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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Le Sri Lanka lève l'interdiction du glyphosate dans les plantations de thé et d'hévéa

2 Mars 2018 , Rédigé par Seppi Publié dans #Glyphosate (Roundup), #Politique

Le Sri Lanka lève l'interdiction du glyphosate dans les plantations de thé et d'hévéa

 

André Heitz*

 

 

 

 

 

Le poids du militantisme

 

Cherchez « Sri Lanka » et « glyphosate » sur votre moteur de recherche favori et vous tomberez invariablement sur un tombereau d'articles sur l'interdiction de la matière active dans ce pays. L'industrie de la peur et de la pesticidophobie, ainsi que la gesticulation anticapitaliste (« altermondialiste » pour faire politiquement correct), sont d'une redoutable efficacité. C'est regrettable mais ainsi... aux rationalistes de faire un meilleur job.

 

 

 

 

Le Sri Lanka embraye la marche arrière

 

Quand on limite sa recherche aux derniers articles, une autre image apparaît... qu'on ne verra ni dans les médias classiques, ni sur les pages « alternatives » des réseaux sociaux, et encore moins sur les sites militants : NewsIn Asia annonce que : « As part of post-poll reform, Lanka lifts ban on glyphosate for tea and rubber plantations » (dans le cadre de la réforme post-électorale, le Sri Lanka lève l'interdiction du glyphosate pour les plantations de thé et de caoutchouc).

 

Plus précisément :

 

« Dans son premier acte de réforme après la défaite humiliante subie lors des élections locales du 10 février, le gouvernement d'unité nationale (NUG) dirigé par le président Maithripala Sirisena et le Premier ministre Ranil Wickremesinghe a temporairement levé l'interdiction de l'utilisation du glyphosate par les plantations de thé et de caoutchouc dans le pays. »

 

 

 

 

Cela risque d'être temporairement durable et durablement temporaire... Mais soyons prudents. Une annonce est un peu comme l'hirondelle relativement au printemps.

 

 

Une interdiction... bassement politicienne

 

L'article apporte toutefois des révélations importantes :

 

« L'interdiction avait été imposée [en 2015] à la demande d'un ami environnementaliste du président. Mais cela a gravement nui aux plantations de thé et d'hévéas qui sont les principaux contributeurs à la caisse du pays.

 

Les protestations des planteurs sont restées lettre morte jusqu'à ce que les résultats des élections locales montrent que le NUG [le gouvernement d'union nationale] était impopulaire dans tous les secteurs.

 

Le NUG a maintenant décidé d'autoriser l'utilisation du glyphosate dans les plantations de thé et de caoutchouc et a suggéré de formuler une nouvelle politique après un examen approfondi des avantages et des inconvénients. »

 

Ainsi donc, cette décision d'interdiction avait été un cadeau... le prix d'une corruption électorale.

 

En fait, cette information était déjà donnée par Mme Marie-Monique Robin – eh, oui... – dans « Le Roundup face à ses juges » :

 

« Élu le 8 janvier 2015, le nouveau président a pris aussitôt une décision qui défraya la chronique internationale : il a déclaré l'interdiction immédiate du glyphosate dans tout le Sri Lanka, dans le but de "protéger la santé du peuple et la communauté paysanne". […] Cette décision, qui constituait une première mondiale, était l'une des principales revendications du mouvement dirigé par le révérend Rathana pour soutenir l'élection de Maithripala Sirisena. Fervent défenseur de l'agriculture biologique, le moine [...] »

 

 

Le prétexte de la santé...

 

Si on lit bien la prose ci-dessus – ce qu'on ne fait hélas pas toujours face au déluge verbal – il devient évident que « la santé du peuple » n'a été qu'un prétexte, et non ce qui est décrit dans la littérature militante : une réponse à un scandale sanitaire majeur – une incidence élevée de la « maladie rénale chronique » dont ladite prose « oublie » souvent la fin de l'appellation exacte, « ...d'étiologie inconnue ».

