...] doit être interprété en ce sens que sont exemptées des obligations que cette disposition prévoit les variétés génétiquement modifiées obtenues au moyen de techniques/méthodes de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. »
Supposez que tous les États membres décident de soumettre également à la procédure d'autorisation des OGM les variétés issues de mutagenèse « traditionnelle »... l'exemption ainsi formulée par les juges devient inopérante !
C'est un communiqué de presse du 26 juillet 2018... du lendemain de l'arrêt... sous l'en-tête de pas moins de quatre ministre : Hulot, Le Maire, Travert, Vidal.
« Le Gouvernement salue cette clarification attendue. »
On a envie de dire : « Les. c.. »
Mais voici la suite :
« Cet arrêt de la CJUE est une étape déterminante, qui va permettre aux juridictions et aux autorités compétentes de disposer d’un cadre harmonisé à l’échelle européenne afin de protéger les consommateurs et l’environnement, dans le respect du principe de précaution. »
Ont-il bien lu l'arrêt ? Un arrêt qui permet aux États membres de faire selon leur bon plaisir – et leur veulerie face à l'activisme anti-science et anti-technologies – pour, notamment, les variétés issues de mutagenèse « traditionnelle »...
D'ailleurs, qui, en France, prendra l'initiative d'une sorte de génocide mettant fin aux « variétés tolérantes à un herbicide » ? Le gouvernement avec un projet de loi ? Des députés avec une proposition de loi ? Des députés agissant pour le compte de certain ministre ?
Saluent-ils vraiment une décision qui, en pratique, prive l'Europe dans son ensemble et certainement les pays qui se prévalent de l'opt out des bénéfices des nouvelles techniques de sélection ?
Pas seulement s'agissant de la tolérance à des herbicides – ce chiffon rouge qui énerve tant les activistes – mais également à tous les avantages sur le plan de la santé (par exemple des variétés enrichies en éléments nutritifs ou débarrassées de substances anti-nutritionnelles) ou de l'environnement (par exemple des variétés résistantes à des parasites ou maladies... ou tolérant un herbicide à meilleur profil écotoxicologique) ou encore agronomique (par exemple des variétés tolérant la sécheresse)...
Trois paragraphes... deux références au « principe de précaution » – du reste erronées (mais c'est un autre débat) ! – et à la protection de la santé et de l’environnement...
Que M. Hulot se félicite de cet arrêt (enfin, ses services et ses amis sont ravis, donc il ne peut que l'être aussi), cela va de soi. Mais MM. Le Maire et Travert et Mme Vidal ont-ils mesuré les impacts sur l'économie, l'agriculture et l'alimentation, et la recherche ?
Peut-on imaginer une Commission Européenne – qui ne brille déjà pas par son courage en matière de génétique et de chimie agricoles – proposer un aménagement de la Directive 2001/18/CE s'agissant des NBT, des nouvelles techniques génétiques ? Une majorité d'États membres en faveur de ce qu'il faut appeler maintenant, après cet arrêt, un assouplissement ? Un Parlement Européen dont il est à craindre qu'il sera encore plus europhobe dans sa formation qui sortira des prochaines élections ?
Soyons réalistes : l'utilisation des NBT, et notamment de la mutagenèse dirigée – n'est pas interdite. Mais leurs produits seront soumis à des procédures d'autorisation, de traçabilité et d'étiquetage dont le résultat pratique est que peu d'acteurs économiques s'engageront sur une voie qui leur promet coûts prohibitifs et incertitude politique et économique – et ce, même en cas d'application « raisonnable » des dispositions juridiques dévoyées à ce jour pour empêcher la culture des OGM.
La porte de l'Europe se ferme :
à la recherche fondamentale et appliquée sur les nouvelles techniques génétiques, les dommages collatéraux étant la poursuite de la délocalisation des laboratoires des entreprises européennes encore intéressées par le marché mondial hors Europe, la fuite des cerveaux et l'attrition des filières d'enseignement spécialisées ;
à un volet important de l'amélioration des plantes qui sera cantonnée, au mieux, aux classiques croisements suivis de sélection (gageons qu'en France, les « faucheurs » trouveront à faucher tout ce qui sort de ce schéma...) ;
à son tissu étoffé et dynamique de petites et moyennes entreprises d'amélioration des plantes – de « semenciers » – qui seront incapables de supporter les coûts prohibitifs et les incertitudes économiques résultant des procédures d'autorisation ;
par conséquent aussi à une partie importante du marché des semences (oubliez, à terme, la France premier semencier mondial...) ;
à des progrès majeurs dans la production agricole et alimentaire (sachant que, comme aujourd'hui, on pourra – ou devra selon les règles du commerce international ou tout simplement selon les exigences et besoins du marché européen – importer les produits) ;
à des progrès importants en matière d'environnement.
En ai-je oublié ? Probablement.
Par exemple, les étudiants des pays en développement iront se former ailleurs, notamment aux États-Unis, et y tisseront des liens qui percoleront vers le secteur économique de leur pays d'origine. L'influence française en Afrique subsaharienne ? Oubliez...
D'ailleurs, vous pouvez déjà le faire actuellement. Sauf erreur, le gouvernement actuel n'est pas revenu sur la politique imbécile initiée par M. Pascal Canfin (devenu directeur général du WWF France... il n'y a pas de « portes tournantes » chez les écolos) de ne soutenir aucun projet impliquant des OGM. Des « OGM » qui incluent désormais les variétés issues de mutagenèse dirigée…