« OGM cachés », nouvelles techniques et Cour de Justice de l'Union Européenne
À propos des conclusions de l'avocat général Michal Bobek du 18 janvier 2018
L'avocat général Michal Bobek a rendu le 18 janvier 2018 son opinion en réponse aux questions préjudicielles posées par le Conseil d'État français, lui-même saisi par la Confédération paysanne, le Réseau Semences Paysannes, Les Amis de la Terre France, le Collectif vigilance OGM et Pesticides 16, Vigilance OG 2M, le CSFV 49, OGM : dangers, Vigilance OGM 33 et la Fédération Nature et Progrès. Plongée dans le labyrinthe.
Ce texte est long... plein de citations.
Nous ne sommes pas convaincu par l'opinion de l'avocat général selon laquelle :
« La directive 2001/18 ne s’oppose pas à ce que les États membres adoptent des mesures réglementant la mutagénèse pour autant qu’ils le fassent dans le respect des obligations générales découlant du droit de l’Union. »
En revanche, nous estimons qu'il a souligné à juste titre l'obligation de tenir « raisonnablement » à jour la législation de l'Union. Il l'a fait au regard de l'évolution technique. Nous y ajouterons une nécessité tirée de l'expérience et de l'incohérence des textes.
Mais, au vu de la situation actuelle, nous ne retiendrons pas notre souffle...
Le positionnement anti-OGM et anti-pesticides (de synthèse) de la Confédération Paysanne – par ailleurs supplétif de l'anticapitalisme déguisé en « altermondialisme » – est bien connu. Notons qu'il s'agit d'un « syndicat » qui prétend défendre les intérêts d'un groupe d'agriculteurs – désignés sous le vocable supposé flatteur de « paysans » – et le fait en contrecarrant les intérêts d'un autre groupe d'agriculteurs, largement majoritaire...
La Conf est donc vent debout contre les OGM, les pesticides ; elle ne peut par conséquent que tempêter contre la combinaison des deux – les variétés rendues tolérantes aux herbicides par mutagénèse (la question ne se pose pas vraiment pour la transgénèse, interdite de séjour en France) et, pire encore, par les nouvelles techniques de sélection de plantes cultivées (New Plant Breeding Techniques, NPBT). Et, pour rester dans les paramètres d'une gesticulation efficace, au moins sur le plan médiatique, ces variétés sont appelées « OGM cachés ».
La Conf et al. ont donc demandé au Premier Ministre l’abrogation des dispositions de l'article D. 531-2 du code de l'environnement et l'interdiction de la culture et de la commercialisation des variétés de plantes, notamment de colza, rendues « tolérantes aux herbicides » – expression impropre mais tellement efficace pour l'anxiogénèse, car la tolérance a été acquise à l'égard d'un herbicide ou d'une classe d'herbicides. Une interdiction ou un moratoire... les textes dont nous disposons ne sont pas clairs !
C'est de bonne guerre ! Les voies de la contestation judiciaire sont ouvertes à tous selon les dispositions applicables. Mais il y a lieu de noter que l'élément contesté de la disposition figure dans notre droit depuis le décret n° 93-774 du 27 mars 1993 fixant la liste des techniques de modification génétique et les critères de classement des organismes génétiquement modifiés (OGM). Et cela fait (normalement) avancer le droit.
Les « nouveaux OGM » ont constitué une circonstances de fait postérieures à la promulgation du texte permettant d'en alléguer l'illégalité ».
Arrêtons nous un instant sur cet article D. 531. Il transpose en droit français un élément de la Directive 2001/18/CE du Parlement Européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil, avec quelques petites variations.
