Glyphosate : la même soupe politicienne, juste dans de nouvelles gamelles ?
À propos de « De quoi le glyphosate est-il le nom ? » sur Marianne
L'État de droit, c'est résister à la démagogie.
Nous avons renouvelé le personnel politique de l'Assemblée Nationale avec l'espoir de changements importants grâce à une meilleure représentation de la « société civile ». Il y eut certes rapidement des rabat-joie pour dégriser les enthousiastes, comme les décodeurs sur le Monde avec « Il est excessif de parler d’une entrée en masse de la “société civile” à l’Assemblée nationale ». Après les premières expériences, M. Frédéric Saint-Clair a trouvé dans le Figaro, « "Société civile" au parlement : quand la République de Macron rate une marche », que :
« ...l'amateurisme des députés de La République en Marche est une conséquence de la campagne populiste d'Emmanuel Macron, fondée en partie sur une utopie démocraciste. »
Mais l'utopie ne serait-elle pas de croire à un changement et à l'injection de l'expérience des réalités de la vraie vie dans les débats politiques ? Et d'ignorer que la « discipline » doit prévaloir à LREM, même à l'appui de décisions ineptes ?
Dans Marianne, rubrique « débattons », M. Frédéric Descrozaille, député LREM de la 1ère circonscription du Val-de-Marne, a publié « De quoi le glyphosate est-il le nom ? » le 21 novembre 2017.
Bardé de diplômes, dont celui d'AgroParisTech (anciennement Institut National Agronomique), il a quelque autorité pour philosopher sur le glyphosate. Cela commence du reste comme un exposé de sujet de philosophie :
« "Ni impasse technique, ni impasse morale." Ainsi s’exprimait le Président de la République à Rungis, le 11 octobre dernier, au moment de dresser le bilan de la première phase des Etats Généraux de l’Alimentation, à propos de l’utilisation du glyphosate. »
Comment ne pas trop bousculer la pensée du Maître ? L'auteur explique donc :
« L’impasse technique, cela consisterait à interdire cette utilisation sans délai et, plus précisément, avant qu’il ne soit substitué à cette utilisation des pratiques permettant de s’en passer sans impact sur le revenu agricole.
L’impasse morale, cela consisterait à renouveler l’homologation de cette utilisation sans perspective d’interdiction, c’est-à-dire à admettre que le recours à une solution alternative n’est pas à l’ordre du jour. »
La première thèse donne alors lieu à un catalogue très utile de points introduits par : « On pourrait ainsi apprendre que [...] », puis : « Il faudrait creuser et fournir un effort un peu plus chronophage pour en savoir un peu plus long, ce qui permettrait de comprendre que […] ».
En bref, le glyphosate est une substance extrêmement utile et anodine. Cela débouche sur une première double conclusion prudente :
« Bref : on pourrait découvrir que le sujet est sensiblement plus compliqué que ce qui est laissé entendre dans les médias. On pourrait même apprendre que l’étude du CIRC selon laquelle le glyphosate est cancérigène n’est peut-être pas totalement sincère et rigoureuse, à l’instar des nombreuses études en faveur de l’innocuité du glyphosate, largement mises à l’index pour n’être pas fiables.
On pourrait en conclure qu’avant de prendre une décision ayant un impact économique certain et potentiellement désastreux pour de nombreux professionnels et filières agricoles, pour des motifs incertains et discutables portant sur la santé et l’environnement, il pourrait être indiqué de chercher à en savoir encore un peu plus long. »
À quoi passe-t-on ensuite ? La deuxième thèse ou un constat désabusé, amer ?
« Mais non : cela ne se passe pas ainsi.
Dans cette affaire passionnante, les faits, les résultats d’études, les autorités instituées, les raisonnements logiques, les calculs bénéfice – risque, le registre de la preuve, en somme : tout cela n’a pas cours.
