L'assurance, alternative aux pesticides ? Un oui béat et benêt pour le Monde de Stéphane Foucart
On aimerait pouvoir introduire cette critique par : « se non è vero, è ben trovato ». L'idée de l'assurance est en principe vraie ; pour la durabilité de l'idée, c'est à voir.
Tout est bon dans le Monde Planète pour faire l'article contre les pesticides (de synthèse évidemment, pas ceux autorisés en agriculture biologique qui, comme la moitié des Français ne le sait pas, utilise aussi des pesticides, dont certains ne sont guère amis de la santé et de l'environnement).
C'est pourtant simple : « Pesticides : l’Italie a montré qu’il existe des alternatives », avec en chapô :
« L’alternative à l’utilisation des néonicotinoïdes sur les cultures agricoles peut résider dans des innovations socio-économiques, explique dans sa chronique Stéphane Foucart, journaliste au "Monde". »
« Pesticides » dans le titre, « néonicotinoïdes » dans le chapô, quelle belle illustration du journalisme truqueur et manipulateur !
Quelle est cette superbe innovation ?
« En 2008, l’interdiction de certains néonicotinoïdes par le gouvernement italien donne à Lorenzo Furlan l’opportunité de remettre en selle l’idée qui lui était venue voilà trente ans. Avec Filippo Codato, il met en œuvre une piste à la simplicité désarmante : un fonds mutualisé remplissant le même rôle d’assurance-récolte que les pesticides, mais sans aucun de leurs inconvénients. »
Ce système, initié en 2014, couvrirait aujourd'hui 50.000 hectares, assurés contre une prime de 3 à 5 euros par hectare. Ce serait donc d'une simplicité biblique !
« De 3 à 5 euros, précise l’agronome italien, c’est entre sept et dix fois moins que la somme nécessaire pour barder l’hectare de maïs d’une armure chimique. »
À vos calculettes... Nous trouvons que, ramenée à l'hypothèse (peu probable) d'une perte totale, cette prime ne permet d'indemniser qu'un très petit nombre d'hectares. Curieux que les agriculteurs et, surtout, les assureurs si inventifs pour vous concocter des produits n'y aient pas pensé avant...
Mais voici la réflexion de l'innovateur :
« C’est une histoire digne de l’univers absurde des Shadoks – la série culte de Jacques Rouxel – que raconte Lorenzo Furlan. "Il y a une trentaine d’années, dans la région d’Italie où je travaille, j’ai réalisé que la plupart des traitements insecticides appliqués sur le maïs étaient inutiles puisque les ravageurs ciblés étaient absents de 90 % à 95 % des champs traités, raconte l’agronome italien (Institut d’agronomie de Vénétie). Et la situation était d’autant plus absurde que l’utilisation de ces intrants dégradait la qualité de la récolte…" »
On voit mal comment l'utilisation d'insecticides – en pulvérisation ou traitement des semences – peut dégrader la qualité de la récolte. On sent là des relents d'idéologie (et ce n'est pas le seul exemple de déclaration étonnante). L'observation qui aurait été faite suggère que les traitements étaient inutiles. Et si, au contraire, elle attestait de leur efficacité ?
Cela amène à nous interroger sur la prétendue innovation : le système assurantiel, en admettant qu'il soit fonctionnel passé le lancement et la phase de recrutement, ne repose-t-il pas sur une réduction de la pression des ravageurs, au niveau global, par les producteurs qui traitent, et qui en font bénéficier ceux qui ne traitent pas ?
Cela rejoint une observation faite aux États-Unis d'Amérique s'agissant du maïs Bt. Elle aussi fut relayée parce qu'elle répondait à une idéologie : on avait constaté que des producteurs utilisant des variétés conventionnelles dégageaient de meilleurs marges que ceux utilisant des variétés Bt. L'explication agronomique : la réduction de la pression des ravageurs.
Ce raisonnement, du reste, s'applique aussi dans le cas de l'agriculture biologique qui bénéficie d'un parapluie phytosanitaire.
Mais diminuez la protection phytosanitaire, et les ravageurs réapparaissent en force, et les pertes se multiplient, et les demandes d'indemnisation augmentent, et les primes s'envolent... et le système s'écroule.
Mais tout est bon pour faire croire aux lecteurs du Monde qu'il y a des solutions simples à des problèmes complexes, des solutions qui éliminent les pesticides déclarés axiomatiquement ennemis de la santé et de l'environnement.
Avec, bien sûr, les contre-vérités de nature à convaincre les lecteurs que la planète est en danger :
« Ce genre de traitement [les traitements des semences avec des néonicotinoïdes] est donc, par nature, prophylactique. Que le moindre ravageur soit présent ou non sur la parcelle, la plante y tuera les insectes et ne fera pas dans le détail. Et tant pis pour toutes les autres bestioles qui s’y aventurent – abeilles, bourdons, papillons, etc. »
Non, M. Foucart, ces traitements ne tuent pas indistinctement les insectes. Et s'ils sont autorisés, c'est précisément parce que les instances d'évaluation et les autorités de décision ont trouvé que, appliqués selon les préconisations, ils ont un profil acceptable.
Le lecteur n'échappe pas non plus à l'INRA qui :
« a par exemple montré qu’une réduction substantielle des tonnages d’intrants chimiques était possible, dans la majorité des exploitations, sans aucune baisse des rendements… »
La réalité est bien plus complexe selon l'INRA lui-même, et l'article prétendument scientifique n'est pas à l'abri de la critique dévastatrice (voir ici et ici).
Le lecteur échappe encore moins aux imprécations à la Philippulus :
« Et il y a urgence. Des travaux publiés fin octobre ont pour la première fois quantifié le désastre des pratiques de l’agriculture conventionnelle sur la biodiversité. En trente ans, près de 80 % des insectes volants ont disparu des zones naturelles protégées d’Allemagne et tout indique que ce constat est valable ailleurs en Europe. Il suffit de voir les calandres et les pare-brise de nos automobiles, souvent vierges de tout impact d’insectes. »
C'est une autre étude qui a été mise en charpie (nous y reviendrons peut-être) pour ses incroyables carences méthodologiques et audacieuses extrapolations. Une étude qui, du reste, ne propose aucun lien de cause à effet entre réductions des effectifs d'insectes et pesticides.