Glyphosate : le Monde de la propagande en trois articles
À en croire l'index du Monde Planète, sous-rubrique Agriculture & Alimentation, l'avant-dernière salve d'articles sur – faut-il plutôt écrire : « contre » ? – le glyphosate s'est arrêtée le jeudi 26 octobre 2017 avec un éditorial pas piqué de vers, « Glyphosate : une bonne leçon de démocratie ». C'est que, la veille, la Commission Européenne avait reporté le vote sur le renouvellement de l'autorisation du glyphosate dans l'Union Européenne.
Le temps de se frotter les mains de satisfaction, de se mettre momentanément en veilleuse... et de reprendre ses activités – ou plutôt son activisme – en préparation du vote du 9 novembre 2017.
Le 6 novembre 2017 (date sur la toile), le Monde publiait « Pesticides : "Faire passer la santé de nos enfants d’abord" » de M. Baskut Tuncak, rapporteur spécial de l’ONU sur les Droits de l’Homme et les produits et déchets dangereux. C'était un peu tôt par rapport à l'échéance bruxelloise. Mais il s'agissait d'un effort coordonné : le même texte est paru dans le Guardian britannique.
C'est une jolie construction sophistique dont le ressort principal, par l'instrumentalisation des enfants, est l'appel à la pitié. Il y a aussi l'arrogance de l'appel à l'autorité personnelle : « En tant que scientifique et juriste spécialisé dans les produits chimiques et leurs impacts potentiels sur les droits fondamentaux, je ne suis pas d’accord. »
En tout cas, pour la maîtrise en enfumage, nous sommes servis :
« La Convention de l’Organisation des Nations unies sur les droits de l’enfant, le traité international de droits humains le plus ratifié au monde (seuls les Etats-Unis n’en font pas partie), est claire quant à l’obligation explicite des Etats à protéger les enfants de l’exposition aux produits chimiques toxiques provenant de nourriture contaminée et d’eau polluée, et à garantir que chaque enfant puisse jouir de ce droit à travers le meilleur état de santé possible. Ce droit – et bien d’autres – est violé par le régime actuel d’utilisation des pesticides. »
Non, la Convention n'est pas « claire ». Le plus approchant (article 24) est :
« 1. Les Etats parties reconnaissent le droit de l'enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s'efforcent de garantir qu'aucun enfant ne soit privé du droit d'avoir accès à ces services.
2. Les Etats parties s'efforcent d'assurer la réalisation intégrale du droit susmentionné et, en particulier, prennent les mesures appropriées pour :
[…]
c) Lutter contre la maladie et la malnutrition, y compris dans le cadre de soins de santé primaires, grâce notamment à l'utilisation de techniques aisément disponibles et à la fourniture d'aliments nutritifs et d'eau potable, compte tenu des dangers et des risques de pollution du milieu naturel;
[...] »
Et on aimerait bien savoir comment « [c]e droit – et bien d’autres – est violé par le régime actuel d’utilisation des pesticides », de manière générale et s'agissant plus particulièrement du glyphosate.
Mais il est vrai que nous avons ici un spécialiste de la rhétorique alter et anti qui a longtemps travaillé pour le Center for International Environmental Law (CIEL).
Cette participation au lobbying anti-glyphosate, cette déclaration publique qui n'est même pas fondée sur le thème des droits de l’homme et des produits et déchets dangereux, n'est pas compatible, à notre sens, avec les règles générales régissant le statut et les droits et obligations élémentaires des personnalités au service de l’ONU non fonctionnaires du Secrétariat et des experts en mission et les règle complémentaires régissant la conduite des titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des Droits de l'Homme.
Après les propos ronflants de M. Baskut Tuncak, le Monde a donné la parole à M. Pierre-Michel Périnaud, président de l’association Alerte des Médecins sur les Pesticides (AMLP). Avec « Glyphosate : "En Europe, un pesticide classé cancérogène doit être retiré du marché" », ce sont des propos recueillis par M. Stéphane Foucart. Publiés sur la toile le 8 novembre 2017, la veille du vote.
Il a dû leur échapper que le glyphosate n'est pas « classé cancérogène », mais « ...cancérogène probable », et ce, par une institution dont l'opinion n'est pas directement pertinente pour la politique européenne... Mais quand on fait de l'« information », on ne s'arrête pas à ce genre de détail...
