Mortalité des abeilles : « L'erreur se tient debout derrière la ruche »
Schillipaeppa*
Les sonnettes d'alarme retentissent : la mort des abeilles, la mort des insectes – si vous suivez la logique des manchettes des journaux, la fin de la civilisation est imminente. J'ai interrogé un expert des abeilles à ce sujet : Gerhard Liebig.
Question : M. Liebig, depuis combien de temps travaillez-vous sur les abeilles ?
Réponse : J'ai étudié la biologie agricole de 1970 à 1975 à l'Université de Hohenheim, à Stuttgart. À l'Institut de Phytomédecine, j'ai fait mon travail de diplôme et ma thèse de doctorat sur les pucerons. Des pucerons je suis passé aux abeilles, car il y a des pucerons sur les arbres forestiers comme le sapin et l'épicéa qui sont importants pour l'apiculture. Ce n'est que lorsque ces pucerons suceurs d'écorce sont présents en masse, et qu'ils produisent beaucoup de miellat, qu'il y a du miel de forêt et de sapin. Celui-ci est particulièrement apprécié. J'ai reçu pour mission de recherche d'étudier la dynamique de la population de ces insectes. Je l'ai fait pendant 37 ans et, dans les années 1980, j'ai aussi été un témoin privilégié du battage autour des « pluies acides » et de la « mort des forêts ». À côté de cela, je me suis également occupé d'abeilles et d'apiculture. Il en est résulté un autre travail de recherche à long terme dans lequel j'ai étudié pendant 22 ans le développement des colonies d'abeilles et l'impact de l'environnement sur le développement des populations. Je suis devenu moi-même apiculteur.
Question : Que pensez-vous, devrons-nous bientôt polliniser les arbres fruitiers à la main comme en Chine ?
Réponse : Voilà un exemple de la façon dont, par la répétition constante, le mensonge devient un fait, sinon la vérité. Cette affirmation a été lancée en novembre 2012 avec le film « More than honey » – en français « Des abeilles et des hommes ». Ce film primé a été diffusé plusieurs fois à la télévision. La Chine est pourtant un pays exportateur de miel ! La densité de la population apicole est plus élevée en Chine qu'aux États-Unis. La production de pommes a plus que quintuplé en Chine depuis les années 1990, avec une superficie de vergers pratiquement constante. La pollinisation manuelle est pratiquée en Chine lorsqu'il s'agit de créer de nouvelles variétés de pommes qui sont également adaptées à l'exportation.
Question : À votre avis, n'y a-t-il pas de mortalité des abeilles ?
Réponse : Cela dépend de la définition de la « mortalité des abeilles ». Chaque année, dans une colonie d'abeilles, il meurt environ un quart de million d'abeilles de causes naturelles ; en été, ce sont environ 2.000 par jour, en hiver, en moyenne, seulement 30. La colonie reste cependant en vie, car il y a aussi des abeilles qui naissent. Au printemps, plus d'abeilles éclosent qu'il n'en meurt et les colonies s'accroissent. En hiver, aucune abeille n'est incubée, et les colonies rétrécissent. Quand toutes les abeilles d'une colonie meurent en hiver, la colonie est dépeuplée. Si cela se produit dans de nombreux endroits, il y a une « mortalité de colonies » qui est appelée « mortalité des abeilles » dans la couverture médiatique de ce fait.
En moyenne, environ 10% des colonies meurent en Allemagne en hiver ; chez chacun des quelque 100.000 apiculteurs allemands, la fluctuation est de 0 à 100 % chaque hiver. Cela aussi n'a rien d'extraordinaire. Les apiculteurs qui ne subissent pas de pertes forment la majorité silencieuse. Seules les personnes touchées se plaignent et sont entendues. Ajoutez à cela l'attitude de nombreux commentateurs des médias : « Seules les mauvaises nouvelles sont de bonnes nouvelles ». Les téléspectateurs, les auditeurs et les lecteurs voient, entendent et lisent constamment que les choses vont de mal en pis. Les pertes de colonies hivernales sont compensées par l'habituelle division des colonies au printemps, de sorte que le nombre de colonies reste stable en Allemagne, voire augmente – comme en Chine, aux États-Unis et ailleurs. Les colonies ne meurent en hiver que si l'apiculteur fait des erreurs. La principale cause des pertes hivernales est le traitement insuffisant contre un acarien, le Varroa. Donc, l'erreur se tient debout derrière la ruche.