Le glyphosate sera interdit parce qu’il en va d’un enjeu moral. La messe est dite. »
On ne saura rien de l'« enjeu moral ». Mais il n'y a plus grand monde qui soit dupe.
Il y a juste beaucoup de dupés, s'agissant de l'aggiornamento politique et – séquelle du mandat précédent – de l'interdiction faite aux collectivités publiques d'utiliser des produits phytosanitaires de synthèse qui se traduit soit par une augmentation des coûts de l'entretien des espaces publics, soit par une dégradation du patrimoine public. Et il y aura des dupes quand M. Hulot (et peut-être aussi M. Macron) pourra agiter son hochet.
Nous ne sommes pas très sûr de la nature de l'« enjeu moral » selon la pensée de l'auteur. Car ce texte est très ambigu, et plus nous le relisons, plus nous plongeons dans la perplexité.
« De quoi donc le glyphosate est-il le nom ?
Le glyphosate est un emblème. C’est le nom du mépris de la nature, du cynisme de l’argent-roi, de la corruption, de l’inconscience et de l’irresponsabilité.
C’est l’étendard de ce que des années d’aveuglement ont produit de pire : des pratiques d’apprentis-sorciers dangereuses pour la santé, pour l’environnement et, en définitive, pour l’avenir.
C’est le symbole quasiment générique des excès de la course au profit, du mépris des générations futures, de l’égoïsme collectif de sociétés capricieuses, pourries – gâtées comme des enfants mal élevés et, en définitive, indignes. »
Est-ce la nouvelle vérité assénée, après celles du début qui concluent à l'utilité et l'innocuité du glyphosate ? Ou le constat amer que le produit a été érigé en symbole, en étendard, etc. ?
Parce qu'il ne devrait pas échapper à un ingénieur agronome que si le glyphosate est, par exemple, « le nom du mépris de la nature », alors il faut étendre cette notion à tous les autres herbicides, ainsi qu'à l'eau de cuisson des pâtes versée sur un pissenlit et à la binette. Ou que, s'agissant de désherbage et d'herbicides totaux, le glyphosate concourt pour le titre de meilleur, tant pour l'efficacité technique et économique qu'en matière de santé et d'environnement. C'est du reste expliqué dans la première partie.
Quoi qu'il en soit,
« A la connaissance, est opposée la conviction intime. A la nécessité de la démonstration, la nécessité de l’adhésion. Au registre de la preuve, celui de l’émotion.
Au fond, il ne s’agit pas de savoir de quoi on parle ni d’établir des résultats vérifiables et objectifs : il s’agit de croire si l’on veut un modèle de société ou un autre et d’établir un rapport de forces par le recours à l’opinion.
[...]
Nous sommes en train de vivre une époque passionnante qui est caractérisée par une sorte de phénomène de société. Le statut de la connaissance, la notion même de progrès sont en cause.
Il va falloir beaucoup de travail, de pédagogie, de qualité d’écoute et de volonté pour fédérer des approches a priori irréconciliables qui s’affrontent dans un dialogue de sourds. »
Voilà une conclusion qui nous agrée.
Mais elle est précédée par cette manifestation de défaitisme :
« Il est vain de résister, de vouloir argumenter, de chercher à comprendre et à faire comprendre : ce cap-là est passé. Nous sommes au-delà, sur un terrain totalement différent où les enjeux techniques cèdent la place à des enjeux moraux. »
Courage, M. Descrozaille !
Et nous n'élisons pas des représentants du peuple pour que le peuple soit abandonné face à un « rapport de force », établi « par le recours à l’opinion », défavorable aux « résultats vérifiables et objectifs », autrement dit une démagogie qui méprise « les faits, les résultats d’études, les autorités instituées, les raisonnements logiques, les calculs bénéfice – risque, le registre de la preuve ».
Les véritables « enjeux moraux » se situent au niveau de l'impérieuse nécessité de rétablir une politique fondée sur le « registre de la preuve », pas « celui de l’émotion ».
C'est bien pour cette mission qu'on vous a élu, non ?