Le SPD allemand veut réglementer CRISPR/Cas et Cie comme des OGM
Schillipaeppa*
Dans un billet précédent, nous avons traduit une « Une lettre fictive de la Direction de M... aux politiciens du SPD, des Grünen et du Linkspartei ». Le Pr. Reinhard Szibor a reçu une réponse de M. Burkhard Lischka, président du SPD de Saxe-Anhalt. Celui-ci n'en a pas autorisé la publication... Notre amie Susanne Günther commente.
Nous formons le vœu sincère, mais peut-être pieux, que sous sa nouvelle direction notre Parti Socialiste à nous reprenne le chemin de la foi dans le progrès – au sens noble du terme – et mette fin au discours populiste et obscurantiste.
Comme je l'ai déjà décrit dans un billet précédent, l'accord de coalition GroKo [grande coalition] reste vague sur la question de savoir si le nouveau gouvernement fédéral a l'intention de restreindre l'application des nouvelles techniques de sélection telles que CRISPR/Cas dans l'amélioration des plantes cultivées. C'est cependant ce que soutient la réponse qu'a reçue le Prof. Dr Reinhard Szibor à sa lettre ouverte aux députés, du président du SPD de Saxe-Anhalt, Burkhard Lischka. Il y est dit :
« Nous soutenons pleinement le principe de précaution. Ainsi, nous ne voulons pas que les plantes et les animaux produits avec l'aide de ces soi-disant techniques de génie génétique nouvelles atteignent le marché de manière non réglementée. Pour nous, les contrôles de sécurité et l'étiquetage sont indispensables pour respecter le principe de précaution et garantir la liberté de choix et la traçabilité. »
Voilà, c'est dit : Le SPD s'est fixé comme objectif de traiter CRISPR/Cas et Cie légalement tout comme le génie génétique classique. Cela signifie que les variétés végétales qui auront été créées grâce à, par exemple, CRISPR/Cas devraient subir un processus d'autorisation complexe et coûteux. Cela rendrait ces techniques inabordables pour les petites et moyennes entreprises de sélection. En outre, les produits alimentaires devraient être étiquetés lorsqu'ils contiennent des ingrédients issus des nouvelles technologies. La façon dont cela devrait être contrôlé est complètement floue, car les résultats des nouvelles techniques de sélection ne peuvent pas être distingués de ceux des méthodes classiques.
Même la phraséologie est remarquable : « soi-disant techniques de génie génétique nouvelles ». Les experts parlent de « nouvelles techniques de sélection » ou d'« édition du génome » et non de « génie génétique ».
Au niveau européen, il y a déjà une décision préliminaire sur la façon dont les nouvelles techniques de sélection devraient être considérées légalement. À la mi-janvier, les conclusions de l'avocat général Michal Bobek ont été publiées. Bobek considère les nouvelles techniques de sélection comme des techniques de mutagenèse et conclut que les variétés végétales issues de ces techniques ne devraient pas être réglementées de la même manière que les variétés produites par le génie génétique classique pour autant qu'elles ne contiennent aucun élément transgénique. On s'attend à ce que la Cour de Justice de l'Union Européenne fasse sienne cette évaluation dans son arrêt.
Les conclusions précisent également comment appliquer le principe de précaution dans ce cas :
« Dans toutes ces affaires, l’existence de certains risques identifiés et fondés sur des données scientifiques, constitue le point de départ (22). Le seuil de déclenchement de la mise en œuvre du principe de précaution dans le cadre de mesures provisoires est plus bas que pour les mesures permanentes. Mais il doit toujours exister des données claires concernant le(s) risque(s) allégué(s) qui doivent être étayés par un minimum de données scientifiques, provenant d’un nombre minimum de sources indépendantes nationales ou internationales différentes. La simple crainte d’un risque engendré par une nouveauté, ou le risque d’un risque invoqué de manière vague et générale et sans qu’il ne soit possible d’affirmer de manière probante que la nouveauté en question est sans danger, ne suffit pas pour mettre en œuvre le principe de précaution. »
La référence à des risques hypothétiques qui ne sont peut-être pas encore évaluables n'est donc pas suffisante pour invoquer le principe de précaution.
