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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Néonicotinoïdes et santé : Fake news, et fake science ou bad science ?

22 Mars 2018 , Rédigé par Seppi

Néonicotinoïdes et santé : Fake news, et fake science ou bad science ?

 

 

 

 

Retour sur des fake news

 

Qui produit des fake news ?

 

Dans un billet précédent, « "'Sciences et Médias' : Comment lutter contre la désinformation scientifique ?" Par la désinformation ! », nous avons vu que nous – les dénommés Gil Rivière-Wekstein, Anton Suwalki, Karg Se, Wackes Seppi, David Zaruk – avons été vilipendés dans une conférence comme producteurs et diffuseurs de fake news, de « faits alternatifs ».

 

 

L'arroseur arrosé

 

L'auteur du propos, M. Jean-Marc Bonmatin, on l'a vu aussi dans « Néonicotinoïdes : mise à jour d'un article "scientifique" militant... par un autre article "scientifique" militant », a fait quelque temps après la déclaration suivante dans une interview donnée à Libération et publiée le 1er mars 2018 :

 

« Et quid des impacts des «néonics» sur la santé humaine?

 

Alors là, on est mal partis... On se rend compte de plus en plus qu’il y a des effets sur la santé humaine. Plusieurs études ont été publiées sur le sujet. Ces pesticides ont un lien avec les maladies du spectre autistique, les malformations cardiaques, le neurodéveloppement du cerveau. Ils sont aussi perturbateurs endocriniens, cancérigènes, et ont des effets sur la thyroïde, le foie et les testicules. »

 

 

Et pourtant, la fake news est démentie par son auteur !...

 

Pourtant, quelques jours avant, le 25 février 2018, était mis en ligne un article portant la signature de M. Bonmatin (qui plus est comme auteur à qui adresser la correspondance), « An update of the Worldwide Integrated Assessment (WIA) on systemic insecticides. Part 3: alternatives to systemic insecticides » (une mise à jour de l'Évaluation Mondiale Intégrée sur les insecticides systémiques. Partie 3 : alternatives aux insecticides systémiques), dans lequel on peut lire ceci :

 

« ...Plus récemment, les néonicotinoïdes ont été proposés comme une catégorie d'insecticides caractérisés par des risques réduits pour la santé humaine. »

 

Et :

 

« La dépendance excessive à l'égard du contrôle chimique est associée à la contamination des écosystèmes (Bonmatin et al., 2015 ; Pisa et al., 2015 ; Mineau et Whiteside, 2013 ; Beketov et al., 2013 ; Giorio et al., 2017) et des effets indésirables sur la santé (Scott et al. 2014 ; Cimino et al., 2017 ; Wang et al., 2018), bien que dans le cas des néonicotinoïdes et du fipronil, la rareté des études sur la santé humaine à ce jour nous empêche de faire une évaluation claire. Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour étudier les effets induits par ces agonistes du système neuronal après une exposition humaine chronique (par exemple, agriculteurs et travailleurs, exposition par des boissons, aliments, animaux domestiques et de rente traités, structures en bois traité, pollution de l'air, etc. la somme de toutes ces expositions) (Salis et al., 2017). »

 

 

...et maintenant par l'ANSES...

 

Le 5 mars 2018, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a publié les conclusions de ses travaux d’expertise sur l’impact sur la santé humaine des néonicotinoïdes. De son communiqué de presse :

 

« Impact des néonicotinoïdes sur la santé humaine : pas d’effet nocif sur la santé humaine dans le respect des conditions d’emploi fixées par les autorisations de mise sur le marché mais une vigilance particulière sur le thiaclopride

 

Pour mener ses travaux, l’Anses a procédé à l’examen des données disponibles sur les dangers pour la santé humaine présentés par les six substances actives de la famille des néonicotinoïdes autorisées dans le cadre des règlements relatifs aux produits phytopharmaceutiques et/ou biocides et/ou médicaments vétérinaires (acétamipride, clothianidine, imidaclopride, thiaclopride, thiaméthoxame et dinotéfurane). Ces travaux ne mettent pas en évidence d’effet nocif pour la santé humaine, dans le respect des conditions d’emploi fixées dans les autorisations de mise sur le marché. L’Agence rappelle donc l’importance du respect des conditions d’emploi prévues dans les autorisations de mise sur le marché des produits pour prévenir d’éventuels impacts sur la santé humaine.

 

Toutefois, s’agissant de la substance active thiaclopride, et compte tenu de ses caractéristiques de danger, de l’accroissement important de son utilisation constatée au cours de la période 2010-2015, et des incertitudes liées aux expositions cumulées avec d’autres produits phytopharmaceutiques ou biocides présentant des caractéristiques de danger similaires, l’Anses recommande de réduire au maximum les usages pour les produits à base de cette substance dès 2018.