 

 

 

 

L'un des pourfendeurs les plus en vue du glyphosate au Sri Lanka est M. Channa Jayasumana. Il fut « témoin » à la mascarade du « Tribunal International Monsanto ». Mais sa contribution écrite est plutôt mesurée– verba volent, scripta manent... : il a développé avec ses collègues une « théorie cohérente », qui fait évidemment une part belle au glyphosate.

 

« Glyphosate, Hard Water and Nephrotoxic Metals: Are They the Culprits Behind the Epidemic of Chronic Kidney Disease of Unknown Etiology in Sri Lanka? » (glyphosate, eau dure et métaux néphrotoxiques : sont-ils les coupables derrière l'épidémie de maladie rénale chronique d'étiologie inconnue au Sri Lanka ?) semble être sa dernière publication évoquant le glyphosate. Avec de grandes précautions puisqu'on en reste aux hypothèses.

 

On en est toujours aux hypothèses dans la dernière publication à laquelle il a participé, « Chronic interstitial nephritis in agricultural communities: a worldwide epidemic with social, occupational and environmental determinants (néphrite interstitielle chronique dans les communautés agricoles : une épidémie mondiale avec des déterminants sociaux, occupationnels et environnementaux).

 

Le militant sri-lankais au secours de l'interdiction du glyphosate en Europe

 

Mais cela ne l'empêcha pas de s'exprimer avec vigueur dans une séquence diffusée au journal de 20 heures du 26 novembre 2017 (la veille du renouvellement de l'autorisation du glyphosate pour cinq ans) : « Je ne vois pas pourquoi on ne bannirait pas le glyphosate partout dans le monde. C'est in agent toxique pour les reins. Mais c'est aussi un cancérigène. Il cause aussi des anomalies hormonales [...] »

 

Pourtant, M. Jayasumana avait participé à une consultation internationale d'experts sur la maladie rénale chronique d'étiologie inconnue organisée par l'OMS Asie-Pacifique qui a eu lieu du 27 au 29 avril 2016. Les expertsen avait conclu que les études sur le lien avec le glyphosate (essentiellement les siennes...) étaient inconclusive – ne permettaient pas de conclure.

 

Mais le chercheur militant – ou militant chercheur – a raison contre le reste de la communauté scientifique, n'est-il pas ?

 

 

...et le peuple pris en otage

 

Décréter que le glyphosate est le coupable – certes en association avec d'autres facteurs – revient à orienter la recherche sur une fausse piste. Le militantisme pourra avancer autant d'arguments prétendument dirimants, le fait est que les liens allégués ne sont pas établis, ni même plausibles.

 

C'est le peuple sri-lankais qui a été pris en otage du point de vue de sa santé (et l'est encore s'agissant des cultures autres que le thé et l'hévéa).

 

Du point de vue de l'économie aussi. La séquence du journal de France 2 est pour une fois équilibrée (2:32 contre le glyphosate, 1:20 d'explications sur les effets économiques de l'interdiction – n'en demandons pas trop...). Ce qui est notamment évoqué, c'est l'obligation de désherber à la main et une baisse du rendement de 20 %. On retrouve ce chiffre ici.

 

Notez bien que ces informations ne sont pas reflétées dans le texte sur Internet... Nos chaînes publiques sont d'une parfaite objectivité et honnêteté intellectuelle...

 

Un article très récent, « Glyphosate ban hits Sri Lankan exports » (l'interdiction du glyphosate affecte les exportations sri-lankaises) apporte d'autres informations. Sauf à employer des gens pour le harassant désherbage à la main (voir la séquence du journal de France 2) – et à les exposer aux morsures de serpents (un important problème de santé publique dans ce pays) – les producteurs ont eu recours à d'autres herbicides. Résultat : des problèmes à l'exportation du fait de la présence excessive de résidus d'herbicides.

 

 

Ces messages seront-ils entendus en France ?

 

La France n'est pas le Sri Lanka, les prémisses des problématiques respectives sont différentes, mais il y a des leçons à tirer du cas sri-lankais. Le seront-elles ?

 

_________________

 

André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.

 

Cet article est paru dans Contrepoints.

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