L'espion de Monsanto vous salue bien, Mme Robin !
À propos de « Le Roundup face à ses juges »
Cruel dilemme ! Pour pouvoir dire tout le mal que l'on pense d'un ouvrage, il faut l'acheter et contribuer à remplir le tiroir caisse de son auteur. J'ai donc déboursé 18 euros pour « Le Roundup face à ses juges » de Mme Marie-Monique Robin.
Et, incidemment, j'ai rendu un grand service à ce client de ma petite librairie adorée (quel plaisir de pouvoir y fouiner) qui n'aura pas pu l'acheter.
Déjà le titre ! Face à quels juges ? Quels procureurs ? Quels témoins ? Ne parlons pas des défenseurs... Même les dictatures les plus ignominieuses ont fait « mieux » pour donner un semblant de crédibilité à leurs parodies de justice. L'œuvre – au sens du droit d'auteur – dont il sera question ici est essentiellement la conversion, capitalistique, en droits d'auteurs de l'infamie qui s'est déroulée à La Haye en octobre 2016 et dont Mme Robin a été une des organisateurs.
Pour dire du mal d'un ouvrage, il faut normalement le digérer et tenter d'échapper à la loi de Brandolini qui énonce que « la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter une idiotie est supérieure d’un ordre de grandeur à celle nécessaire pour la produire » (il était modeste, M. Brandolini...). Fort heureusement, je peux me concentrer sur un exemple – très personnel – tiré de ces 278 pages entourées d'un bandeau rouge, « Monsanto – le scandale continue ».
Effectivement, le scandale continue... On en avait eu une bonne ration sur Arte, à en avoir la nausée, avec le « documentaire » éponyme. Et, bien sûr, avec les vidéos mises en ligne sur le site de cette mascarade de justice appelée pompeusement « Tribunal International Monsanto ».
Mais, de mon point de vue, le scandale est de nature différente : c'est celui d'une infâme propagande. Rien de bien neuf, sinon peut-être l'escalade vers les sommets de l'absurde.
C'est qu'on retrouve dans ces pages indigestes, étalés, délayés, adornés, démultipliés, les éléments ahurissants qu'on a pu entrevoir dans ce truc audiovisuel qu'on n'ose plus qualifier par un mot-valise – pour cause de risque de procédure bâillon en diffamation.
Tout est bon à prendre pour dénigrer le glyphosate, le Roundup et Monsanto. Et pour monter les théories du complot les plus extravagantes. La preuve...
Nous avions eu une sorte d'avertissement avec un article de l'Obs du 5 octobre 2017 qui était censé reproduire quelques-unes des bonnes pages et diffuser quelques « révélations » de la minutieuse enquête de Mme Robin – oui, minutieuse, forcément minutieuse, car Mme Robin est une journaliste d'investigation.
L'auteure de « Le lobbying de la "World Company" », Mme Caroline Michel, avait en effet décrit un énorme réseau de lobbying bruxellois en la personne de M. David Zaruk, alias The Risk-monger, dont les posts « sont traduits en français par un autre militant actif qui écrit sous pseudo "Wackes Seppi" ("Joseph le garnement" en alsacien). De son vrai nom André Heitz... »
J'ai commenté cette chose dans « Glyphosate : l'Obs sombre à nouveau dans l'obscénité ». Et je m'attendais donc à ce que Mme Marie-Monique Robin me taille un costard dans son truc.
J'ai vite trouvé dans le chapitre 8, « Les preuves de la collusion entre Monsanto et les agences de réglementation, aux pages 243 et seq.
Si, amis lecteurs, vous êtes perplexes quant au lien entre cette collusion et les dénommés Wackes Seppi et Risk-monger, vous avez entrevu l'irrationalité de la production de Mme Robin. Mais vous n'êtes pas au bout de vos surprises.
C'est sous l'intertitre : « Un témoignage direct de l'espionnage d'agents de Monsanto ».
Attention les yeux !