En voici le texte (toujours se référer aux textes...) :
« Les techniques mentionnées à l'article L. 531-2, qui ne sont pas considérées comme donnant lieu à une modification génétique, sont les suivantes :
1° A condition qu'elles ne fassent pas appel aux techniques de recombinaison de l'acide nucléique recombinant ou à des organismes génétiquement modifiés :
a) La fécondation in vitro ;
b) Les processus naturels tels que la conjugaison, la transduction, la transformation ou l'infection virale ;
c) L'induction polyploïde ;
2° A condition qu'elles n'impliquent pas l'utilisation d'organismes génétiquement modifiés en tant qu'organismes récepteurs ou parentaux :
a) La mutagenèse ;
b) La fusion cellulaire, y compris la fusion de protoplastes, de cellules de n'importe quelle espèce eucaryote, y compris d'hybridomes, et les fusions de cellules végétales d'organismes qui peuvent échanger du matériel génétique par des méthodes de sélection traditionnelles ;
c) L'infection de cellules vivantes par les virus, viroïdes ou prions ;
d) L'autoclonage, qui consiste en la suppression de séquences de l'acide nucléique dans une cellule d'un organisme, suivie ou non de la réinsertion de tout ou partie de cet acide nucléique ou d'un équivalent synthétique, avec ou sans étapes mécaniques ou enzymatiques préalables, dans des cellules de la même espèce ou dans des cellules d'espèces étroitement liées du point de vue phylogénétique qui peuvent échanger du matériel génétique par le biais de processus physiologiques naturels, si le micro-organisme qui en résulte ne risque pas de causer des maladies pouvant affecter l'homme, les animaux ou les végétaux et s'il est utilisé en milieu confiné.
L'autoclonage peut comporter l'utilisation des vecteurs recombinants dont une longue expérience a montré que leur utilisation dans les micro-organismes concernés était sans danger. »
En bref, les variétés issues de mutagénèse ne sont pas considérées comme des OGM. En tout cas, elles sont exclues du champ d’application des dispositions du même code régissant les organismes génétiquement modifiés (soumettant ceux-ci à une procédure d'autorisation et par voie de conséquence, d'évaluation, de suivi, d'étiquetage, etc. et, in fine, compte tenu de l'hystérie ambiante, d'interdiction de culture).
Devant le silence du Premier Ministre, la Conf' et ses alliés ont saisi le Conseil d'État. Et, par sa décision du 3 octobre 2016, celui-ci a saisi la Cour de Justice de l'Union Européenne de quatre questions préjudicielles (avant de rendre son propre arrêt) relatives à la réglementation européenne des OGM (communiqué ici) :
« 1° Les organismes obtenus par mutagénèse (en particulier ceux obtenus par les techniques nouvelles de mutagénèse dirigée telles que, par exemple, la mutagénèse dirigée par oligonucléotide (ODM), ou la mutagénèse par nucléase dirigée (SDN1), qui utilise différents types de protéines (nucléases à doigts de zinc, TALEN, CRISPR-Cas9…) constituent-ils des OGMs soumis aux règles posées par la directive du 12 mars 2001 ? Ou faut-il au contraire considérer que ces organismes obtenus par mutagénèse, ou seulement certains d’entre eux (ceux obtenus par les méthodes conventionnelles de mutagénèse existant avant à l’adoption de la directive) sont exemptés des mesures de précaution, d’évaluation des incidences et de traçabilité prévus par cette directive ?
2° Les variétés obtenues par mutagénèse constituent-elles des "variétés génétiquement modifiées" soumises aux règles posées par la directive du 13 juin 2002 ou sont-elles exemptées des obligations prévues par cette directive pour l’inscription de variétés génétiquement modifiées au catalogue commun des espèces de plantes agricoles ?
3° Si la directive du 12 mars 2001 exclut de son champ d’application les organismes obtenus par mutagénèse, cela signifie-t-il que les Etats membres ont l’interdiction de soumettre ces organismes obtenus par mutagénèse à tout ou partie des obligations prévues par la directive ou à tout autre obligation ou disposent-ils, au contraire, d’une marge d’appréciation pour définir le régime susceptible d’être appliqué aux organismes obtenus par mutagénèse ?
4° Si la directive du 12 mars 2001 exempte les organismes obtenus par mutagénèse des mesures de précaution, d’évaluation des incidences et de traçabilité, sa validité au regard du principe de précaution (garanti par l’article 191-2 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) peut-elle être remise en cause ? Et, faut-il tenir compte, à cet égard, de l’évolution des procédés de génie génétique, de l’apparition de variétés de plantes obtenues grâce à ces techniques et des incertitudes scientifiques actuelles sur leurs incidences et sur les risques potentiels en résultant pour l’environnement et la santé humaine et animale ? »
Dans la procédure devant la Cour de Justice de l'Union Européenne, un avocat général donne un avis – des conclusions – à la Cour. Cet avis n'est pas obligatoire pour la Cour. Celle-ci suit généralement les avis des avocats généraux, mais pas toujours... Une entreprise vendant des semences et incorporée sous la forme d'une association – Kokopelli – en a fait l'amère expérience en se réjouissant trop tôt des conclusions de l'avocate générale Juliane Kokott (la réaction de dépit est ici).