On ne peut qu'être atterré par les propos tenus par M. Périnaud :
« Ce qui nous a décidés, c’est la publication du rapport du Centre international de recherche sur le cancer [CIRC], de l’agence de l’Organisation mondiale de la santé, qui a classé, en mars 2015, le glyphosate comme "cancérogène probable" pour les humains. Quand on est médecin et qu’on s’intéresse aux données toxicologiques et aux causes des maladies, il ne vient pas à l’esprit de remettre en cause les avis du CIRC. »
Ce respect inconditionnel de l'autorité (en principe) médicale, est-ce vraiment cela que l'on enseigne dans les facultés de médecine ? Il est à notre sens de façade et de pur opportunisme, surtout après la révélation de nombre de malversations qui entachent la décision du CIRC. Mais le grégarisme et l'escalade d'engagement interdisent toute remise en cause de la posture maintenant indurée.
M.Périnaud milite-t-il aussi pour l'interdiction des téléphones portables, des frites, du pain, de la viande rouge, du vin, du café?
Il faut aussi « avaler » un non sequitur, après quelques développements obséquieux sur les travaux du CIRC :
« A partir de ces éléments, le CIRC a classé le glyphosate "cancérogène probable" et, en Europe, la législation est claire : un pesticide classé cancérogène doit être retiré du marché. »
« ...cancérogène probable » n'est pas « cancérogène » et le classement qui importe pour les décisions au niveau européen, c'est celui de l'EChA... Mais M. Périnaud est « à la tête d'un réseau de 1.700 médecins demandant le retrait du glyphosate » et donc tant pis pour la bonne foi et la rationalité.
Est-on dans le ressort du mensonge caractérisé ou de l'autosuggestion avec :
« L'expertise [collective de l'INSERM de 2013] associait aussi les lymphomes non hodgkiniens au glyphosate. Deux ans plus tard, le CIRC est parvenu à la même conclusion » ?
L'expertise n'a fait que recenser les travaux réalisés. De plus, cette caractérisation des travaux de l'INSERM est fausse. Voici le paragraphe pertinent de l'expertise :
« L’absence d’augmentation de risque de LNH observée dans l’étude de cohorte AHS ne semble pas en accord avec les résultats des études cas-témoins. En effet, des augmentations significatives de risque de LNH ont été observées dans les études cas-témoins poolées suggérant la possibilité d’une association entre l’exposition au glyphosate et les LNH. Cependant, une analyse plus détaillée montre qu’aucune de ces études cas-témoins poolées ne tient compte de la durée ou de la fréquence d’utilisation du glyphosate et que les risques diminuent dans les analyses de régression hiérarchiques ou multivariées. Une étude rapporte que les types de lymphomes davantage impliqués seraient les lymphomes de type leucémie lymphoïde chronique/lymphome à petites cellules et LNH non spécifié. »
C'est là, du reste, un paragraphe qui mérite bien une petite analyse argumentaire qui pourrait déboucher sur une étude plus vaste de la sincérité de l'expertise. Les bémols sur les études cas-témoins auraient notamment justifié une inversion de la première phrase. Inversion qui se recommande aujourd'hui encore plus en raison des analyses les plus récentes.
Il y a aussi cette déclaration surprenante sur une prétendue carence de l'enseignement universitaire en santé environnementale :
« On nous donne, à l'université, un certain nombre de causes générales : le tabac, l'alcool, le cholestérol, le sel, le sucre... Et c'est à peu près tout pour rechercher les causes des maladies. Nous sommes un peu formatés à ne pas chercher plus loin que ces quelques éléments. [...] »
Les deux Stéphane ont aussi produit, le 8 novembre 2017 sur la toile, « Après deux ans de polémiques, l’Europe décide du sort du glyphosate ». Dans l'édition papier datée du 9 novembre 2017, c'est : « Paris refuse la réautorisation du glyphosate au-delà de 3 ans ».
C'est en principe un état des lieux qui déborde largement du cadre des titres. Avec rapidement une belle prouesse :
« Au Royaume-Uni et à l’Espagne, favorables au glyphosate, s’opposent la France, l’Italie, la Belgique ou l’Autriche et, dans une moindre mesure, l’Allemagne, qui s’est jusqu’à présent abstenue. La chancelière Angela Merkel étant toujours dans l’incapacité de former son gouvernement, elle pourrait conserver cette posture. »
Réduire les États favorables au renouvellement de l'autorisation du glyphosate aux seuls Royaume-Uni et Espagne, il faut oser ! Tout comme compter une abstention – en fait pour cause d'accord de gouvernement de la grande coalition – comme une opposition, certes « dans une moindre mesure ». Mais l'« information »... au Monde Planète...
