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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

CIRC : réformer ou se faire réformer

10 Juin 2018 , Rédigé par Seppi Publié dans #CIRC

CIRC : réformer ou se faire réformer

 

André Heitz*

 

 

Le CIRC est l’un des seuls organes de recherche internationaux à considérer que le glyphosate est profondément dangereux. Son nouveau directeur prend ses fonctions alors que les méthodes de l’organisme – trop politisées, pas assez scientifiques? – sont contestées.

 

 

Vendredi 20 mars 2015 le CIRC, un organe encore méconnu de l’OMS, annonçait une décision lourde de sens pour la santé publique et le monde scientifique. Le glyphosate, une molécule herbicide largement utilisée dans l’agriculture, était classé « cancérogène probable » – étrange coïncidence, cette annonce est intervenue le jour de l'ouverture de la Semaine sans Pesticides.

 

Deux ans plus tard, cette décision a ouvert la porte à tous les excès. Le glyphosate s’est retrouvé condamné bien au-delà des limites du scientifique, voire du raisonnable, y compris par les plus hautes sphères publiques.

 

Ainsi, on a pu entendre en février dernier, lors du dernier salon de l’agriculture, le président jupitérien Emmanuel Macron faire une comparaison avec l’amiante, que l’on sait pourtant fallacieuse.

 

La réalité, c’est qu’une écrasante majorité d’études scientifiques a entériné le fait que le glyphosate est sans risques pour l’être humain, dans les doses définies par les agences sanitaires des pays du monde entier.

 

Alors, comment en est-on arrivé à un tel état de désinformation vis-à-vis de l’herbicide ?

 

Cela s’explique en grande partie par le fait que le CIRC a pesé de tout son poids pour la maintenir, au-delà de la logique.

 

 

Petite organisation, grande influence

 

Le Centre International de Recherche sur le Cancer, le « CIRC », a été créé le 20 mai 1965, à la suite d'initiatives du gouvernement français, comme l’agence spécialisée de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour le cancer. Son siège est à Lyon.

 

Dépendant de l'OMS, il bénéficie toutefois d'une large autonomie. Cela lui permet d'être un membre du système des Nations Unies, malgré le petit nombre d'États membres qui le composent et la très faible présence en son sein de pays en développement.

 

Officiellement, sa mission est de promouvoir la collaboration internationale dans la recherche sur le cancer. Son programme-phare, ce sont les monographies. Il s’agit d’études systématiques de la littérature scientifique aboutissant à un classement d'un « agent » (produit chimique, mélange complexe, exposition professionnelle, agent physiques et biologique, facteur comportementaux). Ce qui est évalué, c'est le danger (même si les monographies évoquent le risque, selon une formulation fossilisée, dont la fausseté est pourtant admise – voir le préambule, page 2, lignes 18 et seq.) ; plus précisément, c'est le niveau de certitude que l'on a sur le danger, et non l'importance de celui-ci.

 

Le CIRC a longtemps mené ses travaux de façon isolée. L'avènement de la société de l'information (et de la désinformation) a toutefois bouleversé la donne. Les classements, mal expliqués (voire pas du tout), ont été jetés en pâture au public pour le plus grand bénéfice des manipulateurs d'opinion, avocats prédateurs et autres marchands de peur. De petite organisation chargée de soutenir les agences sanitaires, le CIRC est devenu oracle omnipotent.

 

 

Glyphosate, une autre histoire du scandale

 

Ainsi, quand ce dernier a classé le glyphosate en « cancérogène probable », une tornade médiatique a soufflé sans discontinuer sur les agences sanitaires en charge d’évaluer le risque posé par cet herbicide.

 

En effet, dès l’annonce du CIRC, ces mêmes agences sanitaires (en Europe, en France, en Allemagne, au Japon, et ailleurs), prenant acte du nouvel avis, ont mené une révision des risques associés au glyphosate qui a de nouveau blanchi l’herbicide.

 

Cela n’a malheureusement pas suffi.

 

La classification du CIRC a rapidement été instrumentalisée à des fins politiques et militantes, qu'il est inutile de préciser ici tant la saga a déjà été largement médiatisée.

 

Nous préciserons cependant que le CIRC a rendu son avis alors que les publications relatives à deux études importantes invalidant le lien entre glyphosate et cancer, connues de certains de ses experts, avaient été retardées de manière inexplicable. Le CIRC s'est justifié en invoquant le fait qu'il ne prend pas en compte les études non publiées. Mais il aurait été raisonnable et responsable de différer les travaux. L'association glyphosate égal cancer a ainsi pu être largement répandue dans la presse, alors que cette idée est totalement fausse sur le plan scientifique. L'une des deux études retardées, portant sur 54.251 applicateurs de pesticides de Caroline du Nord et de l'Iowa, a finalement été publiée en novembre 2017. Et la direction actuelle du CIRC a décidé de l'ignorer.

 

 

Un nouveau directeur pour le CIRC : l’heure de vérité ?