L'avocat général Michal Bobek propose à la Cour de répondre comme suit :
« 168. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Conseil d’État (France) de la manière suivante :
1) Pour autant qu’ils remplissent les critères matériels de l’article 2, point 2, de la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil, les organismes obtenus par mutagénèse sont des organismes génétiquement modifiés au sens de cette directive.
L’exemption prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/18, lu conjointement avec l’annexe I B, couvre l’ensemble des organismes obtenus par toutes les techniques de mutagénèse, indépendamment de leur utilisation à la date d’adoption de cette directive, à condition qu’elles n’impliquent pas l’emploi de molécules d’acide nucléique recombinant ou d’organismes génétiquement modifiés autres que ceux obtenus par une ou plusieurs méthodes énumérées à l’annexe I B.
2) La directive 2002/53/CE, du 13 juin 2002, concernant le catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles doit être interprétée en ce sens qu’elle exempte les variétés obtenues par mutagénèse des obligations spécifiques prévues pour l’inscription de variétés génétiquement modifiées dans le catalogue commun des espèces de plantes agricoles.
3) La directive 2001/18 ne s’oppose pas à ce que les États membres adoptent des mesures réglementant la mutagénèse pour autant qu’ils le fassent dans le respect des obligations générales découlant du droit de l’Union.
4) L’examen de la quatrième question n’a fait apparaître aucun élément de nature à affecter la validité des articles 2 et 3 et des annexes I A et I B de la directive 2001/18. »
Cela donne le tournis ! Mais il faut savoir que la Cour, d'une part, est liée par les textes (et, en règle générale, considère que ces textes ont été établis de manière juridiquement rationnelle, même quand ce n'est visiblement pas le cas) et, d'autre part, répond aux questions posées.
Pour comprendre la réponse 1, il faut se référer au texte de la directive... l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire en matière de rédaction de textes juridiques ! Le voici, sous une forme aménagée qui évite les allées et venues dans le labyrinthe (les dispositions des annexes sont présentées en caractères romains) :
« Article premier
Objectif
Conformément au principe de précaution, la présente directive vise à rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres et à protéger la santé humaine et l'environnement:
- lorsque l'on procède à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement à toute autre fin que la mise sur le marché à l'intérieur de la Communauté,
- lorsque l'on place sur le marché à l'intérieur de la Communauté des organismes génétiquement modifiés en tant que produits ou éléments de produits.
Article 2
Définitions
Aux fins de la présente directive, on entend par:
[...]
2) "organisme génétiquement modifié (OGM)": un organisme, à l'exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d'une manière qui ne s'effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle.
Aux fins de la présente définition:
a) la modification génétique se fait au moins par l'utilisation des techniques énumérées à l'annexe I A, première partie;
Les techniques de modification génétique visées à l'article 2, point 2, sous a), sont, entre autres:
1) les techniques de recombinaison de l'acide désoxyribonucléique impliquant la formation de nouvelles combinaisons de matériel génétique par l'insertion de molécules d'acide nucléique, produit de n'importe quelle façon hors d'un organisme, à l'intérieur de tout virus, plasmide bactérien ou autre système vecteur et leur incorporation dans un organisme hôte à l'intérieur duquel elles n'apparaissent pas de façon naturelle, mais où elles peuvent se multiplier de façon continue;
2) les techniques impliquant l'incorporation directe dans un organisme de matériel héréditaire préparé à l'extérieur de l'organisme, y compris la micro-injection, la macro-injection et le microencapsulation;
3) les techniques de fusion cellulaire (y compris la fusion de protoplastes) ou d'hybridation dans lesquelles des cellules vivantes présentant de nouvelles combinaisons de matériel génétique héréditaire sont constituées par la fusion de deux cellules ou davantage au moyen de méthodes qui ne sont pas mises en oeuvre de façon naturelle.
b) les techniques énumérées à l'annexe I A, deuxième partie, ne sont pas considérées comme entraînant une modification génétique;
Les techniques visées à l'article 2, point 2, sous b), qui ne sont pas considérées comme entraînant une modification génétique, à condition qu'elles n'impliquent pas l'emploi de molécules d'acide nucléique recombinant ou d'OGM obtenus par des techniques/méthodes autres que celles qui sont exclues par l'annexe I B, sont:
1) la fécondation in vitro;
2) les processus naturels tels que la conjugaison, la transduction, la transformation, ou
3) l'induction polyploïde.
