Les « Portier-papers », Stéphane Foucart et le CIRC
Vraiment ?
C'est un déluge de documents qui s'est abattu sur le site de US Right to Know, vitrine, porte-voix et sicaire du biobusiness et petite main de cabinets d'avocats prédateurs qui comptent bien toucher le jackpot en faisant condamner Monsanto pour avoir – est-il allégué – causé des lymphomes non hodgkinien chez des personnes ayant manipulé du glyphosate, alias Roundup. La stratégie mise en œuvre semble être de noyer les choses gênantes, voir compromettantes, dans la masse. Et en étant le premier à les publier, l'USRTK et ses commanditaires privent de scoop les Kate Kelland de Reuters et autre David Zaruk de... personne autre que lui-même, car sans liens d'intérêts autre que le monde agricole dont il est sorti et auquel il reste très attaché sentimentalement.
Dans le lot, il y a le contrat de M. Christopher Portier avec le cabinet Lundy, Lundy, Soileau & South et le cabinet Weitz & Luxenberg, ses factures et une partie de sa correspondance. Nous écrirons ici « partie » car, à l'évidence, le fil de certaines correspondances est loin d'être complet. Mais certains écheveaux valent la peine d'être dévidés.
M.Stéphane Foucart se plait à retweeter Mme Carey Gillam...
Dans le lot de courriels, il y en a – naturellement – avec des membres de la presse et des personnages comme Mme Carey Gillam, de l'USRTK, qui alimentent leur propre site et ont quasiment table ouverte dans certains médias.
Nous retiendrons ce courriel de M. Stéphane Foucart du 15 décembre 2015 (soit peu de temps après l'envoi par M. Portier au Commissaire à la Santé Vytenis Andriukaitis de la lettre ouverte co-signée par quelque 95 autres scientifiques, évoquée ci-dessous) :
M. Foucart invite M. Portier à lui faire parvenir des nouvelles et, entre parenthèses, regrette que « le timing était mauvais en France, pratiquement tous les journalistes environnementaux travaillant sur la COP21.
Belle démonstration de la motivation activiste, si peu journalistique... Mais qui en doute encore ?
Le 16 mars 2016, Mme Kathryn (Kate) Guyton demande à M. Christopher Portier s'il ne pourrait pas participer à une discussion avec « Stephane F ».
Le 28 mars 2016 (date sur la toile), le Monde, sous la signature de M. Stéphane Foucart, publiait un long « Roundup : le pesticide divise l’Union européenne et l’OMS ». L'article se veut équilibré et factuel, mais... Rien que le titre est faux puisque l'OMS est du même avis que « l'Union eiropéenne » (enfin, si on peut lui trouver encore un avis au-delà des postures politiciennes).
On peut aussi signaler ce courriel de remerciements du 13 novembre 2015.
Le résultat de la collaboration avait été « Pour les experts européens, le glyphosate est sans danger », citant abondamment M. Portier (et une source anonyme du CIRC) ; et franchement à charge contre l'EFSA.
On sait depuis longtemps que M. Portier a caché son conflit d'intérêts dans cette lettre. Oups ! Ses conflits. Car il ne signale ni ses activités pour l'Environmental Defense Fund, ni son contrat de consultant avec les cabinets Lundy et Weitz. Voici, encore une fois, son bloc de signature.
On pouvait évidemment se douter qu'il les avait aussi cachés aux chercheurs dont il avait sollicité la co-signature. On en a maintenant la preuve formelle.
Mais que penser des motivations alléguées :
« Je suis préoccupé par le fait que cette évaluation [à venir de l'EFSA sur la base du travail préparatoire déjà effectué par le BfR allemand] pourrait affaiblir l'efficience du Programme des Monographies du CIRC. Je suis également préoccupé par le fait que, s'ils n'étaient pas contestés, les agences de régulation pourraient continuer à utiliser les graves défauts de l'Additif du BfR pour rejeter des éléments scientifiques critiques pertinents pour une décision de réglementation, y compris pour l'exclusion en grand de données de la littérature et de données épidémiologiques. »
Les destinataires ont certes reçu le projet de lettre à M. Andriukaitis et pu prendre connaissance des objections de fond de M. Portier. Mais il est tout de même incroyable que des scientifiques de haut niveau se soient laissé entraîner sur une base aussi mince : le Programme des Monographies du CIRC était déjà très largement discrédité, tout au moins en ce qui concerne le glyphosate, et ce que le BfR a écarté, ce sont essentiellement des données issues d'expositions à des doses extravagantes.
Une partie de la réponse s'agissant de ce comportement panurgique nous est donnée par la réponse de M. Philippe Landrigan (un chercheur militant...) :
La suite du courriel, sur une autre page dans la compilation originale, est omise. Notez aussi, dans la liste des destinataires ses frères Kenneth et Ralph (seul celui-ci a co-signé) et Tyrone Hayes, ce chercheur prétendument harcelé par Syngenta.
