Ces drôles d'oiseaux du CNRS, du MNHN et du Monde Planète (épisode II)
Le réveil du bon sens
Nous avons vu dans la première partie que le Muséum National d'Histoire Naturelle (MNHN) et le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) ont publié sur leurs sites respectifs des annonces apocalyptiques sur la disparition des oiseaux des espaces agricoles. Les pesticides ont été mis en cause de manière appuyée.
Nous avions conclu que :
« Deux institutions scientifiques se sont livrées à une manipulation politique et médiatique. La société a été escroquée. Et c'est aussi la science qui a été bafouée. »
Des voix se sont élevées contre cette manipulation. Des critiques incisives, convergentes et convaincantes.
Malheureusement, ces comme souvent, ces réfutations sont arrivées tard.
Dans « Le printemps 2018 s'annonce silencieux dans les campagnes françaises », le Muséum National d'Histoire Naturelle (MNHN) s'était prévalu de « [d]eux nouvelles études [qui] démontrent que les oiseaux des campagnes françaises disparaissent à une vitesse vertigineuse ».
Le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), dans « Où sont passés les oiseaux des champs? », a aussi évoqué « [d]eux études récentes [qui] dressent un constat alarmant : les populations d’oiseaux vivant en milieu agricole ont perdu un tiers de leurs effectifs en 17 ans. »
Et le MNHN a dû se résoudre à avouer dans un gazouillis... qu'il n'y avait pas d'études (publiées).
La dépêche de l'AFP (voir par exemple ici) contient le paragraphe suivant :
« Les scientifiques français s'interrogent sur les raisons de "l'accélération très forte" de ce déclin constatée en 2016 et 2017, et à ce stade largement inexpliquée. Ce qui les a conduits à diffuser ce communiqué commun, sans attendre de voir leurs études publiées dans une revue scientifique. »
Se pose donc un problème ornithologique, d'œuf et de poule : ce texte y figurait-il dès l'origine ou a-t-il été ajouté lorsque la supercherie a été éventée ? Le communiqué a-t-il précédé le gazouillis ?
Voilà une explication fort intéressante : « nous nous précipitons pour annoncer qu'en fait, nous n'en savons rien... ».
Après avoir allumé la mèche avec : « Cette disparition massive est concomitante à l'intensification des pratiques agricoles ces 25 dernières années... » Car les rédacteurs pouvaient s'attendre à ce que les journaleux tombent dans le piège du cum hoc, propter hoc. L'explication est aussi tellement vaseuse que nous penchons pour une tentative de justification a posteriori.
Une tentative qui n'a pas été répercutée sur le site du MNHN dont la page en cause dit toujours en sous-titre :
« Deux nouvelles études démontrent que les oiseaux des campagnes françaises disparaissent à une vitesse vertigineuse. »
Picorage (cherry picking) – le grand déballage de M. Alexandre Carré
Quoi qu'il en soit, ces gens ont peut-être oublié que 2016 a été une année climatique et agricole désastreuse.
Et, à regarder leur graphique de plus près, cette chute des années 2015-2017 ne serait-elle pas comparable, du point de vue de la pente, à celle de 2007-2010 (si nous avons bien lu le graphique) ? N'y a-t-il pas eu une chute similaire, suivie d'une remontée spectaculaire, des oiseaux forestiers aux alentours de 2008 ?
(Source)
Le picorage est encore plus évident à partir de l'analyse de M. Alexandre Carré dans « Vous avez lu partout que l’agriculture était responsable de la disparition des oiseaux de nos campagnes ? Voilà pourquoi l’accusation est particulièrement contestable » (attention : nombre d'accès gratuits limités) et « "L'agriculture ne doit pas être un bouc émissaire" ».
Cela mérite lecture parce que c'est – osons-le – carré.