[…]
Article 3
Exemptions
1. La présente directive ne s'applique pas aux organismes obtenus par les techniques de modification génétique énumérées à l'annexe I B.
Les techniques/méthodes de modification génétique produisant des organismes à exclure du champ d'application de la présente directive, à condition qu'elles n'impliquent pas l'utilisation de molécules d'acide nucléique recombinant ou d'OGM autres que ceux qui sont issus d'une ou plusieurs des techniques/méthodes énumérées ci-après, sont:
1) la mutagenèse;
2) la fusion cellulaire (y compris la fusion de protoplastes) de cellules végétales d'organismes qui peuvent échanger du matériel génétique par des méthodes de sélection traditionnelles.
2. La présente directive ne s'applique pas au transport d'organismes génétiquement modifiés par le rail, par la route, par les voies navigables intérieures, par mer ou par air. »
L'analyse de l'avocat général vaut la lecture. Mais le Greffe de la Cour de Justice de l'Union Européenne a produit un résumé très bien fait, comme de coutume. Le voici :
Selon l’avocat général Bobek, les organismes obtenus par mutagénèse sont, en principe, exemptés des obligations prévues par la directive sur les OGM
Les États membres sont libres d’adopter des mesures réglementant ces organismes pour autant qu’ils le fassent dans le respect des obligations générales découlant du droit de l’Union
La "directive OGM" 1 réglemente la dissémination volontaire dans l’environnement d’organismes génétiquement modifiés (OGM) ainsi que leur mise sur le marché dans l’Union européenne. Ces organismes doivent notamment être autorisés après une évaluation des risques pour l’environnement et sont soumis à des exigences de traçabilité, d’étiquetage et de surveillance. Toutefois, la directive ne s’applique pas aux organismes obtenus par certaines techniques de modification génétique, telles que la mutagénèse ("exemption relative à la mutagénèse"). À la différence de la transgénèse, la mutagénèse ne nécessite pas l’insertion d’ADN étranger dans un organisme vivant. Elle implique toutefois une altération du génome d’une espèce vivante. Les techniques de mutagénèse ont permis de développer des variétés de semences résistantes à des herbicides sélectifs.
La Confédération paysanne est un syndicat agricole français qui défend les intérêts de l’agriculture paysanne. Avec huit autres associations, elle a formé devant le Conseil d’État français un recours portant sur la réglementation française qui transpose la directive OGM 2 . Elles invoquent le fait que les techniques de mutagénèse ont changé avec le temps. Avant l’adoption de la directive OGM, seules des méthodes de mutagénèse conventionnelles ou aléatoires appliquées in vivo sur des plantes entières étaient pratiquées. Les progrès techniques ont par la suite permis l’émergence de techniques de mutagénèse qui permettent de cibler les mutations afin d’obtenir un produit qui ne résiste qu’à certains herbicides. Pour la Confédération paysanne et les autres associations, l’utilisation de variétés de semences rendues résistantes à un herbicide comporte un risque de dommages importants pour l’environnement ainsi que pour la santé humaine et animale.
C’est dans ce contexte que le Conseil d’État a invité la Cour à préciser la portée exacte de la directive OGM (et plus précisément le champ, la raison d’être et les effets de l’exemption relative à la mutagénèse) et à en vérifier la validité. La Cour est également invitée à examiner le rôle de l’écoulement du temps et de l’évolution des connaissances techniques et scientifiques dans l’interprétation juridique et l’appréciation de la validité du droit de l’Union, compte tenu du principe de précaution.
