Opinion : Les agriculteurs africains empêchés d'utiliser des bananiers GM sauveurs de vies par des activistes européens
Je me trouvais dans un champ de bananiers et j'ai dû retenir mes larmes. Les grandes feuilles vertes des rangées de plantes régulièrement espacées créaient un plafond dense au-dessus de nous, et formaient une grotte derrière nous alors que nous marchions maladroitement en évitant les trous et les bosses avec des chaussures conçues plus pour la salle de bal que pour la visite d'une plantation. Un groupe de scientifiques et de journalistes du Ghana, du Royaume-Uni, de l'Ouganda et des États-Unis s'était faufilé au cœur du champ alors que le soleil se couchait rapidement sur le Laboratoire National de Recherche Agricole (NARL) de Kawanda, en Ouganda. L'institution se situe à environ 10 kilomètres au nord de la capitale, Kampala. Nous avons voyagé ensemble pour constater (et célébrer) un grand pas en avant dans la mission qui est d'aider les agriculteurs les plus pauvres de l'Afrique de l'Est et d'assurer la disponibilité d'un aliment de base qui nourrit des millions de gens dans la région.
Le trajet jusqu'à Kawanda était lent. Nous nous sommes faufilés à travers les encombrements d'une circulation poussiéreuse dans un minibus, coincés parmi les voitures fumantes, les bus et les camions bruyants. Les bodabodas (motos) étaient les seuls véhicules à évoluer avec autorité, et même ceux qui étaient à pied semblaient progresser plus rapidement que nous.
Cette progression lente nous donnait amplement l'occasion d'étudier les stands de fruits campés le long de la route, et il y avait un thème commun : de grandes mains vertes de matooke fraîchement coupées de l'arbre. Les matookes sont des bananes à cuire. Pour le visiteur, ils ressemblent à la banane dessert, peut-être un peu plus grands et pointus. Pour mon œil non averti, ils ne semblaient pas très différents des bananes que l'on trouve dans un rayon de fruits et légumes de la ville de New York, mais les locaux pouvaient vous parler des variétés et des saveurs simplement en regardant une main sur le marché.
Dans cette région, le matooke est un aliment de base quotidien. C'est un féculent avec une saveur douce et il est préparé en cuisant la pulpe à la vapeur et en la recouvrant d'une sauce ou d'un ragoût. Le voisin le plus proche, pour l'occidental, est la banane plantain, mais pour les gens de la région des lacs africains, le matooke est la base de l'alimentation, tout comme le riz, les nouilles ou les pommes de terre dans d'autres parties du monde.
La production de cet élément de base de l'alimentation est menacée. Une maladie bactérienne connue sous le nom de flétrissement bactérien du bananier (Banana Xanthomonas Wilt (BXW)) infecte les plantes qui sombrent rapidement dans un déclin mortel. La maladie se manifeste d'abord par une diminution notable de la vigueur, suivie du jaunissement, du flétrissement et de la mort des feuilles.
Les agriculteurs de la région se réfèrent à leur petite parcelle de bananiers comme leur « jardin », ce qui en dit long. Il y a de l'intimité dans un jardin, et cela le distingue d'une ferme. Il est personnel. Leur jardin les nourrit, soutient leurs familles. Chaque plante est spéciale et honorée.
Lorsque la maladie frappe, elle se propage rapidement dans le jardin de matooke, entraînant des pertes dévastatrices. Une fois les symptômes présents, les bananiers doivent être abattus et brûlés. Un bananier de remplacement productif prend des années à pousser. Le jardin vit au rythme de la maladie.
Les agriculteurs de la région n'ont pas les options qu'ont les agriculteurs de l'Occident. Il y a peu de produits chimiques disponibles pour lutter contre les agents pathogènes microbiens et les nématodes ; ils dépendent donc de mesures sanitaires impeccables et de pratiques agronomiques prudentes pour éviter les problèmes à la source. Les outils sont stérilisés, les mains sont lavées, des bottes en caoutchouc à hauteur de genou sont aspergées de désinfectant avant d'entrer dans le jardin. La prophylaxie rigoureuse est la seule défense dans un endroit privé de solutions alternatives.
Enfin, c'était le cas.
Des scientifiques gouvernementaux de l'Ouganda et du Kenya ont utilisé les stratégies du génie génétique pour résoudre le problème. Au cours des trente dernières années, des scientifiques du monde entier ont caractérisé les gènes qui renforcent la résistance des plantes aux maladies chez des centaines d'espèces végétales. Nous mangeons les gènes et les produits pour lesquels ils codent dans chaque bouchée de pomme, de laitue, de riz ou de toute plante. Les gènes de résistance sont présents dans toutes les plantes, et la bonne combinaison de gènes est ce qu'il faut pour une puissante défense contre les pathogènes.
Les gènes de résistance du poivron ont été étudiés pendant des décennies. Le Dr Leena Tripathi et son équipe de l'Institut International d'Agriculture Tropicale ont ensuite transféré deux gènes de résistance spécifiques (appelés HRAP et PFLP) du poivron au matooke. Des années plus tard, les plantes sont belles, debout, vertes et fortes, même en présence de la maladie.