Source: wikipedia.
Question : Depuis quand le Varroa existe-t-il en Allemagne ?
Réponse : Le Varroa a été introduit en Allemagne de l'Ouest dans les années 1970 lorsque des colonies d'abeilles ont été importées du Pakistan. Dans l'ex-RDA, il est venu de l'Est de l'Europe. Le Varroa n'était à l'origine qu'un parasite de l'abeille asiatique. Cette espèce n'avait auparavant aucun contact avec l'abeille européenne, qui vivait en Europe et en Afrique. Les Européens ont emmené avec eux des colonies de l'abeille européenne lors de la colonisation de l'Asie. Le Varroa est ainsi passé à l'abeille européenne. Cela s'est aussi produit après l'importation de colonies d'abeilles asiatiques dans le Taunus. De là, le Varroa s'est répandu dans toute l'Allemagne en une décennie.
L'abeille asiatique est résistante au Varroa, ce qui n'est pas le cas de l'européenne. Dans les colonies, le Varroa prolifère sans contrôle pendant la saison de reproduction, de mars à octobre. Si l'infestation par le Varroa dépasse le seuil de nuisibilité, les colonies tombent malades et meurent de « varroase ». C'est le nom de la maladie qui se produit quand il y a trop d'acariens. Les colonies se dépeuplent, les abeilles partent. Aux États-Unis, cela s'appelle « CCD », Colony Collapse Disorder, syndrome d'effondrement des colonies. Le seuil de nuisibilité est beaucoup plus bas en automne et en hiver qu'au printemps et en été.
Question : Que peut faire l'apiculteur contre l'infestation par l'acarien ?
Réponse : L'apiculteur doit traiter ses ruches chaque année contre le Varroa. Il y a maintenant un grand nombre de traitements approuvés. La plupart des apiculteurs traitent leurs colonies avec de l'acide formique et de l'acide oxalique. Ces acides ne sont utilisés qu'après la récolte du miel, de sorte qu'il n'y a aucun résidu dans les produits apicoles.
Question : Vous avez des dizaines d'années d'expérience avec les abeilles ; oublions le Varroa : sont-elles dans une situation pire aujourd'hui qu'autrefois ? On dit que les abeilles sont plus sensibles aujourd'hui à cause des pesticides de l'agriculture et du manque de nourriture.
Réponse : Cette allégation est à traiter comme la pollinisation manuelle déjà mentionnée en Chine. Elle a été faite par la Stiftung Warentest [une organisation consumériste] dans le numéro d'août 2013 de son magazine, dans « Wenn das Summen verstummt » (quand le bourdonnement s'arrête). Le BUND [Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland – Union pour l'environnement et la protection de la nature en Allemagne] a aussi contribué à la propagation de ces allégations avec le prospectus « Bienensterben stoppen! Pestizide – Gift für Mensch und Umwelt » (stop à la disparition des abeilles ! Pesticides – poisons pour les humains et l'environnement), ainsi que Greenpeace avec la brochure « Bye, Bye Biene ? » (adieu l'abeille ?). Le tout a mené à une étude de l'Université Libre de Berlin, qui a été commandée par le groupe parlementaire des Verts et est arrivée à la conclusion que les abeilles se portent mieux en ville qu'à la campagne. Le coupable en serait l'« agriculture intensive » avec ses monocultures, son utilisation excessive de pesticides et la fertilisation. C'est tout simplement faux. La production de miel en Allemagne et la production moyenne de miel par ruche n'ont cessé d'augmenter depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Cela est dû principalement à l'expansion de la culture du colza. Grâce à l'amélioration des plantes, à la protection des cultures et à la fertilisation, non seulement le rendement en grains a augmenté, mais la production de miel de colza est meilleure aujourd'hui qu'il y a 40 ans lorsque j'ai commencé mes études à long terme.