Dans ses conclusions de ce jour, l’avocat général Michal Bobek considère tout d’abord qu’un organisme obtenu par mutagénèse peut être un OGM s’il remplit les critères matériels prévus par la directive OGM 3 . Il relève que la directive n’exige pas que de l’ADN étranger soit inséré dans un organisme pour que ce dernier puisse être qualifié d’OGM. Elle indique uniquement que le matériel génétique doit avoir été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement. Le caractère ouvert de cette définition permet d’inclure dans la définition des OGM des organismes obtenus par d’autres méthodes que la transgénèse. Il serait en outre illogique d’exempter certains organismes de l’application de la directive si ceux-ci ne pouvaient pas préalablement être qualifiés d’OGM.
L’avocat général examine ensuite si l’exemption relative à la mutagénèse prévue par la directive OGM doit être comprise comme visant toutes les techniques de mutagénèse ou seulement certaines d’entre elles. Selon lui, la seule distinction pertinente qui permettrait de préciser la portée de l’exemption est la réserve exprimée à l’annexe I B, c’est-à-dire la question de savoir si la technique de mutagénèse implique "l’utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant ou d’OGM autres que ceux qui sont issus de la mutagénèse ou de la fusion cellulaire de cellules végétales d’organismes qui peuvent échanger du matériel génétique par des méthodes de sélection traditionnelles". En conséquence, les techniques de mutagénèse sont exemptées des obligations de la directive OGM à condition qu’elles n’impliquent pas l’utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant ou d’OGM autres que ceux obtenus par une ou plusieurs méthodes énumérées à l’annexe I B.
L’avocat général souligne que ni le contexte historique ni la logique interne de la directive OGM n’étayent la thèse selon laquelle le législateur de l’Union n’aurait souhaité exempter que les techniques de mutagénèse sûres existant en 2001. Il considère qu’une catégorie générale appelée "mutagénèse" doit logiquement inclure toutes les techniques qui, au moment pertinent pour l’affaire en question, sont comprises comme relevant de cette catégorie, y compris les nouvelles techniques.
L’avocat général examine ensuite si les États membres peuvent effectivement aller au-delà de ce que prévoit la directive OGM et décider de soumettre les organismes obtenus par mutagénèse aux obligations imposées par cette directive ou à des règles purement nationales. Il estime qu’en introduisant l’exemption relative à la mutagénèse, le législateur de l’Union n’a pas souhaité régir cette matière au niveau de l’Union. Cet espace reste donc inoccupé et, pour autant qu’ils respectent leurs obligations générales dérivant du droit de l’Union, les États membres peuvent légiférer sur les organismes obtenus par mutagénèse.
En ce qui concerne la validité de l’exemption relative à la mutagénèse, l’avocat général reconnaît que le législateur est obligé de maintenir sa réglementation raisonnablement à jour. Cette obligation devient essentielle dans les domaines et questions couverts par le principe de précaution, de sorte que la validité d’un acte de l’Union tel que la directive OGM ne doit pas être appréciée uniquement au regard des faits et connaissances existant au moment de son adoption, mais également au regard de l’obligation consistant à maintenir la législation de l’Union raisonnablement à jour.
Toutefois, eu égard à l’obligation générale de mise à jour de la législation de l’Union (obligation renforcée en l’espèce par le principe de précaution), l’avocat général ne voit aucun élément susceptible d’affecter la validité de l’exemption relative à la mutagénèse.
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1 Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil (JO 2001, L 106, p. 1).
2 Cette disposition exempte les organismes obtenus par mutagénèse des obligations imposées aux OGM.
3 Voir article 2, point 2, de la directive OGM : cet article définit les organismes génétiquement modifiés comme tout "organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle". Cette disposition ajoute qu’aux fins de cette définition, a) la modification génétique doit se faire au moins par l’utilisation des techniques énumérées dans une annexe de la directive et b) les techniques énumérées dans une autre annexe de la directive ne doivent pas être considérées comme entraînant une modification génétique.
Pas grand-chose ! Les conclusions de l'avocat général ne lient pas la Cour et celle-ci rendra son arrêt dans quelques mois. Un arrêt qui s'imposera au Conseil d'État français pour la rédaction de son propre arrêt en réponses aux demandes de la Conf' et al.
