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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Perturbateurs endocriniens : une fuite de rapport organisée vers le Monde (de Stéphane Foucart)

5 Février 2018 , Rédigé par Seppi

Perturbateurs endocriniens : une fuite de rapport organisée vers le Monde (de Stéphane Foucart)

 

 

 

L'article a – bien sûr – été illustré par une (autre) photo de traitement phytosanitaire sur la page d'accueil du Monde. Il doit être trop difficile de comprendre dans ce journal que nous sommes exposés à une multiplicité de substances dans la vie courante... à moins de considérer que la politique éditoriale consiste à stigmatiser l'agriculture productive.

 

 

Digression préliminaire : une formidable leçon de civisme

 

Commençons par une sorte de digression : ils n'ont pas été vraiment nombreux, les médias, qui ont répercuté la mise au point de Mme la procureure de Besançon Edwige Roux-Morizot, en charge de l'affaire Alexia Daval. Ce ne sont pas les termes exacts, mais voici ce qu'Actu Orange a retranscrit :

 

« Ni les enquêteurs, ni le juge d'instruction ne peuvent prendre la parole. Alors (...), c'est moi, la procureure, qui la prend pour porter la raison au milieu de cette folie médiatique qui oublie que, derrière cette histoire qu'on déroule de manière indécente, se joue le destin d'un homme qui doit bénéficier de la présomption d'innocence, bafouée chaque jour. »

 

Elle a aussi souligné que « cette valeur fondamentale de la présomption d'innocence et du secret de l'instruction ne se marchande pas », et fustigé les « violations répétées et inadmissibles du secret de l'instruction ».

 

 

Un grand merci pour cette leçon de civisme dont nous aurions un grand besoin de façon répétée, tant les médias sont devenus des charognards et des racleurs de caniveaux.

 

Quel contraste aussi avec ces autres procureurs qui, usant du droit de s'exprimer que leur accorde la loi, ne ratent pas une occasion de se placer devant une caméra, de faire le beau et de rapporter des faits qui devraient rester à l'abri du secret de l'instruction et non livrés au tribunal de l'opinion publique.

 

 

Préparer l'opinion dite « publique »

 

Comment manipuler l'opinion publique...

 

Il est un autre domaine où la déontologie se perd : l'action administrative et gouvernementale sur des sujets sensibles.

 

En août 2017, le gouvernement avait commandé un rapport d’évaluation de la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens à l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), au Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) et au Conseil Général de l’Alimentation, de l’Agriculture et des Espaces Ruraux (CGEDD). Ce rapport aurait été remis à leurs ministères de tutelle courant janvier.

 

Il a manifestement fait l'objet d'une fuite vers le Monde de Stéphane Foucart. Celui-ci a pu écrire en avant-première un article, « Perturbateurs endocriniens : le rapport-choc de l’IGAS », dont le rôle a évidemment été de donner le la pour les autres échos dans la presse.

 

L'article a été mis en ligne le 2 février 2018 à 06h45. C'est malin : le rapport a été mis en ligne également le 2 février 2018... mais certainement pas à la même heure matinale.

 

Une commentatrice a écrit dans le Monde :

 

« Le texte n'est pas publié, mais des fuites exposent que les scientifiques ne savent pas grand chose car les preuves sont difficiles à établir. Tout ça donne un rapport choc. Choc de l'ignorance et choc de l'exploitation de l'ignorance. »

 

Que faut-il retenir ? Peut-être bien la manipulation médiatique orchestrée par la rencontre entre l'auteur de la fuite et l'auteur de l'article. Une manipulation parfaitement illustrée par le titre de l'article du Point : « Perturbateurs endocriniens : un rapport tire la sonnette d'alarme ».

 

Car il est impératif pour l'activisme de placer ce dossier dans le registre de l'émotion et de l'angoisse.

 

Le Monde nous propose des citations, bien sûr destinées à effrayer le lecteur et à stimuler le cerveau reptilien.

 

 

« Un enjeu majeur pour l’environnement et la santé »

 

 

Un autre enjeu majeur...