« Je suis avec toi dans cette affaire [...] »
La lettre de sollicitation était datée du 11 novembre 2015 à 9 h 10. La réponse (du reste la seule publiée dans ce lot de documents... comme si elle avait échappé à un tri sélectif) est horodatée 9 h 26...
M. Landrigan aura donc pu vérifier la justesse des thèses de M. Portier et l'opportunité de demander à M. Andriukaitis de faire subir un classement vertical aux conclusions de l'EFSA en un quart d'heure...
Ce sujet a été traité avec brio par notre amie Susanne Günther (Schillipaeppa). Patience donc
Idem.
Sans surprise, la correspondance échangée avec Mme Kathryn Guyton est abondante et témoigne d'une proximité dont nous considérons qu'elle contrevient au devoir d'impartialité de la fonction publique internationale :
« Il y a conflit d’intérêts lorsque les intérêts personnels d’un fonctionnaire international entrent en concurrence avec l’exercice de ses fonctions ou compromettent l’intégrité, l’indépendance et l’impartialité que lui impose sa qualité de fonctionnaire international. L’expression "conflit d’intérêts" désigne notamment les situations où un fonctionnaire international pourrait tirer indûment profit, directement ou indirectement, de son appartenance à l’organisation qu’il sert, ou permettre à un tiers de le faire. Un tel conflit peut découler des rapports personnels ou familiaux que le fonctionnaire entretient avec des tierces parties, des particuliers, des bénéficiaires ou des institutions extérieures au système des Nations Unies. »
Mais peut-être que l'objectif inavoué du CIRC est de contribuer à la bonne marche des affaires des « ONG » qui militent contre la chimie, comme l'Environmental Defense Fund dont M. Christopher Portier est un collaborateur – un fait que l'on ne pouvait ignorer au CIRC car il est expressément mentionné dans son CV comme senior visiting scientist en 2013. Au fait, combien d'activistes d'ONG ont-ils eu ce privilège ? Copinage ? Collusion ?
Notez bien l'objectif de ce programme de chercheurs invités : « Un des objectifs de l'Agence est de créer des liens de recherches collaboratives avec des scientifiques du monde entier... » (moyennant quoi 19 des 44 de cette liste provenaient des États-Unis d'Amérique et 16 autres de pays anglophones...).
La frontière du conflit d'intérêts est ténue. Lorsque Mme Guyton envoie le courriel suivant à M. Portier et M. Smith, s'agit-il d'une information partagée de manière informelle avec deux membres (et deux seulement du Groupe de Travail de la Monographie 112), ou d'un échange dans un cadre plus vaste ?
Ce genre de question se pose aussi s'agissant de M. Kurt Straif, qui est – ou fut – le chef de la Section des Monographies.
Quel était l'intérêt de communiquer à M. Christopher Portier et Mme Hedwig Emmerig un article nauséabond de Mme Carey Gillam, de l'USRTK ? Si l'on cherche un intérêt professionnel, lié à l'organisation, ce serait sans doute la défense du classement du glyphosate en « cancérogène probable » envers et contre tout – y compris par la diffamation des experts de la JMPR, organe en partie de l'OMS, la maison-mère du CIRC...
Mais qui est cette Hedwig Emmerig ?
La personne en charge de la biotechnologie et de la bioéthique du groupe Alliance 90/Les Verts du Bundestag allemand !
Il nous semble que des boucles sont bouclées. M. Portier est au centre d'un réseau, mais il serait à notre sens peu opportun de se concentrer sur lui.
Le problème, c'est le CIRC. Est-ce un problème de quelques personnes, de loups pas vraiment solitaires car il semble y avoir une meute (Kate Guyton, Kurt Straif, des gens du groupe des communications faisant la veille et entretenant des liens avec des personnages comme « Stef ») ? Ou plutôt un problème systémique comme tendent à le montrer la passivité de la direction, le refus obstiné d'expliciter le sens du classement en « probablement cancérogène », et les contributions apportées aux opposants au renouvellement de l'autorisation du glyphosate ?
La communication de M. Straif avec Mme Emmerig – dévoilée par hasard dans la correspondance de M. Portier – ne serait-elle que la pointe de l'iceberg ? N'y a-t-il pas – directement ou par l'intermédiaire des Verts allemands d'Alliance 90/Les Verts – une collusion avec les « ONG » qui se sont investies dans l'opposition au glyphosate ?
C'est tout récent... Le Comité de la Science, de l'Espace et de la Technologie de la Chambre des Représentants vient d'écrire au directeur du CIRC. M. Christopher Wild. La lettre capture plutôt bien les griefs à l'encontre du CIRC.