Se tenir sous eux est à couper le souffle. J'ai levé les yeux et j'ai vu un remède à la famine. Ces plantes ne nourriront sans doute pas le monde, mais elles pourraient apporter une sécurité dont les petits agriculteurs d'Afrique de l'Est ont désespérément besoin pour remplir leurs assiettes.
Mme Priver Namanya dans son champ d'essais à Kawanda
C'est sous cette canopée de plantes résistantes à la maladie que le Dr Priver Namanya nous a raconté l'histoire du matooke modifié et du succès du transfert de la résistance au flétrissement bactérien. Elle nous a gentiment escortés sur le terrain, en tongs et une jupe à fleurs lumineuses, souriant tout le temps quand elle nous montrait son travail. Vous pouviez voir qu'elle était fière des solutions qu'elle a aidé à créer et à favoriser. Elle nous a parlé de la génétique qui permet également de combattre des maladies fongiques comme la cercosporiose noire (black sigatoka), également endémique dans la région. Nous étions assemblés sous la preuve que cet aliment de base pourrait être protégé par un petit coup de pouce de la biotechnologie moderne.
Feuille de bananier atteinte par la cercosporiose noire
Je pense que c'était la première fois que je devenais très émotif sur le terrain. En tant que scientifique, cela devient émouvant lorsque des professionnels dévoués comme le Dr Namanya expliquent un problème comme le BXW, ses effets dévastateurs, puis la solution qu'ils ont conçue et réalisée. Il était facile de ressentir son amour pour les gens, sa passion, sa mission. Ensuite, il y a le moment fort où vous touchez la preuve physique que les scientifiques peuvent effectivement protéger des plantes en transférant un gène ou deux d'une espèce de plante à une autre.
Et quand vous vous tournez vers la gauche, la plante étiquetée « témoin » est une souche brune avec des feuilles qui ont disparu depuis longtemps.
Le bananier résistant au flétrissement est prêt à être offert aux agriculteurs qui en ont besoin. Ils peuvent ensuite produire des plantes supplémentaires à partir des rejets – les plantes filles qui naissent sur les racines et peuvent être séparées et replantées pour produire plus d'arbres résistants aux maladies.
Sur un autre front, le Dr. James Dale de l'Université du Queensland a mis au point un matooke avec une mission entièrement différente : sauver la vue des enfants ougandais. La carence en vitamine A est un problème énorme dans le monde en développement, et est monnaie courante dans les régions qui consomment du matooke. La banane de matooke manque de bêta-carotène, le pigment orange que l'on trouve dans les carottes. Lorsqu'il est consommé, le bêta-carotène est transféré dans le sang, et une partie se retrouve dans les tissus de l'œil, où des enzymes spécialisées le transforment en vitamine A, vitale et qui sauve des vies.
L'équipe de Dale a fourni l'information génétique nécessaire pour que le bananier matooke puisse produire le pigment orange vital. Ils ont inséré un gène d'un parent du bananier appelé banane fe’i asupina dans le matooke. La banane fe’i asupina produit de minuscules bananes oranges et sucrées.
Dale dit que les bananiers à haute teneur en bêta-carotène se portent bien et qu'ils devraient être déployés dans quelques années. Le problème est que les enfants en ont besoin aujourd'hui. Ils en avaient besoin hier. Les enfants souffrent des effets à long terme de la carence en vitamine A s'ils n'en ont pas suffisamment reçu au cours des quatre premières années de leur vie.
La banane enrichie en bêta-carotène se développe bien depuis des années. Pourquoi ces produits sont-ils confinés à des champs expérimentaux et ne répondent-ils pas aux besoins humains ? Ce n'est pas un monstre « Frankenfood » comme le prétendent les pandits occidentaux et les éco-terroristes indien.ne.s. C'est un système de livraison de vitamine A auto-reproducteur, pratiquement gratuit, de vitamine A dans des endroits où elle est rare.
Le problème n'est pas scientifique. Des scientifiques attentionnés ont identifié le problème du flétrissement bactérien et celui de la carence en vitamine A, puis ont relevé le défi de créer des solutions. Et maintenant, ces solutions sont prêtes.
Des héros scientifiques comme Priver Namanya ont identifié de nouveaux remèdes efficaces contre les problèmes rencontrés par l'homme, des remèdes fabriqués à partir d'éléments que la nature a déjà conférés aux poivrons et aux bananiers sauvages. Les scientifiques ont simplement emprunté des éléments de la boîte à outils génétique de la nature et les ont placés dans des plantes culturellement familières que les agriculteurs locaux connaissent et que les consommateurs locaux apprécient. Les scientifiques ont appliqué la technologie pour aider les agriculteurs, aider les enfants et améliorer l'environnement.
Aujourd'hui, ces solutions sont gelées, incapables de servir ceux auxquels elles étaient destinées. Les plantes vertes et luxuriantes restent enfermées derrière de hautes clôtures surmontées de rouleaux de barbelés. Les plantes soigneusement conçues se trouvent derrière un panneau officiel qui dit, « À des fins de recherche seulement ». La clôture, la sécurité, le panneau – cela fait mal au cœur. Ces plantes sont les options de vie pour les personnes qui n'ont pas d'options.