Mme Robin a donc « lu attentivement la déposition de l'épidémiologiste » [Aaron Blair, retraité des National Health Services états-unien et président du groupe de travail du CIRC qui a classé le glyphosate en « cancérogène probable »].
On imagine... Mme Robin lisant « attentivement »... les milliers de pages mises en ligne par l'US Right to Know (USRTK) – mais peut-être les a-t-elle reçues par courrier spécial... qui sait... En fait non : on n'imagine pas : n'est-elle pas journaliste d'investigation, une journaliste à la minutie maintes fois proclamée ?
Monsanto avait « actionné le dispositif du Freedom of Information Act » et demandé les courriels échangés par M. Blair avec le CIRC ; et c'est ainsi que le Satan de Creve Cœur, dans le Missouri, a récupéré un courriel que Mme Robin avait envoyé le 8 août 2016 à M. Blair, sur recommandation de Mme Kathryn (Kate) Guyton, du CIRC :
« Voilà comment le mail que j'ai adressé à Aaron Blair s'est retrouvé dans les pattes de la multinationale, mais aussi dans celles de ses hommes de paille en France. »
L' « homme[...] de paille » vous salue bien, Mme Robin !
(Source)
Prise à la lettre, cette superbe phrase vous laisse entendre, amis lecteurs, que Monsanto m'a transmis son courriel...
« En effet, le 30 juin 2017, j'ai retrouvé in extenso mon courriel d'août 2016 traduit en français, sur le blog d'un lobbyiste pro-OGM connu comme le loup blanc, qui se cache derrière le pseudonyme de "Wackes Seppi". »
Le lobbyiste vous salue bien, Mme Robin !
Il vous remercie aussi, Mme Robin, pour « ...le loup blanc », cet éloge flatteur...
Ainsi que pour la note qui renvoie à son « "Monsanto Papers" : quand le CIRC contribue à la mascarade du "Tribunal Monsanto" cher à Mme Marie-Monique Robin »
Suit une description de l'individu, tirée des meilleures sources du journalisme d'investigation (enfin... au mieux de la deuxième ligue car personne ne saurait se mesurer à Mme Robin)... Le « journaliste scientifique » (défense de rire) qui a eu l'honneur d'être cité avait dû s'y reprendre pour produire quelque chose de cohérent et s'était pris une bordée de quolibets. Vous savez, sa production, c'est cette chose injurieuse et diffamatoire finalement publiée sur Combat Monsanto, après avoir été éjectée de Mediapart, cette prose indigente reprise sur le site d'un certain Comité de Recherche et d'Informations Indépendantes. Un machin qui, sous le couvert bien diaphane de la dénonciation d'une stratégie de diffamation des lanceurs d’alerte, imaginaire, avait pour but d'effrayer et de bâillonner les critiques de la mouvance activiste anti-OGM.
Mais c'était bon à prendre par extraits pour Mme Robin.
Me voilà donc – cette fois dans un livre – « le "sulfureux Wackes Seppi" » ; « l'"adepte teigneux de l'"écolo bashing" »...
C'est affligeant !
Mais ça remplit une bonne demi-page... en gros 1/500e des droits d'auteurs, plus si on considère l'ensemble de la théorie du complot qui occupe presque trois pages.
Le « "sulfureux Wackes Seppi" », « l'"adepte teigneux de l'"écolo bashing" » vous salue bien, Mme Robin !
Mme Robin s'interroge alors :
« Comment André Heitz, alias "Wackes Seppi", s'est-il procuré le mail que j'ai adressé à Aaron Blair le 8 août 2016 ? »
Amis lecteurs, vous supputez la réponse... mais ce serait trop simple ! Mme Robin se lance donc – sans transition – dans une description détaillée de deux demandes FOIA faites – « [d]après [s]es informations » par :
« ...la Free Market Environemental Law Clinic (FMELC), une organisation de lobbying pro-industrie, dont l'objectif revendiqué est de "fournir un contrepoids au mouvement environnemental procédurier qui promeut un régime réglementaire économiquement désastreux aux Etats-Unis" ».