D'autre part, la Commission Européenne devra se saisir de la question des nouvelles techniques de sélection et, en bref, proposer une feuille de route. Cela pourra être la simple constatation que la Cour de Justice aura répondu de manière satisfaisante aux questions, une « communication interprétative » de la directive 2001/18/CE, telle que modifiée en dernier lieu, ou encore une proposition de nouvelle réglementation.
La Commission avait interrompu ses travaux en attendant l'arrêt de la Cour. Il va de soi que, dans cet exercice, la Commission sera soumise à des pressions de toutes parts. Et l'expérience – sur les OGM et aussi le glyphosate – nous montre que le bon sens et la rationalité pèsent peu devant l'activisme et la veulerie politique.
Il est donc urgent d'attendre, et une analyse détaillée des conclusions de l'avocat général Bobek n'aurait guère de sens.
Il nous paraît cependant que l'avis de l'avocat général selon lequel les États membres peuvent légiférer sur les organismes obtenus par mutagénèse – pour autant qu’ils respectent leurs obligations générales dérivant du droit de l’Union (une condition qui n'est pas mince...) – est discutable. Très discutable même.
Le raisonnement de l'avocat général (paragraphes 113 à 124) n'est pas convaincant. Le considérant (10) de la directive 2001/18/CE exprime l'intention « de disposer d'un cadre législatif complet et transparent ». Il n'y a pas d'espace « inoccupé » si, comme on le fait souvent, on donne une valeur plus qu'interprétative à ce considérant.
Et il n'y a aucune preuve d'une intention ou d'un souhait du législateur de l’Union de ne pas « régir cette matière au niveau de l’Union » en « introduisant l’exemption relative à la mutagénèse ».
L'avocat général évoque « à titre de remarque plutôt accessoire mais parfaitement en ligne avec l’approche dynamique de l’interprétation du droit mise en avant » – dans son paragraphe 122 – « une certaine renationalisation des compétences en matière d’OGM » à propos des nouvelles dispositions d'opt-out de la directive (UE) 2015/412. Celles-ci permettent à un État membre d'interdire la culture d'un OGM sur tout ou partie de son territoire pour des « motifs sérieux tels que ceux liés » à des objectifs de politique environnementale, à l'aménagement du territoire, à l'affectation des sols, aux incidences socio-économiques, à la volonté d'éviter la présence d'OGM dans d'autres produits, à des objectifs de politique agricole, à l'ordre public.
C'est là, incidemment, une boîte de Pandore qui a été ouverte... pour autant que le juge, saisi d'une contestation, accepte le caractère sérieux des motifs qui pourront être invoqués.
À notre sens, cette nouvelle directive est essentielle pour la réponse à la question posée : elle démontre que les compétences nationales ne peuvent exister que dans les limites définies par le cadre communautaire. En effet, selon le raisonnement de l'avocat général, ce type d'interdictions aurait dû être un « espace inoccupé » avant l'adoption de la directive... donc ne nécessitant pas de directive.
Dans les contorsions auxquelles le législateur s'est livré, dans la directive (UE) 2015/412, pour justifier, dans les faits, le coup de poignard dans le principe du marché unique, il y a ce considérant :
« (5) Une fois qu'un OGM est autorisé à des fins de culture conformément au cadre juridique de l'Union sur les OGM et qu'il satisfait, pour la variété qui doit être mise sur le marché, aux exigences du droit de l'Union relatif à la commercialisation de semences et de matériels de multiplication végétale, les États membres ne sont pas autorisés à interdire, limiter ou entraver sa libre circulation sur leur territoire, sauf dans les conditions définies par le droit de l'Union. »
Remplacez la référence aux OGM par une référence aux variétés, de quelque nature et origine qu'elles soient, inscrites au Catalogue Communautaire, et vous avez la description correcte de la situation juridique.
L'avocat général insiste à juste titre sur l'obligation générale de mise à jour de la législation de l’Union. Mais on peut regretter l'omniprésence du « principe de précaution », qui n'est pourtant pas seul en lice. En effet, l’article 191, paragraphe 2, du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) dispose :
« La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l’Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur. »
Il y a aussi un article 173 :
1. L'Union et les États membres veillent à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l'industrie de l'Union soient assurées.