S'agissant des autorisations de l'UE des variétés génétiquement optimisées, la lettre de Lischka contient aussi des choses remarquables :
« Dans le débat réglementaire, nous voulons donner plus de poids aux recherches critiques sur le génie génétique afin de respecter le principe de précaution de la politique de conservation de l'environnement et de la nature. »
[Ma note : selon l'adage des traducteurs (version conforme au savoir-vivre) : garbage in, garbage out.]
Le SPD veut donner « plus de poids aux recherches critiques sur le génie génétique » ? J'ai toujours pensé qu'un examen scientifique devait être impartial ! Apparemment pas pour le SPD. Il sait déjà quels résultats sont pertinents.
Tout aussi circulaire est l'argument à l'appui du renoncement au génie génétique vert :
« La contamination par des OGM dans la nature et l'intrusion dans les flux de semences et de marchandises ne peuvent être évitées de manière fiable que si la renonciation au génie génétique vert est de grande envergure. »
Le « contamination » n'est cependant problématique que si le composant qui se mélange est lui-même considéré comme problématique. Ici, le SPD ne tient pas compte des décennies de recherches sur la biosécurité financées par des fonds publics, recherches qui n'ont pas détecté de risques particuliers issus des organismes génétiquement modifiés du fait du processus de sélection en tant que tel. Mais Burkhard Lischka lance des slogans :
« C'est pourquoi nous nous sommes engagés pour une modification de la loi sur le génie génétique qui établit des interdictions de culture d'OGM applicables et juridiquement sûres dans tout le pays et qui garantit que nos champs continueront d'être exempts d'OGM. »
Eh bé ! « nos champs continueront d'être exempts d'OGM » – comme si c'était une valeur en soi. Le progrès aura bientôt déserté nos universités si de tels modes de pensée devaient prévaloir. Le député du SPD n'énonce qu'une seule justification de cette attitude de refus : les préoccupations de la population :
« Non seulement en Allemagne - mais aussi à travers l'Europe – la majorité des citoyens rejette les plantes génétiquement modifiées. »
Il convient de noter que ce scepticisme résulte probablement d'un manque de connaissances de base couplé à une information unilatérale des ONG et des médias. Des enquêtes telles que la Naturbewusstseinsstudie 2015 (étude sur la conscience de la nature) montrent que ce sont particulièrement les personnes jeunes ayant une meilleure éducation scientifique qui sont les plus ouvertes au génie génétique.
Dans une enquête américaine, environ 80 pour cent des répondants ont déclaré qu'ils aimeraient que les produits alimentaires soient obligatoirement étiquetés s'ils contiennent de l'ADN. Environ 82 pour cent soutiennent l'étiquetage si les produits sont issus du génie génétique. Cela signifie qu'il n'y a pas de différenciation entre ADN, gènes et génie génétique – tout cela est en quelque sorte suspect.
(Source)
Une enquête menée par YouGov en 2016 produit un résultat caricatural similaire : seulement 7 % des personnes interrogées disent savoir ce qui se cache derrière « CRISPR/Cas9 », mais 84 % se sentent malgré cela suffisamment compétentes pour procéder à un classement :
Enquête portant sur 2.054 personnes.
Fromage de gauche, dans le sens des aiguilles d'une montre à partir du vert foncé :
J'en ai entendu parler (de CRISPR/Cas9) et je sais ce qui se cache derrière.
J'en ai entendu parler mais je ne suis pas sûr de ce qui se cache derrière.
Non
Ne sait pas
Fromage de droite, idem :
À mon avis, ce sont plutôt des mutations naturelles.
À mon avis, ce sont plutôt des OGM.
Ne sait pas.
Il y a encore beaucoup à faire – dans l'éducation et la vulgarisation ! Et les politiciens qui utilisent ces mouvements d'humeur comme base pour leurs positions et leurs décisions ouvrent tout grand la porte au populisme.
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* A étudié la philosophie, rédactrice diplômée ; a atterrit à la campagne.
Source : https://schillipaeppa.net/2018/03/09/spd-will-crispr-cas-und-co-regulieren-wie-gentechnik/