M. Carré a déniché un autre graphique, plus lisible, plus détaillé et, surtout, avec les courbes des oiseaux « milieux bâtis » et « toutes espèces ». Pourquoi le MNHN ne les a-t-il pas incluses sur sa page ? Parce que cela diluait le propos et l'objectif socio-politiques...
Et M. Carré d'écrire :
« ...rien n'est simple :
1) Visiblement les "oiseaux des campagnes" ne sont pas les seuls à "disparaître". Les "oiseaux des villes" sont aussi concernés...
L'agriculture est-elle là aussi responsable ?
2) Les courbes concernent des "groupes d'oiseaux" et ne permettent donc pas d'apprécier l'évolution individuelle, espèce par espèce. Certaines espèces pourraient donc voir leur population augmenter tout en appartenant à un groupe qui diminue...
3) Les causes pouvant expliquer la diminution des populations d'oiseaux ne sont pas étudiées mais sont potentiellement très nombreuses ! Pourtant, l'hypothèse purement spéculative de la responsabilité de l'agriculture et de ses pesticides est présentée comme unique et évidente.
Pourquoi le CNRS et le Muséum national d'histoire naturelle n'ont-ils pas évoqué dans leur communiqué l'impact potentiel :
- du réchauffement climatique,
- de la prédation d'autres oiseaux (la population de certains rapaces, échassiers, corvidés augmente),
de la compétition pour la nourriture et les abris avec les "oiseaux généralistes", qui voient eux leur population augmenter,
de la prédation de nos chats domestiques, toujours plus nombreux, et qui tuent à eux seuls 110 millions d'oiseaux chaque année en France, selon le Groupe d’études ornithologiques des Côtes-d'Armor (Geoca). Selon une autre source, les chats sont responsables de l'extinction de 63 espèces de mammifères, oiseaux et reptiles depuis 500 ans.
- de l'urbanisation et de l'artificialisation des terres, (+ 1,3 % par an en moyenne entre 1992 et 2008 puis + 0,8 % par an depuis 2010)
- de la pollution des voitures et des industries (le parc automobile français est estimé à 39,14 millions de véhicules en 2017 avec une évolution moyenne de + 1 % par an en moyenne depuis 2000),
- des maladies (grippe aviaire...),
- du développement des éoliennes,
- des antennes relais et des téléphones portables ?
etc. »
En conclusion :
« L'agriculture a sa part de responsabilités mais elle ne doit pas être un bouc émissaire qui occulte le reste. »
« Le piaf, le paysan, le bobo et... le chat ! » (Jean de La Fontaine Jean-Paul Pelras)
C'est un éditorial de M. Jean-Paul Pelras dans l'Agri du 29 mars 2018. Il ne l'a pas mis en ligne (dommage...), mais le texte a été reproduit dans quelques gazouillis.
(Source)
Sur le mode ironique, voire sarcastique, une bonne référence aux moineaux des villes :
« Le piaf serait donc également menacé par le bobo. Une information, vous en conviendrez, moins facile à fourguer que celle consistant à stigmatiser le travail de l'agriculteur... »
Ce n'est là qu'un petit extrait d'un texte qui vaut la lecture.
(Source : « En 13 ans, la population de moineaux domestiques a chuté de 73 % à Paris »)
Mme Géraldine Woessner conteste
« Les pesticides sont-ils les premiers responsables du déclin des oiseaux ? » Mme Géraldine Woessner répondait le 28 mars 2018 au pilonnage médiatique dans sa chronique de quelque 3 minutes.
Ses propos méritent d'être reproduits in extenso :
« Un chercheur affirme que les pesticides sont les premiers responsables du déclin des oiseaux.
Vrai-Faux : le déclin inquiétant des oiseaux des campagnes.
L’information a été relayée partout, et de façon retentissante par Nicolas Hulot à l'Assemblée : les oiseaux des campagnes disparaissent à une vitesse vertigineuse (leur nombre a baissé de 30% en 15 ans), alertent le CNRS et le muséum d’Histoire naturelle. Et l’on tient le responsable :
"Pour notre chercheur, le responsable de ce déclin vertigineux, c’est l'agriculture, et surtout l’usage intensif des pesticides".