Question : Les expériences montrent que les « néonicotinoïdes » désorientent les abeilles. S'il y a de telles indications que ces insecticides nuisent aux abeilles, ne vaudrait-il pas mieux interdire immédiatement l'utilisation de ces substances ?
Réponse : Ces résultats ont été obtenus sur le terrain avec des abeilles traitées et équipées, mais ils ne reflètent pas les conditions sur le terrain. Les expériences impressionnent par l'utilisation de « high-tech », mais ne produisent que du « vent ». Si vous collez une puce ou un transpondeur sur le dos d'une abeille pour suivre son vol, cela change déjà son comportement. Si en plus on nourrit les abeilles ainsi harnachées avec une solution de sucre additionnée de la matière active d'un pesticide, ce changement de comportement est encore plus prononcé ; cela dépend aussi de la dose. Fréquemment, la matière active a été surdosée pour prouver un effet toxique.
Les champs de colza ou de maïs issu de semences traitées avec un néonicotinoïde sont visités par les abeilles pendant la floraison. Les abeilles y recueillent du pollen et du nectar. Le pollen et le nectar sont contaminés par l'agent toxique à des doses sublétales pour les abeilles. Mais la collecte de pollen et de nectar contaminé n'affecte ni le comportement de butinage, ni le développement des populations. Cela est constaté dans le contexte de chaque procédure d'approbation et vérifié par la suite. Le taux de retour des butineuses est de 99 pour cent, qu'elles visitent du colza ou du maïs issu de semences traitées ou non traitées. Dans les essais avec le « high tech » évoqués ci-dessus, même les abeilles témoins non traitées ont montré un taux de retour réduit à moins de 90 pour cent. Si cela était normal et s'appliquait à toutes les butineuses, une ruche serait dépeuplée après une journée de butinage, quand les 20 000 butineuses d'une colonie de taille normale font environ 10 vols aller-retour, même si aucun pesticide n'était impliqué. La protection des végétaux par l'intermédiaire du traitement des semences est écologiquement plus appropriée que celle par pulvérisation. Par conséquent, on ne devrait pas diaboliser le traitement des semences, mais le préconiser et l'utiliser à nouveau.
Question : Qu'en est-il des cousines sauvages de notre abeille, de votre point de vue ?
Réponse : Ça aussi, c'est quelque chose. Il existe très peu d'études sur la présence et la densité des abeilles sauvages. La « belle époque » de la recherche sur les abeilles sauvages remonte à environ 20 ans. Au tournant du millénaire, on a signalé plus de découvertes d'abeilles sauvages qu'avant et qu'après. Les spécialistes de l'époque sont maintenant à la retraite. Le déclin régulièrement signalé des espèces d'abeilles sauvages peut aussi être dû au fait qu'il y a de moins en moins de personnes qui connaissent les espèces. Seul celui qui les cherche les trouve. Si vous ne cherchez pas, vous n'en trouverez pas. Ce courant de pensée sert également d'explication au déclin généralement déploré de la biodiversité. Beaucoup ne regardent que là où ils se sentent confirmés dans leur point de vue et, si tant est qu'ils le font, ils regardent de manière à se sentir ainsi confirmés. Certains défenseurs de l'environnement et experts des abeilles sauvages sont d'avis que celles-ci souffrent également de la concurrence de l'abeille domestique et considèrent le développement actuel de l'apiculture – le nombre d'apiculteurs et de colonies est en croissance constante – de manière très critique. Cela devrait surtout être médité par les apiculteurs, qui disent pratiquer une apiculture « écologique » et se prétendent donc les meilleurs apiculteurs. Vous pouvez les trouver chez Demeter et Bioland.
Question : Vous êtes-vous déjà fait critiquer à cause de votre point de vue et traiter, quasiment, de « négationniste de la mortalité des abeilles » ?
Réponse : Cela m'est arrivé et cela arrive encore et encore. C'est ainsi quand on nage contre le courant dominant. Si ceux qui pensent autrement n'ont pas d'arguments, mais veulent adhérer fermement à leurs croyances, ils réagissent souvent de manière polémique. On insinue souvent que je suis payé par une entreprise pharmaceutique.