C'est un échec politique honteux qui retombe fermement sur la tête des activistes occidentaux, des ONG bien financées, et de ceux qui font carrière en fabriquant des risques inexistants autour d'une technologie raisonnable. Tout au long du développement de ces produits pour les Africains, créés en Afrique avec l'aide des Africains, il y a eu un grondement régulier de contestation dans l'Occident prospère, les militants bien nourris s'efforçant avec leur mantra de « nourriture saine » de tuer ces produits.
Les sentiments anti-biotechnologies des États-Unis et de l'UE résonnent fortement sur le continent africain, quand les responsables africains se demandent pourquoi ils devraient approuver des technologies que les pays riches de l'UE rejettent. Il y a un soupçon bien mérité de technologie « occidentale ». Mais en Ouganda, où les solutions pour les petits agriculteurs de subsistance prospèrent derrière les barrières de sécurité et les barbelés, il n'y avait même pas de mécanisme pour commencer à débattre, tester ou déréglementer ces solutions que leurs propres scientifiques ont créées.
Cela a changé le 4 octobre 2017. J'ai reçu le texto d'un ami de l'Ouganda et versé quelques larmes de joie.
Le Parlement a promulgué un projet de loi sur la biosécurité, une étape qui fournit maintenant une feuille de route pour s'assurer que ces plantes merveilleuses et vitales puissent être évaluées en termes de sécurité, d'efficacité et d'impact environnemental.
Le matooke technologiquement avancé, créé pour sauver des gens, peut maintenant faire ses premiers pas pour sauver les gens pour lesquels il a été conçu. Ces plantes derrière une clôture ont maintenant une chance d'échapper à leur cage et de faire un bien très réel.
Visiter un pays avec des besoins importants et une pauvreté généralisée est transformateur. Cela me rend reconnaissant pour ce que j'ai. Cela me rend reconnaissant pour les scientifiques comme les Drs Priver Namanya, Leena Tripathi et James Dale, des scientifiques qui se sont engagés à aider les gens avec des solutions scientifiques.
Mais cela montre aussi comment des progrès humanitaires remarquables peuvent facilement être contrecarrés par la désinformation, la peur et la rhétorique pénétrante des personnes et des organisations qui ont juré de s'opposer à l'application de technologies solides, même si cela signifie que des gens en souffriront.
La nouvelle loi n'est qu'un premier pas. Si je passe vingt-quatre heures par jour à parler et à écrire, en partageant l'histoire du matooke fortifié, cela ne suffira pas. Jusqu'à ce que ces nouvelles variétés arrivent finalement dans les mains des agriculteurs les plus pauvres, aucun effort ne sera suffisant.
La technologie a été créée pour aider les gens. Maintenant, nous avons un travail simple : dire la vérité, partager l'histoire et fournir une alternative factuelle à la désinformation. Nos voix doivent mener la lutte pour que tous les gens aient un accès égal aux meilleures innovations agricoles.
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* Kevin Folta est professeur et président du Département des Sciences Horticoles de l'Université de Floride. Il enseigne la communication scientifique dans des ateliers pour les scientifiques et les professionnels de l'agriculture et anime le podcast hebdomadaire Talking Biotech. Suivez-le sur Twitter @kevinfolta.
Cet article a été publié à l'origine dans Real Clear Science sous le titre « How Western Activists Prevent Africans From Planting a Life-Saving Fruit » (comment les activistes occidentaux empêchent les Africains de planter un fruit qui sauve des vies)
1. Comme cela est expliqué dans un autre billet, le président ougandais Yoweri Museveni a refusé de signer la loi et l'a renvoyée devant le Parlement pour l'examen d'une série de questions qui montrent sans contestation possible que les activistes anti-OGM ont été à la manœuvre et ont réussi, une fois de plus, à bloquer la loi. Le Président Museveni était pourtant favorable à l'adoption de la loi...
2. Contre la banane enrichie en vitamine A, les activistes ont agité l'argument de la biopiraterie. Par exemple ici pour The Ecologist, un des organes des pandits européens (traduit en français par un autre enragé anti-OGM ici), ou ici pour l'écoterroriste indienne de référence.
Inf'OGM s'est aussi exprimé sur cette question, avec notamment ce commentaire :
« N’aurait-il pas été envisageable d’utiliser plutôt les 15 millions de dollars de la Fondation Gates pour indemniser les papous et promouvoir une variété traditionnelle de banane riche en vitamine A déjà existante ou de toute autre culture adaptée à la situation du pays (comme c’est le cas par exemple avec la patate douce qui nourrit déjà des milliers de tanzaniens) ? Dans une lettre ouverte à la fondation, l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique préconise en effet de se tourner vers des aliments déjà existants, plutôt que de chercher des solutions techniques coûteuses qui peuvent s’avérer dangereuse. Une solution simple qui profiterait à tous… Sauf aux industries de biotechnologies ? »
Traduisons : plutôt laisser mourir la banane matooke, et la remplacer par la banane fe'i... Décidément, l'anti-ogmisme primaire ne connaît pas de limites !