Haro sur les néonicotinoïdes, énième épisode
Dans l'Alberta, au Canada, l'apiculture est florissante. Le canola (colza) est pourtant majoritairement issu de semences traitées aux néonics.
Les néonicotinoïdes réapparaissent sur les radars. Et ce qui se dessine, ce n'est pas seulement leur sort (ils sont quasiment condamnés en Europe), mais aussi celui d'une forme d'agriculture et, par implication, des abeilles et de l'environnement.
Le 28 février 2018, l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) a publié ses nouvelles évaluations des risques pour les abeilles (au sens large) de la clothianidine, de l'imidaclopride et du thiaméthoxame (communiqué de presse – « Néonicotinoïdes : confirmation du risque pour les abeilles » –, avec liens vers les documents ; questions & réponses). En résumé :
« L'EFSA a comparé les niveaux escomptés de pesticides néonicotinoïdes auxquels les abeilles sont susceptibles d'être exposées dans l'environnement avec les niveaux qui engendrent des effets sur les abeilles. Chaque fois que la contamination environnementale estimée était supérieure aux niveaux considérés comme sans danger pour les abeilles, les experts ont conclu qu'il existait un risque élevé pour les abeilles. Pour toutes les utilisations de ces substances en extérieur, au moins un aspect considéré dans l'évaluation indiquait un risque élevé, ce qui a mené les experts à conclure que les néonicotinoïdes représentaient globalement un risque pour les abeilles.
Le mot clé ici est « globalement ». Ainsi, dans la plupart des cas où de faibles risques ont été identifiés pour un usage particulier, des risques élevés ont également été identifiés pour la même utilisation. Par exemple :
Les conclusions sur le risque varient en fonction de facteurs tels que l’espèce d'abeilles, l'utilisation prévue du pesticide et la voie d'exposition (résidus dans le pollen et le nectar, dérive de poussière pendant l'ensemencement ou l’application de graines traitées et consommation d'eau). Cependant, prises dans leur ensemble, les conclusions confirment que les néonicotinoïdes posent un risque pour les abeilles.
C'est un résumé, mais ne faut-il pas s'inquiéter sur la démarche : « Chaque fois que la contamination environnementale estimée était supérieure aux niveaux considérés comme sans danger pour les abeilles, les experts ont conclu qu'il existait un risque élevé pour les abeilles » ? Vraiment ?
Une partie du tableau récapitulatif pour le thiaméthoxame en traitement des semences et granulés
Cela semble plutôt être de la communication approximative.
Délibérée ? Jolie question pour les complotistes (enfin s'il s'en trouve puisque les évaluations doivent ravir le monde du militantisme anti-pesticides).
C'est que l'EFSA a été requise de procéder sur la base du « document d'orientation spécifiquement élaboré par l'EFSA pour l'évaluation des risques associés aux pesticides pour les abeilles ». Publié le 4 juillet 2013 et mis à jour le 4 juillet 2014, ce document n'a toujours pas été adopté par la Commission Européenne (selon la procédure prévue à l'article 77 du Règlement N° 1107/2009. Il va y avoir des actions en justice (pour autant que nous ayons bien cherché, le lors de la réunion du comité permanent compétent des 6 et 7 octobre 2016 et il ne s'est rien passé de significatif depuis)...
Quoi qu'il en soit, le problème de ces évaluations se situe aussi au niveau de l'absence de contextualisation et de relativisation. Un « risque élevé » est-il pertinent s'il ne se pose que dans une fenêtre de temps très limitée ? Un risque, même élevé, est-il acceptable au vu des bénéfices acquis par ailleurs, ou des risques bien supérieurs posés par les alternatives de lutte contre le ravageur visé ?
C'est ce genre de considérations qui devrait être pris en considération par les autorités investies du pouvoir de décision sur les autorisations de mise en marché et d'usages. Mais, dans cette Europe que l'on tente de vanter aujourd'hui par le fait qu'elle « protège », il n'y a aucun organe apportant l'éclairage nécessaire sur les autres facettes de la problématique.
Il va de soi que les médias n'ont retenu que le strict minimum : néonicotinoïdes = risques, en accord avec la phraséologie désormais incontournable des « tueurs d'abeilles ».
Cette annonce s'est répandue dans les médias comme la vérole sur le bas-clergé... Le Monde nous gratifie de quatre articles en quatre jours :
- Les experts européens confirment les risques des néonicotinoïdes pour les abeilles (de M. Stéphane Foucart)
- Les insecticides néonicotinoïdes, des molécules à l’utilité contestable (de M. Stéphane Foucart)
- Les abeilles devront-elles faire face à une nouvelle génération de néonicotinoïdes ? (une vidéo avec M. – oups ! – Dr Jean-Marc Bonmatin)
Dans la vidéo, « [l]e chimiste et toxicologue Jean-Marc Bonmatin explique que les industriels tentent de mettre sur le marché deux nouvelles molécules dont le mode d’action est semblable à celui des néonicotinoïdes... »
Le sort des trois néonics n'est pas encore scellé, mais il est temps de commencer (en fait continuer) à creuser la tombe des deux prochaines victimes du militantisme, le sulfoxaflor et la flupyradifurone...
Le glas sonnera bientôt pour la clothianidine, l'imidaclopride et le thiaméthoxame (dont une grande partie des usages ont déjà été suspendus – en France, les néonics seront interdits d'utilisation à compter du 1er septembre 2018, sauf dérogation (ne rêvons pas...)). Sur sa page dédiée aux néonicotinoïdes, la Commission Européenne annonce qu'elle « est déterminée à prendre l'approche la plus précautionneuse possible pour protéger les abeilles ».
Selon le premier article cité ci-dessus,
« "La position que nous soutenons est une interdiction totale de ces trois substances actives, à l’exception des usages sous serre, explique-t-on à la Commission européenne. Cette proposition doit être discutée en comité d’experts des Etats membres, sans doute le 22 mars." Le vote ne devrait avoir lieu que plus tard au printemps. »
C'est de la gesticulation journalistique : les projets de règlements de la Commission sont en ligne !
On voit mal une majorité qualifiée d'États membres s'opposer à une telle proposition, compte tenu des évaluations de l'EFSA, de la situation politique dans nombre d'États, et des pressions médiatiques et militantes. En décembre dernier, le rapport de forces était de 11 en faveur de la proposition de la Commission, 6 contre (mais pour des raisons non divulguées) et 11 sans opinion.
Sur sa page dédiée aux néonicotinoïdes, la Commission indique qu'elle « déterminée à prendre l'approche la plus précautionneuse possible pour protéger les abeilles ».
Y compris l'illégalité ? Y compris la quasi-suppression d'un document du Centre Commun de Recherche –pas vraiment à l'avantage des restrictions d'usage – sur la gestion des ravageurs après les restrictions sur les néonicotinoïdes et le fipronil (voir aussi ici : l'étude a été finalement publiée dans une revue scientifique) ?
Personne, dans les médias généralistes, n'a critiqué les procédures et évaluations de l'EFSA.
Ben oui, ce n'est pas un constat d'innocuité comme dans le cas du glyphosate ! Bizarre... Comme c'est bizarre...
Le plus cocasse dans cette frénésie journalistique est que l'article précédent du Monde (du 10 février 2018 et de... M. Stéphane Foucart) avait pour titre : « Toutes les procédures d’évaluation des risques des pesticides sur les abeilles sont, au minimum, très discutables ».
Nous traduirons sous peu l'opinion du Risk-monger.