Les auteurs nous refont le coup du lobbying forcené :
« La pression est considérable : de toutes parts, lobbyistes et groupes de pression ont tenté ces derniers jours d'ultimes manœuvres pour peser sur l'issue du feuilleton. »
Cette obsession du lobbying est lassante, mais pour une fois...
On apprend donc que l'eurodéputé luxembourgeois Vert Claude Turmes a demandé une analyse juridique de Mme Corinne Lepage. Celle-ci a conclu, en bref, que l'autorisation actuellement en sursis est illégale, étant elle-même fondée sur un renouvellement illégal en son temps, et qu'elle ne saurait donc être renouvelée.
On peut trouver fort étonnant que cet argument soit brandi deux jours avant le vote décisif, mais nous n'avons probablement pas encore tout vu dans cette saga.
Sous l'intertitre « Lobbying dissimulé », on apprend que :
« L'ONG Corporate Europe Observatory (CEO) a déposé plainte contre Monsanto, mardi 7 novembre, auprès du secrétariat chargé du registre officiel européen des lobbies. Selon CEO, la somme qu'y déclare Monsanto en dépenses de lobbying (400 000 euros en un an) est largement sous-évaluée [...] »
Lien avec la réhomologation du glyphosate ? Aucun.
Si ce n'est peut-être une ultime tentative du CEO, complaisamment relayé par le Monde des deux Stéphane, de peser, non pas sur la décision ou plutôt non-décision alors prévisible, mais sur une opinion « publique » travaillée au corps. Ultime évidemment au regard de l'échéance du 9 novembre 2017.
Le sophisme du discrédit par association (Monsanto = Le Mal, donc glyphosate = Le Mal) a encore de beaux jours devant lui.
Tout est bon pour discréditer Monsanto et par ricochet, ici, le glyphosate. Mais Stéphane n'est-elle pas une ancienne collaboratrice du CEO ? Sans que cela ne crée – bien sûr – de conflit d'intérêts dans le cadre de l'« information » du Monde... Donc :
« Enfin, il n'existe nulle entrée dans le registre pour deux autres structures que finance Monsanto comme la "Glyphosate Task Force", l'alliance des firmes commercialisant le glyphosate en Europe. »
Il ne sera pas dit aux lecteurs du Monde que la GTF ne fait pas de lobbying mais est tout simplement le consortium qui a demandé le renouvellement de l'autorisation du glyphosate. Mais on nous démontrera peut-être que le simple fait de déposer la demande est déjà le premier acte de lobbying... On peut tout au Monde Planète...
Là, nous sommes dans l'information, la vraie :
« Le cabinet d'avocats américain, Baum & Hedlund, a écrit, mardi 31 octobre, un long courrier aux parlementaires européens, ainsi qu'à plusieurs représentants de la Commission et des États membres, pour les enjoindre de ne pas réautoriser le glyphosate sur le Vieux continent. »
Le Monde nous expose ensuite didactiquement ce que contient cette lettre.
Des avocats états-uniens qui s'inquiètent de la santé des Européens ?
Dans toute autre configuration, des voix se serait élevées, y compris au Monde, contre l'ingérence d'un cabinet d'avocats états-unien dans les affaires intérieures européennes – d'autant plus qu'il s'agit ici de faire avancer des plaintes déposées aux États-Unis grâce à des actions qui seraient prises (ou pas prises) en Europe.
Pour le Monde Planète, si disert avec ses « Monsanto Papers » sur les prétendues tentatives de Monsanto peser sur les travaux des agences d'évaluation, cette intrusion d'un cabinet d'avocats américain dans les affaires européennes n'est pas digne d'une indignation... juste deux paragrpahes pour remplir une pige.
Mais c'est normal : il s'agit du glyphosate et d'un fonds de commerce journalistique (affligé, qui plus est, de conflits d'intérêts). La saga du méchant Monsanto ne doit pas être polluée par l'arrivée d'un nouveau méchant.