Question : Dans les médias, la mortalité des abeilles est souvent présentée comme un fait – récemment encore, début décembre, dans l'émission de débat « hart aber fair » (dur mais juste). Qu'en pensez-vous ?
Réponse : Par la répétition constante, le mensonge ne devient pas une vérité, mais un fait. C'est aussi une répétition. J'ai vu l'émission deux fois, la première fois en direct, puis une seconde via la médiathèque. La deuxième fois, je l'ai aussi enregistrée. Je veux éditer le film, le combiner avec d'autres reportages sur la mortalité des abeilles – je les collectionne depuis 2006 – pour documenter comment les choses se sont déroulées jusqu'à présent et où cela nous mène. La fin de ce projet est prévue pour l'année 2020. Dans une émission diffusée dans Phoenix par le Bayerischer Rundfunk sur « Das Sterben der Bienen » (la mort des abeilles), on avait prédit qu'il n'y aurait « plus d'abeilles dans 10 ans ». Le documentaire avait été réalisé en 2010. En avril 2006, dans « Bild am Sonntag», le président de l'association des apiculteurs professionnels de l'Allemagne était cité comme disant : « L'agonie de l'abeille domestique et de l'apiculture a commencé en Allemagne ». À cette époque, l'abeille domestique était considérée selon « Bild am Sonntag » comme la quatrième espèce domestique la plus importante. Elle est passée à la troisième place. Dans cet article, vous pouvez également trouver la « citation d'Einstein » qui est mentionnée par de nombreux commentateurs. C'est clairement absurde ; et elle n'est pas d'Einstein.
Entre-temps, j'ai également lu les 1.604 commentaires qui ont été entrés dans le livre d'or du programme « hart aber fair » avant, pendant et après l'émission, et je suis en train de les évaluer. Cela prendra un peu plus de temps.
Question : Quelle est votre impression des commentaires jusqu'à présent ?
Réponse : La plupart des commentaires sont formulés de manière émotionnelle et polémique. Ils réitèrent le « discours dominant » selon lequel l'agriculture « intensive » est à blâmer pour le désastre et que l'effondrement de « l'écosystème » est imminent. Cette opinion était également émise par quatre participants du panel de « hart aber fair », de manière dure et pas juste : le modérateur et trois des cinq invités, l'apiculteur, le journaliste scientifique et le politicien du Parti Vert.
Dans le livre d'or, certains téléspectateurs qui ont commenté le sujet, à la fois sur le thème de la « mortalité des abeilles » et celui de la « disparition des insectes », ont fait preuve d'expertise et considéré la problématique de manière différenciée. Cette considération différenciée aurait dû avoir lieu lors de la préparation de l'émission. Cela n'a pas été fait. On peut donc supposer que les producteurs de l'émission ont été guidés par un principe qui détermine les actions de nombreux journalistes : le mensonge simple est plus facile à transmettre à l'auditoire que la vérité compliquée. À cet égard, c'était une émission fort réussie.
À propos de l'interviewé :
M. Gerhard Liebig a étudié les abeilles pendant 37 ans auprès de l'Institut d'Apiculture du Land à Stuttgart-Hohenheim. L'un de ses travaux portait sur le développement de concepts pour lutter contre le Varroa. Même à la retraite (depuis 2011), il s'occupe des abeilles, écrit des articles et gère le site www.immelieb.de, qui traite de l'abeille et de son plus grand ennemi, le Varroa. Liebig est l'auteur de l'ouvrage de référence populaire « Einfach imkern », dont la troisième édition est actuellement épuisée. Une quatrième édition est prévue pour le printemps 2018.
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* L'auteure a fait des études de philosophie, est éditrice et a atterri il y a déjà plus de dix ans à la campagne. Sur son blog, elle (d)écrit – miracle ! La traduction peut être fidèle – ce qui la préoccupe, lorsqu'elle n'est pas en train de curer l'écurie des poneys, de chercher des gants de gardien de but, de s'occuper de quantités de denrées alimentaires ou de linge, ou encore de tenter d'arracher les mauvaises herbes plus vite qu'elles ne poussent.
Source : https://schillipaeppa.net/2017/12/11/der-fehler-steht-hinter-dem-kasten/