 

 

...donc

 

Reprenons l'interview de M. Bonmatin : « Alors là, on est mal partis... »

 

Il a proclamé que « Ces pesticides ont un lien... » avec des tas de maladies et, quatre jours après, l'ANSES annonce que les néonicotinoïdes n'ont « pas d’effet nocif sur la santé humaine... » Évidemment s'ils sont utilisés dans les règles de l'art – une restriction qui s'applique de manière similaire, par exemple, aux capsules de lessive pour lave-vaisselle.

 

 

Fake science ou bad science ?

 

Toujours vérifier

 

Ce lamentable épisode nous a inspiré une autre démarche : vérifier !

 

Selon l'article « scientifique », « La dépendance excessive à l'égard du contrôle chimique est associée à […] des effets indésirables sur la santé [citation de trois articles], bien que dans le cas des néonicotinoïdes et du fipronil, la rareté des études sur la santé humaine à ce jour nous empêche de faire une évaluation claire. »

 

La phraséologie est intéressante ! On pose le message anxiogène souhaité – en le rapportant à des usages excessifs et, surtout, à l'ensemble des produits phytosanitaires – et on met un bémol pour les néonicotinoïdes pour que ce ne soit pas trop grotesque.

 

Alors, ya ou yapas d'effets néfastes pour les néonicotinoïdes ? Allez dans Google Scholar avec « neonicotinoids + human health » et le miracle se produit : 11.400 résultats. Difficile de croire dans ces conditions – même si Google a ratissé large – à une « rareté des études sur la santé humaine ».

 

 

Première référence : Andria M. Cimino et al.

 

Et ça tombe bien, le premier résultat de Google est « Effects of Neonicotinoid Pesticide Exposure on Human Health: A Systematic Review » (effets des pesticides néonicotinoïdes sur la santé humaine : une recension systématique) d'Andria M. Cimino et al., cité par les auteurs de l'étude « scientifique ».

 

Conclusion réduite à sa plus simple expression :

 

« Les études menées jusqu'à ce jour ont été limitées en nombre avec des résultats suggestifs mais faibles du point de vue de la méthodologie liés à l'exposition chronique. »

 

Voilà un résumé difficile à analyser.

 

Absence de preuve ne vaut pas preuve de l'absence (constatation 1). 89 publications retenues au premier tri (les auteurs ne précisent malheureusement pas le nombre de départ), réduites à huit au final, cela suggère une production scientifique de piètre qualité – confirmée par l'évaluation des huit restantes (constatation 2).

 

On peut creuser davantage : une étude sur 19 travailleurs forestiers, exposés professionnellement, n'a pas montré d'effets nocifs, quatre études sur la population générale font état d'associations avec des troubles du développement ou neurologiques. Mais correlation is not causation, une corrélation n'est pas un lien de cause à effet. Et les travailleurs forestiers ont dû être exposés bien davantage que la population générale.

 

Au final, on peut penser que cette étude étaie l'affirmation de la « rareté des études sur la santé humaine » (hypothèse 1). Mais on peut tout aussi bien affirmer qu'au vu du biais du militantisme (illustré par des dérives hautement caricaturales) et du biais de publication (qui tend à écarter des revues les travaux « négatifs »), cette étude penche en faveur de l'absence d'effets nocifs... maintenant confirmée par l'ANSES (hypothèse 2). Nous pensons que la 2 est plus qu'une hypothèse.

 

 

Deuxième référence : James G. Scott et al.

 

Dans « Environmental Contributions to Autism: Explaining the Rise in Incidence of Autistic Spectrum Disorders » (contribution environnementale à l'autisme : expliquer l'augmentation de l'incidence des troubles du spectre autistique), James G. Scott et al. se consacrent à un faisceau de troubles particuliers. Cela étaie-t-il l'affirmation – d'une grande généralité – d'« effets indésirables sur la santé » ? La différence de champ d'investigation suffit pour répondre par la négative.

 

De plus, Scott et al. n'évoquent que les organochlorés dans deux déclarations quelque peu contradictoires :

 

« L'exposition gestationnelle aux pesticides organochlorés, en particulier l'endosulfan et le dicofol, a été associée à un risque six fois plus élevé d'autisme dans la descendance. Malgré la forte association, il est peu probable que les organochlorés soient responsables de l'augmentation de l'incidence de l'autisme chez les enfants dans les pays développés. L'utilisation de ces pesticides est devenue très réglementée et dans de nombreux pays ils sont complètement interdits. »

 

Et (dans la discussion) :

 

« À l'exception de la pollution de l'air et des pesticides organochlorés, il y a peu ou pas de preuve que les toxines externes soient associées à un risque accru d'autisme. »

 

Conclusion : référence inappropriée.

 

 

Troisième référence : Xu Wang et al.

 

Nous n'avons pas accès à « Mechanism of Neonicotinoid Toxicity: Impact on Oxidative Stress and Metabolism » (mécanisme de la toxicité des néonicotinoïdes : impact sur le stress oxydatif et le métabolisme) de Xu Wang, et al., mais le titre suffit pour conclure : ce sont des études sur l'in vitro, très loin de l'in vivo.

 

 

Que conclure ?

 

Peut-être que la prudence exige de ne pas conclure de manière trop explicite...

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