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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Quel goût a un pesticide ?

9 Mars 2018 , Rédigé par Seppi Publié dans #Pesticides, #Activisme, #Article scientifique, #Andrew Kniss, #Gilles-Éric Séralini

Quel goût a un pesticide ?

 

Andrew Kniss*

 

 

 

 

 

 

Honnêtement, je ne peux pas croire que je viens de taper ce titre. Mais nous y voilà. Le tristement célèbre Gilles-Éric Séralini a publié récemment un article intitulé « The Taste of Pesticides in Wines » (le goût des pesticides dans les vins). Dans le cadre de l'étude, des gens ont été invités à choisir une préférence entre des vins biologiques et conventionnels. D'accord, d'accord. Mais ensuite, les participants ont reçu des verres d'eau, dont certains avaient été dopés avec des pesticides à des doses prétendument trouvées dans des bouteilles de vin. C'est bizarre à bien des titres.

 

Depuis des années, Séralini prétend que des niveaux extrêmement bas de pesticides peuvent être nocifs, et il a co-écrit de nombreux articles prétendant montrer cette nocivité. Beaucoup (la plupart ?) de ces articles ont été examinés ou rejetés par beaucoup dans la communauté scientifique pour diverses raisons : mais dans la présente étude, Séralini cite une grande partie de ses recherches antérieures pour affirmer que :

 

« La consommation chronique de ces niveaux de contamination [...] peut causer ou aggraver la stéatose hépatique et des dommages aux reins ainsi que des tumeurs mammaires. »

 

et

 

« La plupart des 11 pesticides détectés ont été proposés ou classés comme perturbateurs endocriniens ou nerveux, ou même comme cancérogènes. »

 

et

 

« ...la toxicité au-dessous des seuils réglementaires est considérablement amplifiée par les produits de formulation courants des herbicides à base de glyphosate... »

 

Séralini croit apparemment qu'à ces niveaux, ces pesticides sont dangereux. Je suis donc surpris que s'il croit vraiment que ces faibles doses sont nocives, il ait demandé à 71 personnes de consommer ces pesticides, d'autant plus que les doses utilisées dans cette étude étaient « plusieurs milliers de fois supérieures au niveau admissible dans l'eau du robinet (0,1 ppb) ».

 

Les questions d'éthique posées par cette recherche mises à part, j'ai regardé les méthodes et les résultats par une curiosité morbide à propos de ce que révélerait une étude de dégustation de pesticides. Je travaille beaucoup avec les pesticides. Je peux honnêtement dire que, au fil des années, je n'en ai jamais goûté, même pas accidentellement. J'ai certainement senti beaucoup d'entre eux, mais je n'ai jamais eu le désir de les goûter. D'accord, peut-être ai-je secrètement eu le désir de goûter à l'herbicide Harness, qui pour une raison étrange ressemble au Kool-aid à base de jus de raison et en a l'odeur. Mais même dans ce cas, je n'ai jamais donné suite et goûté.

 

Cependant, après avoir lu cet article deux fois, je n'ai toujours aucune idée du goût qu'ils pourraient avoir, ni de la précision de la dégustation, ni de tout le reste. Les incohérences et les bizarreries de la présentation des données et les métriques incompréhensibles et les observations non rapportées ont rendu impossible toute critique sensée de l'article. Quelques exemples : 71 professionnels ont été recrutés pour l'étude, mais les résultats indiquent que « sur 195 tests, 147 ont été jugés par 36 professionnels comme démontrant une différence marquée entre les vins de la paire ». Ainsi, 36 pouvaient apparemment trouver des différences dans le goût entre les vins (un avec et l'autre sans pesticides), mais qu'en est-il des 35 autres ? Ils ne pouvaient pas ? C'est la moitié des participants. Et la moitié, c'est exactement ce que l'on s'attendrait à avoir par hasard.

 

L'un des graphiques de l'étude montre des données pour la « première détection de pesticides par le goût dans l'eau, au moins une fois en noir ; pas détecté en gris ». Je n'ai littéralement aucune idée de ce que cela signifie, et il n'y a aucune explication dans les méthodes sur la « première détection » pour aider à comprendre. La figure 2 ne dit pas non plus si elle comprend les 71 participants, ou seulement les 36 participants qui ont deviné correctement prétendument pu goûter les pesticides.

 

J'ai aussi trouvé étrange que les auteurs n'aient pas fourni de données sur l'identité des pesticides qui étaient détectables. Les dégustateurs ont été exposés à 11 pesticides différents. Je serais très curieux de savoir si une grande majorité de détections réussies se rapportaient à 2 ou 3 pesticides qui avaient été ajoutés à des doses relativement élevées et étaient plus facilement identifiés au goût, ou si la détection positive était répartie uniformément entre les pesticides. Il n'y a pas non plus de statistiques dans l'article (ni même de taille des échantillons) ; il est donc impossible de savoir si les résultats sont dus à la variabilité aléatoire.

 

Enfin, les participants ont été invités à décrire le goût des pesticides qu'ils buvaient. Je suppose, d'après les résultats ci-dessus, qu'il y avait au moins 36 dégustateurs qui prétendaient pouvoir goûter les pesticides ; il y avait donc probablement un grand nombre de descriptions de ces saveurs. Mais dans le tableau 2 de l'article, seules des descriptions de 2 à 4 mots sont fournies pour chaque pesticide, et aucune indication n'a été donnée quant à la façon dont ces mots ont été choisis. Étaient-ce les plus communs ? (J'en doute un peu car le « blocage des papilles » figure dans la liste plus d'une fois – ce n'est pas un terme que les dégustateurs utilisent régulièrement, n'est-ce pas ?) Ou étaient-ce les termes les plus uniques ? Ou étaient-ce les mots dont les auteurs ont pensé qu'ils feraient un bon article ? Nous n'avons vraiment aucun moyen de savoir. (Personnellement j'aimerais voir les descriptions que les participants ont données pour les contrôles, l'eau minérale pure...)

 

Indépendamment de la façon dont ils ont décidé des mots à mettre dans cet article, je peux vous assurer que je ne vais pas goûter la fenhexamide pour déterminer si elle a vraiment un goût de fraise artificiel. Et j'espère que vous ne le ferez pas non plus.

 

_______________

 

* Andrew Kniss est actuellement professeur agrégé d'écologie et de gestion des mauvaises herbes au Département des sciences végétales de l'Université du Wyoming. Il a un doctorat en agronomie avec une mineure en statistiques. Il a grandi dans une ferme de l'ouest du Nebraska. Son intérêt pour les mauvaises herbes a commencé tôt dans la vie, après avoir sarclé les mauvaises herbes et arraché les morelles dans les champs de haricot de la ferme familiale.

 

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