Sécurité des aliments en France, chef d’œuvre en péril ?
Albert Amgar*
On savait déjà depuis quelques temps, si vous me suivez, que grâce à la rare constance et au zèle qui sied aux apparatchiks, l'ancien ministre de l'agriculture avait réduit le nombre d'inspection en sécurité des aliments de 2012 à 2016 (seuls chiffres connus à ce jour) de 36%. On trouvera le détail dans des articles précédents, 1 et 2, mais tout de même, réduire le nombre d'inspections de 76.000 (2015) à 55.000 (2016), il fallait oser… malgré les différents signaux d'alerte...
On sait également que le ministère de l'économie et des finances a lui aussi réduit le nombre d'inspections réalisées par la DGCCRF, voir ici.
Il n'y a donc pas que moi qui met en avant le rôle néfaste joué par ces réductions drastiques de contrôles et d'inspections en sécurité des aliments.
En effet, le dernier document daté du13 février 2018 publié par le Syndicat National des Inspecteurs en Santé Publique Vétérinaire (SNISPV) prend tout son sens.
Il s'agit d'une Contribution du SNISPV concernant Une approche globale de la sécurité de la chaîne alimentaire pour redonner confiance aux consommateurs.
Dès le chapeau, le ton est donné… sur le manque des effectifs… après une période de purge …
Une organisation inintelligible et des moyens d'action limités
La sécurité de la chaîne alimentaire repose aujourd’hui sur trois ministères : agriculture, économie et santé. Or, chacun n’est responsable que d’une partie des contrôles et les oriente selon ses propres objectifs, et aucun n’a une vision globale de l’ensemble des enjeux de sécurité.
Les services de contrôle de la DGAL et de la DGCCRF ont été fusionnés au niveau départemental au sein des directions interministérielles en charge de la protection des populations. Cette interministérialité locale permet de mieux appréhender la sécurité globale de l’alimentation et d’optimiser les ressources de contrôle.
Cette optimisation demeure cependant incomplète du fait du rattachement du contrôle de l’eau, premier des aliments, aux agences régionales de santé, et souffre du maintien d’une triple chaîne de commandement aux niveaux national et régional. Les exemples d’un morcellement des compétences entre les ministères précités sont nombreux : alimentation infantile, denrées végétales, usage des additifs alimentaires, alimentation animale...
Cette organisation peu compréhensible obère l’efficacité du dispositif de maîtrise des risques et génère parfois une « guerre des polices » et une cacophonie en situation de crise.
En ce qui concerne les moyens de contrôle de la chaîne alimentaire, le nombre des contrôleurs a diminué d’environ 20% sur la période 2004-2014 ans au sein des ministères de l’agriculture et de l’économie. Une mission CIMAP (Comité interministériel modernisation de l'action publique) avait constaté cette baisse et ses conséquences ; consécutivement, les effectifs ont été légèrement accrus.
[…]
Nos services, auparavant cités en exemple par l’Organisation mondiale de la santé animale, ne sont plus calibrés pour répondre aux situations de crise qu'ils rencontrent. L’inadéquation missions/moyens pénalise la crédibilité de la police de la chaîne alimentaire au détriment des consommateurs et des filières.
Focalisée sur les indicateurs d’activité et insuffisamment armée pour les défis actuels, cette police de l’alimentation ne dispose plus des ressources nécessaires pour faire face aux crises et à la délinquance alimentaire organisée, en même temps qu'aux nécessaires missions du quotidien.
Ces données associées à une communication insuffisante en temps de paix ne contribuent pas à maintenir la confiance des consommateurs dans le haut niveau de qualité et de sécurité des productions françaises.
Tout est presque dit, on savait la compétence et le dévouement des personnels chargés des inspections en sécurité des aliments, on connaît désormais leur lucidité…
Enfin un autre chiffre illustre l'urgence de la transparence de l'information pour les consommateurs dans les rappels de produits alimentaires.
Selon le site Oulah!, il y a eu 44 rappels pour les deux premiers mois de l'année 2018 versus 14 seulement pour la même période de 2017 (+ 318 %), inquiétant donc ; pression de la grande distribution, mauvaises pratiques, etc., bref tous les ingrédients d'une crise en sécurité des aliments sont présents ; il est donc plus que temps que nos autorités se lancent enfin dans un site d'information des rappels, avant que cela ne s'aggrave encore plus…
La France est le seul pays de l'UE à procéder ainsi… et l'on en mesure les résultats...
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* Albert Amgar a été pendant 21 ans le dirigeant d'une entreprise de services aux entreprises alimentaires ; il n'exerce plus aujourd'hui, car retraité, mais au travers de son blog (quand il s'y remettra...), vous livre des informations dans le domaine de l’hygiène et de la sécurité des aliments. En attendant qu'il s'y remette, je l'accueille avec plaisir.