« [d]après [s]es informations » ? On imagine le minutieux travail d'investigation d'une journaliste d'investigation... En fait, l'information se trouve dans un tableau récapitulatif publié par les National Institutes of Health (NIH) – voir ci-dessous. La FMELC est aussi évoquée dans un document du CIRC du 25 octobre 2016, document que nous avons nous-mêmes cité le 27 octobre 2016 dans « Glyphosate, CIRC et EPA : ça barde aux USA ».
Mme Robin a peut-être pris « [s]es informations » chez le « sulfureux "Wackes Seppi" »...
Mais c'est une manière très astucieuse – par un passage du coq à l'âne – de suggérer au lecteur un lien entre le « sulfureux "Wackes Seppi" » et l'infâme FMELC.
Une FMELC qui ose même citer le président Ronald Reagan sur sa page d'accueil sur internet : « Si vous ne parvenez pas à faire en sorte qu'ils voient la lumière, faites leur sentir la chaleur. »
Notons que quand vous allez au site indiqué par Mme Robin, http://fmelawclinic.org, vous aboutissez à https://eelegal.org/, et vous ne trouverez pas la citation... Tout comme on ne trouve pas le souvent cité – recopié d'un journaliste à l'autre, y compris d'investigation – « contrepoids... »
La demande FOIA de la FMELC est du 8 août 2016, comme son courriel adressé à M. Blair...
« Ces informations sont troublantes parce que, par deux fois, apparaît la date du 8 août 2016, comme si "quelqu'un" avait intercepté le courriel que j'avais adressé à Aaron Blair. Mais peut-être est-ce un pur hasard... Ce qui est sûr en tout cas, c'est que "Wackes Seppi" en a récupéré une copie, qu'il a traduite en français et mise sur son blog le 30 juin 2017... »
Bon sang, mais c'est bien sûr...
C'est du grand art du complotisme. Le lecteur est incité à croire que j'aurais piraté sa correspondance... Enfin... « peut-être est-ce un pur hasard... » Mais peut-être pas...
Le texte se poursuit :
« ...seize jours après la publication de l'article de la journaliste de Reuters, à qui les avocats de Monsanto avaient gracieusement communiqué la déposition du docteur Blair et les pièces jointes... »
Ouf ! Me voilà presque disculpé !
Quoique... Être en cheville avec « la journaliste de Reuters » et à travers elle Monsanto...
Mme Robin s'en prend ensuite à M. David Zaruk, non sans avoir au préalable qualifié mon article de « torchon, cousu d'approximations et de mensonges », ce que, venant d'où ça vient, je prends pour un compliment.
Mais il est temps, amis lecteurs, de vous dévoiler le fin mot de l'histoire. Le rasoir d'Ockham – Pluralitas non est ponenda sine necessitate – et les simple faits vérifiables... vérifiables même par une journaliste d'investigation...
La déposition de M. Aaron Blair a été mise en ligne le 16 juin 2017 par une USRTK contrainte et forcée par l'article de Mme Kate Kelland sur Reuters de sortir de son Monsanto bashing pur et dur. J'ai donc eu largement le temps de la lire et de l'exploiter pour mon article du 30 juin 2017.
Le courriel de Mme Robin avait aussi été mis en ligne le même jour. J'ai donc pu... bis repetita.
Mais au fait... je ne vous dévoile rien. Par un malencontreux oubli, je n'avais certes pas mis les liens idoines dans cet article (c'est réparé), mais ma source ne pouvait vraiment pas échapper à une journaliste d'investigation de l'envergure de Mme Robin :
« L'USRTK met en ligne des documents de la procédure, en principe favorables à ses objectifs. […] L'un des derniers documents est la déposition de M. Aaron Blair […] Nous pensons que, à la suite de cet article [de Reuters], l'USRTK s'est senti obligé de publier la déposition et certaines pièces connexes du dossier bien qu'elles ne soient pas très favorables à sa cause. »
Amis lecteurs, l'espion de Monsanto vous salue bien !