 

 

Voici la première « citation » extraite du Monde (le texte extrait du rapport est en caractères romains) :

 

« S’il dresse un bilan positif de l’action de l’Etat engagée depuis 2014 dans ce domaine, il en souligne de nombreuses limites au regard des enjeux, qualifiés de "majeurs pour la santé et l’environnement". »

 

Nous avons mis des guillemets car la citation n'existe pas ! Le mot « majeurs » apparaît deux fois dans le rapport : à propos de l'Initiative Française pour la Recherche en Environnement Santé (IFRES) :

 

« La question des perturbateurs endocriniens y est fortement prise en compte et celle-ci est l’objet d’un des neuf programmes de recherche ciblés identifiés dans ce plan d’action au côté de programmes de financement généralistes pour animer des communautés scientifiques sur des sujets majeurs de santé publique ou de risque environnemental. »

 

Et à propos des Centres Nationaux de Référence :

 

« Outre les CNR, il existe des centres uniques pour des enjeux jugés majeurs dans les domaines de la santé publique et le développement industriel : centre des biofilms aux USA, centre de la corrosion en Suède … »

 

Il y a cependant un sous-titre dans le fil suivant introduit par : « Les perturbateurs endocriniens, un sujet émergent en matière de santé publique et scientifiquement complexe » : « Un enjeu majeur pour l’environnement et la santé ». C'est suivi de : « ...qui remet en cause les principes de la toxicologie », « ...qui suscite une préoccupation croissante du public », « ...et s’avère porteur de forts enjeux économiques ».

 

Un titre de section pour seule référence ? C'est un peu court pour prétendre que les perturbateurs endocriniens sont « qualifiés de "majeurs pour la santé et l’environnement».

 

Ne cherchez pas de référence aux enjeux économiques dans l'article de M. Stéphane Foucart : c'est pour lui un non-sujet.

 

 

La « crédibilité de l’action communautaire »

 

Deuxième citation extraite du Monde :

 

« Les rapporteurs se montrent aussi, en creux, très critiques vis-à-vis de l’action conduite au niveau européen, notamment par la Commission de Bruxelles, et s’interrogent sur la "crédibilité" de l’action communautaire. »

 

C'est « en creux »..., capillotracté et dans la grande tradition de l'animosité affichée dans la rubrique Planète envers la Commission Européenne. Du texte du rapport :

 

« Incidemment, la mission relève également que le différentiel entre la vitesse des avancées des connaissances scientifiques et la capacité d’adaptation des règlements sur ce type de sujet émergents est de nature à nuire à la crédibilité de l’action communautaire et des états membres. »

 

Cette phrase est aussi citée plus bas dans l'article du Monde. Mais elle est amputée de son début – ce n'est donc plus une remarque incidente – et de sa fin – ce qui met en cause la seule « action communautaire » :

 

« Les rapporteurs le disent sans fard : la question n’est pas seulement sanitaire ou environnementale, mais concerne aussi la crédibilité des pouvoirs publics. "Le différentiel entre la vitesse des avancées des connaissances scientifiques et la capacité d’adaptation des règlements sur ce type de sujets émergents est de nature à nuire à la crédibilité de l’action communautaire", écrivent-ils. »

 

 

Les « très fortes externalités négatives »

 

Troisième citation extraite du Monde :

 

« Incidemment, le rapport des trois institutions forme l’un des premiers documents officiels résumant, dans un langage non technique, l’étendue des problèmes posés par les perturbateurs endocriniens (PE), décrits comme sources de "très fortes externalités négatives", c’est-à-dire de dégâts collatéraux très importants. »

 

Que dit le rapport... sous « ...et s’avère porteur de forts enjeux économiques » ?

 

« D’un autre côté, les très fortes externalités négatives liées à l’usage de substances à effets PE pourraient plaider en faveur d’une interdiction ou de la limitation des usages en fonction de la graduation des risques. S’agissant de ce dernier point, une étude de 2015, citée par la lettre de mission, avance un coût annuel de 150 Mds € par an pour le seul système de santé européen6 , soit l’équivalent de 1,23 % du PIB de l’Union européenne. »

 

Une très fortes externalité négative d'un groupe de puissants perturbateurs endocriniens...

 

N'y aurait-il pas eu un subtil glissement sémantique ? Une généralisation dans le Monde d'un propos qui, dans le rapport, porte spécifiquement sur ceux des perturbateurs endocriniens qui auraient des externalités très fortes ? M. Foucart doit certainement connaître la différence entre « ...l’usage de substances à effets PE » et « ...l’usage des substances à effets PE »...