 

Aujourd’hui, le CIRC est à la croisée des chemins. Son Conseil d'Administration vient d’avoir lieu la semaine passée. L'élection d'un nouveau directeur était une « occasion inédite de revenir à la rigueur scientifique » ou, plus prosaïquement, sur terre… Car les polémiques s’accumulent pour l’agence, dont les méthodes et le manque de transparence inquiètent.

 

Le choix s'est porté sur Elisabete Weiderpass, une cancérologue aux compétences scientifiques incontestables. Mais, par le passé, elle s'est montrée très proche des mouvements militants scientifiques et a contribué, certes avec des dizaines d'autres, aux attaques contre l'évaluation du glyphosate par l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) – une évaluation du reste partagée par une bonne douzaine d'autres instances nationales et internationales, y compris l'OMS, la maison mère du CIRC. Espérons que confrontée aux responsabilités du poste qu'elle prendra le 1er janvier 2019, et forte de l'expérience du fonctionnement clanique des disciplines scientifiques qui sous-tendent les activités du CIRC, Elisabete Weiderpass saura faire preuve de davantage de discernement. Car les attentes comme les besoins sont fortes. La Finlande a déjà demandé une évaluation externe des méthodes du CIRC… une critique déguisée aux récents scandales (glyphosate, benzène) qui entachent la réputation de l’organisme.

 

A cela s’ajoute le fait que le Conseil d’Administration du CIRC a annoncé la tenue d'un groupe consultatif en vue de recommander une mise à jour du préambule commun aux monographies ; le groupe se réunira du 12 au 14 novembre 2018. Mais cet appel aux experts ne prend pas en compte les révisions profondes dont l'institution a besoin, à savoir le double problème majeur que posent les monographies : celui de la pertinence d'une évaluation du danger, indépendamment de l'importance de ce danger et de la réalité du risque (lequel dépend de l'exposition, celle-ci dépendant à son tour des mesures de protection et de réduction) ; celui de la perception qu'en a le public et, le cas échéant, de l'instrumentalisation d'une évaluation trop souvent déconnectée des réalités.

 

Pour le CIRC, la réforme sera salvatrice ou ne sera pas. À l'heure de la désinformation quasi instantanée, une organisation qui met le jambon dans la même classe de cancérogénicité que le plutonium – ou qui se retrouve seule avec son classement du glyphosate face à une douzaine d'autorités d'évaluation ou de réglementation (y compris l'OMS, sa maison mère) – doit faire mieux que réviser son préambule.

 

 

Post scriptum

 

Un lecteur, le Dr Guy-André Pelouze, a écrit un commentaire particulièrement intéressant que je reproduis ci-dessous après correction des impondérables de l'écriture à deux pouces :

 

 

Le CIRC et les agences sont inutiles

 

L’article est intéressant car il soulève le voile sur le back-office du révisionnisme scientifique. Il FAUT que le glyphosate soit coupable car c’est de la chimie et c’est Monsanto...

 

1/ Le grand public doit savoir que les agences produisent des agrégats d’experts et non des études expérimentales ou même des méta-analyses.

 

2/ En conséquence le CIRC et les agences sont devenus particulièrement inutiles. Les revues scientifiques sont riches de reviews, de méta-analyses et d’études expérimentales qui créent une valeur réelle. Les monographies du CIRC, les documents des agences, sont des documents avec très peu de valeur ajoutée. Ces agrégats sont des compilations absconses ou bien de subtils montages avec la vieille technique du cherry picking. J’enlève celui-là et je met plutôt celui-ci ! Si vous essayez de faire le coup dans un bon journal vous êtes vite découvert ! La, non, on est entre soi...

 

3/ La seule initiative intelligente qu’aurait pu prendre l’UE aurait été de lancer une étude prospective européenne avec des biomarqueurs pour compléter l’AHS. Mais voilà, on ne sait pas faire en recherche car les universités européennes et la bureaucratie de l’UE ne travaillent pas ensemble !

 

4/ Mais il y a bien pire. Dans tous les secteurs de pouvoir les vaillants petits militants font un entrisme maximal. Si bien que non seulement on ne sait pas faire travailler des universités européennes sur le sujet (ce alors qu’avec des systèmes de soins ayant un payeur unique on a des data exhaustives !), mais les verts et leurs alliés n’en veulent pas ! La science rationnelle est selon eux du côté du grand capital et donc même si les résultats sont vrais, c’est inacceptable. C’est du lyssenkisme, cette fois à propos des herbicides. Cette idéologie se décline en génétique, à propos du dimorphisme sexuel, de l’intelligence, des OGM, en écologie à propos des perturbateurs endocriniens, de l’acrylamide, en médecine à propos des causes du cancer, etc.

 

5/ C’est une grande bataille idéologique qui sous-tend ce débat. Cette bataille est celle de la rationalité contre la manipulation. Il est important que l’Europe ne se marginalise pas, ni sur la génétique, ni sur l’énergie, ni sur la biologie. Il y a mieux à faire que de financer des agences. Une seule pour l’UE suffirait largement et son coût devrait être minimal.

 

______________

 

* André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.

 

Cet article a été publié sous un autre titre, « Non-interdiction du Glyphosate : le Centre international de Recherche sur le Cancer saura-t-il enfin se réformer ? » sur Atlantico.

 

 

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