À cette fin, conformément à un système de marchés ouverts et concurrentiels, leur action vise à:
[…]
- favoriser une meilleure exploitation du potentiel industriel des politiques d'innovation, de recherche et de développement technologique. »
Si l'on considère qu'il y a une nécessité de mettre la législation européenne à jour s'agissant de la mutagénèse – ancien style, c'est-à-dire aléatoire, ou nouveau style, ciblée et dotée d'une grande précision, quoique non absolue – il faut aussi considérer qu'il faut tenir compte de l'expérience acquise sur les OGM. Acquise certes dans le monde en dehors de l'Europe pour la culture (et aussi en Europe pour l'utilisation), mais qui n'en est pas moins pertinente.
L'action entreprise par la Conf' et al. aura en tout cas démontré les incohérences du cadre juridique qui régit la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement.
Il y a un véritable problème de transparence et de cohérence quand il faut ressortir à une interprétation alambiquée pour obtenir un – petit – début de sens :
« 62. Deuxièmement, le fait d’exempter la mutagénèse des obligations imposées par la directive OGM sous-entend que les organismes obtenus par cette méthode peuvent être des OGM. C’est pourquoi je partage l’avis de la Commission qui estime qu’il serait illogique d’exempter certains organismes de l’application de la directive s’ils ne pouvaient pas préalablement être qualifiés d’OGM. Il n’est pas nécessaire d’exempter des organismes qui sont exclus du champ d’application de la directive. »
« ...sous-entend » ? Dans la logique du droit oui, mais dans les faits ? Quand cette exemption a été adoptée, les produits de la mutagénèse ne pouvaient pas être qualifiés d'OGM. C'est même implicitement admis par la Conf' et al. dans une partie de son argumentation, elle aussi parfaitement incohérente. Selon l'avocat général :
« 26. Les requérantes contestent le fait que les organismes obtenus par mutagénèse soient exemptés des obligations que les dispositions du Code de l’environnement imposent aux OGM. De leur point de vue, les techniques de mutagénèse ont évolué avec le temps. Avant l’adoption de la directive OGM en 2001, les seules techniques habituellement utilisées étaient les techniques de mutagénèse conventionnelle et les techniques aléatoires in vivo impliquant des radiations ionisantes ou l’exposition des plantes à des agents chimiques. Le progrès technique a ensuite permis l’émergence de techniques de mutagénèse qui peuvent être mises en œuvre de différentes manières (mutagénèse aléatoire in vitro et mutagénèse dirigée, désignées comme "les nouvelles techniques de mutagénèse"). Ces méthodes permettent de cibler les mutations afin d’obtenir un produit qui ne résistera qu’à certains herbicides. »
Les techniques « anciennes » citées modifient le matériel génétique « d'une manière qui [...] s'effectue [...] naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle », d'une manière qui produit des... mutations spontanées.
Si l'on suit le raisonnement de l'avocat général, « les organismes obtenus par mutagénèse sont des organismes génétiquement modifiés au sens de cette directive » pour autant « qu’ils remplissent les critères matériels » de la définition, et ils ne sont exemptés de l'application des mesures d'autorisation, etc. qu'« à condition qu’elles [les techniques de mutagénèse] n’impliquent pas l’emploi de molécules d’acide nucléique recombinant [...] »
Nous aurions donc trois situations possibles pour une nouvelle variété portant une mutation donnée :
Elle ne serait pas concernée par la directive si la mutation est spontanée.
Elle serait dans le champ d'application de la directive mais exemptée si la mutation est induite par des méthodes « traditionnelles », ou par des méthodes « nouvelles » n'utilisant pas d'ADN recombinant.
Elle serait dans le champ d'application et assujettie aux dispositions sur l'autorisation, etc. dès lors que son obtenteur aura utilisé une séquence recombinante dont la seule fonction est de servir de guide pour une mutation ciblée.
La porteuse de la mutation ciblée, obtenue avec une grande sécurité de résultat et un risque limité d'effets hors cible, sera en quelque sorte discriminée par rapport à la porteuse de la même mutation obtenue par une méthode aléatoire et aveugle.
Selon un considérant de la directive :
« (17) La présente directive ne devrait pas s'appliquer aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. »
Mais elle devrait s'appliquer à des organismes obtenus au moyen de techniques encore plus sûres...
Cela ne peut être. Tout au moins dans un monde rationnel...