 

Notez aussi la prudence des rapporteurs : pourquoi « pourraient plaider » ? Ces « très fortes externalités négatives » ne seraient-elles pas, au bout du compte acceptables ou tolérables ? Nonobstant « une étude de 2015 » – laquelle a été mise en pièces par M. Philippe Stoop sur Forumphyto. Il suffit du reste de lire le résumé de l'article pour se rendre compte de la gravité de la farce.

 

Il nous semble que cette sorte de désinvolture des rapporteurs – aux yeux des marchands de peur – face à une annonce apocalyptique eût été une information importante pour les lecteurs... Mais cela ne cadrait pas avec le propos.

 

 

Ah, la force des suspicions...

 

Quatrième citation extraite du Monde :

 

« "Un certain nombre d’affections de la santé humaine sont aujourd’hui suspectées d’être la conséquence d’une exposition aux PE : baisse de la qualité du sperme, augmentation de la fréquence d’anomalies du développement des organes ou de la fonction de reproduction, abaissement de l’âge de la puberté, détaille le rapport. Le rôle des PE est aussi suspecté dans la survenue de certains cancers hormonodépendants, ainsi que des cas de diabète de type 2, d’obésité ou d’autisme." »

 

Nous sommes bien, ici, dans le domaine de la citation... mais elle provient de la description liminaire du champ couvert par le rapport. Avec deux fois le mot « suspecté »... Comme l'a écrit une commentatrice : « Choc de l'ignorance et choc de l'exploitation de l'ignorance. »

 

 

Des « impacts majeurs » ?

 

Cinquième citation extraite du Monde :

 

« Les rapporteurs ajoutent que les effets de ces substances dépendent de l’âge de l’exposition, les impacts majeurs étant le fait d’une exposition "au cours du développement foeto-embryonnaire, de la petite enfance et de la puberté". Les effets attendus étant différés dans le temps ou le résultat d’une exposition chronique, "le lien de causalité reste souvent difficile à établir", ajoutent les auteurs. »

 

Voici la suite du paragraphe du rapport que nous avons cité ci-dessus :

 

« L’âge d’exposition est déterminant, car les impacts sont surtout consécutifs à l’exposition pendant la période de gestation. Le développement fœto-embryonnaire, la petite enfance et la puberté sont des périodes de sensibilité accrue à ces substances.

 

Il y a, comme qui dirait, une petite nuance entre « impacts majeurs » et « sensibilité accrue »...

 

La citation sur le lien de causalité est à peu près exacte, mais elle est dans une section différente.

 

 

Qu'est-ce qui est prioritaire ?

 

Sixième citation extraite du Monde :

 

« Mise en place en avril 2014, la stratégie nationale pour répondre aux défis scientifiques et réglementaires liés à ces substances est identifiée comme l’une des trois seules initiatives de ce type en Europe – avec la Suède et le Danemark. "Dans un contexte où l’Union européenne, pourtant chargée de réglementer le risque chimique, est en manque de stratégie cohérente, [cette stratégie nationale] était très opportune pour affirmer la volonté politique française d’agir sur un sujet complexe (…) prioritaire en santé-environnement", estiment les auteurs du rapport. »

 

Il y a une partie omise. La voici : « qui est une préoccupation prioritaire »... remarquable glissement sémantique : le « sujet » est du domaine du réel, la « préoccupation », du ressenti (et aussi de l'action politique et politicienne).

 

 

Une stratégie nationale positive

 

Septième citation extraite du Monde :

 

« Mesures de réduction de l’exposition des populations (en particulier au bisphénol A), formation de professionnels de santé, investissement dans la recherche scientifique, identification des substances les plus problématiques : la stratégie française, estiment les trois institutions, a donné des résultats positifs. Même s’ils "restent le plus souvent à amplifier". »

 

Nous voici enfin dans un domaine qui relève de l'information : la stratégie nationale a donné des résultats positifs. Et nous en resterons là pour l'analyse des citations. Car c'est de ce constat qu'il faut évaluer la situation et mesurer la justesse des discours et des suggestions anxiogènes. Une justesse que l'on peut aussi évaluer sur la base des conclusions des rapporteurs.

 

Que recommandent-ils au final, nos hauts fonctionnaires ? Selon leur liste :

 

« 1. Formaliser une nouvelle stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, placée sous pilotage interministériel. (MTES, MSS et al.)

 

2. Décliner la stratégie en plan(s) d’action doté(s) de moyens adaptés et mis en cohérence avec la programmation en santé environnement. (MTES, MSS et al.)