Les pesticides sont les premiers responsables du déclin des oiseaux. Vrai ou faux ?
C’est faux. Il m'a fallu du temps pour vérifier l'information, beaucoup plus complexe que ce qu’on nous a présenté, et qui part d’un constat réel : oui, les espèces spécialistes d'oiseaux, celles qui vivent dans un habitat précis, s’effondrent dans les zones agricoles. Mais le lien qui est fait dans un grand raccourci avec les pesticides, les chercheurs ne l'ont pas démontré, comme ils nous l'ont confirmé par écrit : "Notre étude ne permet pas de prouver que ce déclin est dû à telle ou telle pratique (par exemple les pesticides), mais nous faisons l'hypothèse que si c'est dans le milieu agricole que les oiseaux déclinent le plus, c'est lié aux pratiques. Parmi ces pratiques, l'utilisation de pesticides, qui détruisent les insectes dont sont dépendants les oiseaux, est probablement un des facteurs responsables".
Le problème, c'est que la disparition des insectes, qui a été mesurée récemment en Allemagne, reste elle aussi mystérieuse. La biomasse s'est réduite de 75% en 27 ans, dans les zones étudiées là-bas. C'est considérable, mais les auteurs de ce constat ignorent les causes de ce déclin : ils n’ont pas intégré, ni étudié l’effet des pesticides, des changements climatiques ou d’autres facteurs. Ils n'avancent que des hypothèses. Elles font sens intellectuellement, parce que oui, les pesticides ont un impact sur l’environnement, mais touchant le déclin des oiseaux, il y a d’autres facteurs.
Les comptages ne sont pas une science exacte
Sait-on lesquels ?
En partie, car les chercheurs, notamment du Centre d'Écologie et de Sciences de la Conservation, les étudient depuis longtemps. Leur dernière étude a porté sur 199 champs observés dans trois régions françaises sur une longue période. Ils ont constaté que les pesticides influent de façon négative sur des espèces se nourrissant de gros insectes, celles qui nichent au sol dans les champs. Mais ils apportent des nuances importantes : d'abord, les doses utilisées de pesticides sont essentielles (il y a peu d’impact quand elles sont faibles), et surtout ces intrants pèsent trois à quatre fois moins dans le déclin des oiseaux que la modification de leur habitat : les champs qu'on a élargis, la destruction des haies, des mares, la fin des jachères imposée par la PAC. Pour eux, c'est à l’échelle de chaque ferme qu’il faudrait repenser les espaces naturels pour préserver vraiment la biodiversité, qui reste compatible avec des pratiques raisonnées d'agriculture.
Il faudrait aussi étudier l’influence de la pollution, du climat, qu'on connaît mal. Les agriculteurs restent les mieux placés pour agir, et l’aménagement du paysage une nécessité. Mais il faut noter qu’en ville, nos pratiques aussi sont interrogées : les populations d’oiseau ont baissé d’un tiers, également, dans les zones bâties. »
Le coup est rude... et on peut penser qu'il aura suffi à Mme Woessner de poser une question simple – de faire ce que n'ont pas fait tous les pisse-piges et copier-colleurs avides de sensationnalisme. Et la réponse est (presque) claire :
« Notre étude ne permet pas de prouver que ce déclin est dû à telle ou telle pratique... »
Presque car, d'étude – au sens d'un article scientifique publié dans une revue (même de série Z, à comité de lecture ou non) –, il n'y en a pas...
Nous tournons autour du pot aux roses de l'instrumentalisation d'une institution scientifique à des fins de militantisme.
Les réfutations arrivent tard
Paraphrasons cet aphorisme de Winston Churchill : « Un mensonge peut faire le tour des rédactions le temps que la vérité se mette devant un ordinateur. »