Glyphosate : que faut-il de plus ?*
Dans La France agricole du 6 avril, M. Pierre Julienne a fait part du besoin de connaître la vérité sur le glyphosate. Il a pourtant avancé bien des éléments de réponse. Les controverses sont issues de la décision du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) de classer le glyphosate en « cancérogène probable ». Le Circ évalue des dangers – à distinguer des risques, qui dépendent aussi de l'exposition d'une personne, et donc des mesures de prévention ou d'atténuation. Il le fait aussi sur la base d'une clé de décision très rigide et selon une approche conservatrice. Il précise bien dans sa documentation – mais s'est obstiné à ne pas le faire pour le glyphosate – que son évaluation doit être suivie d'une évaluation des risques entreprise par d'autres instances.
Dans le cas du glyphosate, preuves limitée de cancérogénicité chez l'homme et preuves suffisantes de cancérogénicité chez l'animal ont abouti en un classement en 2A : « cancérogène probable ».
« Cancérogène probable » (comme pour la viande rouge) n'a pas le sens courant, mais que les preuves sont moins convaincantes que pour « cancérogène certain » (comme pour la charcuterie) et plus convaincantes que pour « cancérogène possible » (comme pour les implants chirurgicaux et autres corps étrangers). Le classement n'est pas lié à la fréquence des cancers, ni à l'exposition. On trouvera donc, par exemple, en « cancérogène certain », des contraceptifs oraux et le plutonium 239.
La décision est-elle justifiée dans l'absolu ? Une instruction quasi exclusivement à charge pour identifier un danger n'est pas déraisonnable. À condition de bien préciser l'objectif et les implications de la démarche, ce qui n'a été fait qu'a minima pour le glyphosate, permettant ainsi aux controverses de se développer.
La décision est-elle justifiée pour le glyphosate ? Le Circ a écarté de nombreuses études, pour n'en retenir qu'une poignée. Celles-ci sont-elles pertinentes et fiables ? Ont-elles été évaluées correctement ? Ça se discute, sinon se conteste. Les preuves retenues pour l'homme sont fort légères ; celles sur les animaux portent sur des doses extravagantes.
Y a-t-il eu malversations ? Il y a un faisceau de faits qui incitent à conclure, au-delà du doute raisonnable, à une manipulation pour saborder la réautorisation du glyphosate en Europe, mais aussi aux États-Unis et dans d'autres pays. Existe-t-il d'autres publications fiables sur le fait que le glyphosate est cancérigène ? Réponse : non. Le Circ aura au moins eu le mérite de faire le tri – et de montrer une fois de plus le problème de la qualité des études scientifiques dans ce domaine.
Depuis la sentence du Circ en mars 2015, une vaste étude de cohorte portant sur 57 310 applicateurs de pesticides (l'Agricultural Health Study) n'a pas établi de lien entre glyphosate et cancer. Une autre étude – gardée sous le manteau – a été révélée : le North American Pooled Project a amalgamé une série d'études cas-témoins et arrive au même résultat quand on corrige pour tous les facteurs confondants, en particulier pour l'utilisation d'autres pesticides (2,4-D, dicamba et malathion).
La situation est claire : la FAO et l'OMS (réunion conjointe sur les résidus de pesticides), l'Efsa, l'Anses (avec quelques bémols) et les agences allemande, australienne, canadienne, coréenne, états-unienne, japonaise, néo-zélandaise et suisse ont conclu à un risque improbable issu du glyphosate (l'absence est indémontrable). L'Agence européenne des produits chimiques (EChA) évalue les dangers et, sur la base de la prépondérance de la preuve, n'a pas classé le glyphosate en cancérogène, mutagène et reprotoxique.
Que faut-il de plus ?
ANDRÉ HEITZ, Ancien fonctionnaire d'une institution des Nations Unies
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* Ce billet a paru dans la France Agricole du 27 avril 2017.