 

3. Créer par regroupement des moyens existants un centre de référence sur les perturbateurs endocriniens et appuyer la création d’une infrastructure de recherche et de service sur l’ensemble des expositions pouvant affecter la santé humaine au cours de la vie. (MESRI avec MTES et MSS)

 

4. Coordonner l’action des agences sanitaires sur les perturbateurs endocriniens à l’aide du comité d’animation du système d’agences. (MSS)

 

5. Mobiliser conjointement les ARS et les DREAL pour décliner localement les orientations nationales arrêtées dans les plans associés à la SNPE 2. (MTES, MSS)

 

6.Organiser les mesures opérationnelles de la future SNPE selon 5 axes : recherche, surveillance, caractérisation des dangers, gestion des risques, formation et information. (MTES, MSS et al.). »

 

Comme qui dirait du côté de Genève et Lausanne : « Y a pas le feu au lac ».

 

 

Rien de révolutionnaire

 

Il y a aussi ce passage dans le résumé :

 

« La mission propose de structurer la future stratégie selon cinq axes dont elle suggère certaines mesures à inscrire dans le plan d’actions :

 

1. Développer la recherche : donner une place à la thématique PE dans la stratégie nationale de recherche ; optimiser et ajuster les moyens dédiés à la recherche finalisée sur les PE ; développer l’expertise scientifiquement fondée ;

 

2. Renforcer la surveillance sanitaire et environnementale : surveiller les différents milieux et les produits alimentaires ; amplifier les études de biosurveilllance ;

 

3. Caractériser les dangers : parvenir à une définition réglementaire générique de critères PE ; déterminer les dangers ; diffuser des méthodes validées de testage des substances ;

 

4. Gérer les risques : prendre des initiatives pour faire évoluer la réglementation européenne ; interdire les substances dangereuses et favoriser les substitutions ; utiliser les leviers de marché ; contrôler l’application de la réglementation ;

 

5. Former, sensibiliser et informer : former les professionnels sur les risques associés aux PE ; informer la population et les consommateurs. »

 

Il n'y a là rien de révolutionnaire.

 

On pourrait se gausser du fait que les rapporteurs ont enfoncé des portes ouvertes.

 

On peut aussi constater que ce catalogue fort mesuré d'actions à prendre signale qu'il n'y a pas lieu d'être alarmiste ou, pire, hystérique.

 

 

Cocorico !

 

Notons encore cette dernière phrase du résumé du rapport :

 

« Couplé à une infrastructure de recherche et de service dédiée à l’exposome chimique humain, ce centre de référence donnerait à la France une place majeure dans les réseaux internationaux en santé-environnement. »

 

Nous aurions préféré une autre vision, avec une dimension européenne...

 

 

Petit rappel : le candidat Macron...

 

Le candidat Macron a défini des objectifs, certains ambitieux, d'autres mesquins, d'autres encore illusoires au sujet des perturbateurs endocriniens, dans le volet de son programme consacré à... l'environnement et la transition écologique :

 

« Nous fixons le cap de protéger les Français de leur exposition aux perturbateurs endocriniens, autres que les pesticides.

 

  • Nous interviendrons avec fermeté au niveau européen pour revoir totalement les méthodes d’évaluation des produits.

     

  • Nous promouvrons la position de la France comme leader dans la recherche sur l'impact de ces substances et sur nos capacités à les remplacer.

     

  • Nous rendrons plus transparente la rémunération des experts.

     

  • L'Etat interdira au plus vite les perturbateurs endocriniens repérés comme ayant des impacts sanitaires avérés ou probables, dès lors qu'il existe des solutions scientifiquement reconnues comme moins toxiques.

  • Nous mettrons en place un site national d'information des Français sur ces perturbateurs, particulièrement pour les produits commercialisés à destination des enfants et des femmes enceintes. »

 

Pourquoi « autres que les pesticides » ? Parce que le point précédent se lit :

 

« Nous [...] définirons [dans le cadre d’un “Grenelle de l’alimentation”] un calendrier prévoyant l’élimination progressive des pesticides en commençant par ceux qui présentent un risque pour la biodiversité ou la santé, et le développement d’alternatives. Nous soutiendrons l’adoption d’exigences similaires au niveau européen, dans le but d’accélérer la mutation de la filière agroalimentaire.

 

  • Dès le début du quinquennat, nous séparerons les activités de conseil aux agriculteurs et de vente des pesticides qui peuvent susciter des conflits d’intérêt. »

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