Là, nous ne sommes plus dans l'information, sauf à inclure dans cette notion la littérature pour salles d'attente :
« Les défenseurs du glyphosate se sont servis de la façade du Parlement de Bruxelles pour projeter des messages lénifiant sur l'herbicide dans la soirée du 24 octobre [...] »
La nouvelle n'est pas très fraîche, et si on peut appeler cela des manœuvres, elles ne sont pas vraiment ultimes au regard de l'échéance du 9 novembre 2017 qui fut précédée, comme on sait, par celle du 25 octobre 2017. L'opération aurait été menée par
« cinq organisations de lobbying, menée par l'ECPA, qui représente le secteur des pesticides et dont Monsanto est adhérente. »
Admirez le vocabulaire du dénigrement : l'Association Européenne de Protection des Plantes n'est pas une association professionnelle représentant les intérêts d'un secteur d'activité économique, mais une « organisation[...] de lobbying ». Et, bien sûr, le sophisme du discrédit par association qu'on présente parfois comme l'argumentum ad Monsantum. Le glyphosate est pourtant dans le domaine public depuis 2000 et les principaux producteurs sont chinois. Mais rien n'y fait... c'est l'« information » selon le Monde Planète des Stéphane et Stéphane.
Voici l'illustration de la page d'accueil du site de M. Éric Andrieu. Les intérêts de la France et des Français sont bien représentés à Bruxelles et Strasbourg...
C'est de la bière éventée ? Ouf ! Il y a aussi les Dupond et Dupont de la glyphophobie du Parlement Européen. Nous avons nommé les socialistes (comme quoi, il n'y a pas que les Verts...) Éric Andrieu et Marc Tarabella :
« "La façade du Parlement européen n'est pas un paillason !" se sont indignés, mardi 7 novembre dans un communiqué les eurodéputés socialistes, Éric Andrieu et Marc Tarabella. »
Nous apprenons donc que projeter un message sur la façade du Parlement Européen est une « insulte pour la démocratie » – selon l'indignation de deux eurodéputés qui aura mis bien du temps à se forger.
Mais la lettre est intéressante :
« ...l’organisation pro-pesticides European Crop Protection a projeté sur la façade du Parlement européen du matériel de communication qui peut être assimilé à une véritable propagande en faveur de l’utilisation de ce produit.
Cette projection a fait l’objet par cette même organisation d’une vidéo fortement relayée et commentée sur les réseaux sociaux […]. »
Rigoureux et mesurés dans la description et l'évaluation des faits, tant pour la « propagande » que pour l'effet de la vidéo... on peut être admiratif !
Mais cette vidéo a été tellement relayée que nous ne l'aurions pas trouvée sans le concours d'Éric et Marc (et sans l'article de Stéphane et Stéphane)...
Nous ferions cependant bien de nous interroger sur les dérives obsessionnelles, sectaires, avec des relents d'intolérance et de totalitarisme qui polluent notamment le Parlement Européen. Cette gesticulation est peut-être profitable à des élus qui doivent concourir pour une place d'éligible dans un scrutin à la proportionnelle ; elle ne l'est certainement pas pour l'Europe et les Européens.
Au fait, on apprend dans la vidéo qu'un des insulteurs de démocratie a été le COPA-COGECA, l'organisation représentative – oups ! Le lobby – des agriculteurs et des coopératives agricoles. Mais chut ! Ne le dites pas aux lecteurs du Monde : ils doivent rester cloîtrés dans l'idée de la lutte implacable que le Mal personnifié par les agrochimistes en général et Monsanto en particulier mène contre le monde.
MM. Andrieu et Tarabella répondront-ils à l'invitation ?
Peu présent, n'est-ce pas, dans ces « ultimes manoeuvres »... Heureusement, il y a les « Monsanto Papers ».
Stéphane et Stéphane passent donc du coq à l'âne :
« La clairvoyance de Monsanto sur la dangerosité de son herbicide phare affleure des dernières livraisons de ses documents internes [...] »
Extrayons du blabla d'enfumage :
« Le 23 février 2015, un mois avant que l'agence es Nations unies ne déclare l'herbicide "cancérigène probable", Monsanto élaborait déjà le rétroplanning de sa contre-attaque. »
Et donc, monter un plan de réponse à une éventualité est, pour Stéphane et Stéphane, un aveu d'admission de la dangerosité du glyphosate.
« La firme planifiait alors sa surprise et son indignation en vue d'"orchestrer le tollé contre la décision du CIRC"... qui ne sera annoncée que le 20 mars. »
Voyez-vous ça, comme c'est mal ! Bien sûr, c'est Monsanto... Et c'est le Monde Planète...
Mais voyons ! Ça ne doit pas intéresser la curiosité des lecteurs du Monde....