Glyphosate : l'omerta médiatique enfin levée, la fin de non recevoir du CIRC
André Heitz*
Le 9 novembre 2017, une équipe de chercheurs, a publié une nouvelle étude. Le résultat est sans appel : aucun lien démontré entre glyphosate et cancer. Au grand désespoir de ceux qui ont fait du combat contre le glyphosate une vraie croisade contre la science.
À l'heure où nous écrivions, c'est J + 12. En France, le Figaro venait de lever le voile. Enfin, car il s'agit d'une information importante, voire essentielle, dans le contexte de la décision sur le sort du glyphosate, et de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire européennes, qui doit se prendre à Bruxelles le 27 novembre prochain.
Le Monde, si prompt à nous entretenir des petits détails des « Monsanto Papers », exclusivement à charge contre le glyphosate et Monsanto, s'était claquemuré... mais il a rapidement trouvé, sous la plume de M. Stéphane Foucart, l'étude – non encore publiée – qui contredit l'étude qui tend à contredire le CIRC.
Et le CIRC a répondu par voie de presse, en bref : « Pff ! »
Pas de lien entre glyphosate et cancer
Le 9 novembre 2017, une équipe de chercheurs, tous du service public, emmenés par Mme Laura E. Beane Freeman (dernier auteur de la liste, la première étant Mme Gabriella Andreotti) a publié « Glyphosate Use and Cancer Incidence in the Agricultural Health Study » (utilisation du glyphosate et incidence du cancer dans l'étude sur la santé en milieu agricole) dans le Journal of the National Cancer Institute (JNCI).
Le résultat est sans appel : aucun lien démontré entre glyphosate et cancer.
L'Agricultural Health Study est une étude de cohorte – l'étalon d'or en matière d'épidémiologie. Celle-ci suit plus de 89.000 agriculteurs et conjoints de l'Iowa et de Caroline du Nord depuis 1993.
Des questionnaires leur sont régulièrement envoyés pour recueillir des données sur leur mode de vie et leurs activités, ainsi que leur santé. Cela permet de croiser les informations, y compris avec celles tirées d'autres bases de données, et de trouver des liens ou des associations, voire des relations de cause à effet.
Les populations agricoles en bonne santé
L'équivalent en France, c'est AGRICAN. L'étude, plus récente, porte sur plus de 180.000 affiliés à la Mutualité Sociale Agricole (MSA) enrôlés entre novembre 2005 et décembre 2007.
Les deux cohortes montrent que les populations agricoles jouissent d'une meilleure santé et d'une plus grande espérance de vie que la population générale. L'incidence du cancer y est aussi moindre, mais en excès pour certains sites (dans le cas de l'AHS, prostate, lignées sanguines et lèvres pour les hommes, ovaires pour les femmes – résumé d'un document sur AGRICAN).
Le 20 mars 2015, le Centre International de Recherche sur le Cancer (IARC) avait annoncé qu'il avait classé le glyphosate en « cancérogène probable » sur la base, notamment, de « preuves limitées de cancérogénicité chez les humains pour le lymphome non hodgkinien ». Ces preuves provenaient d'« études de l'exposition, principalement agricole, aux USA, au Canada et en Suède publiée depuis 2001 ».
Des preuves contestables
En fait, il s'agit uniquement d'études cas-témoins issues d'expositions agricoles. Et l'analyse de la monographie du CIRC montre que les preuves sont vraiment limitées et contestables, voire inexistantes.
Pour une démonstration lumineuse, il faut lire : « Glyphosate : L’insoutenable légèreté du CIRC », de M. Philippe Stoop sur Forumphyto, tout juste sorti. De plus, les études cas-témoins sont plus susceptibles d’être biaisées par des biais de recrutement, des facteurs de confusion et des biais d'anamnèse ou de mémorisation (on demande aux malades de décrire leur exposition à certains facteurs de nombreuses années après cette exposition).
Ce classement en « cancérogène probable » porte en principe sur le danger et non le risque (lequel tient compte de l'exposition et des mesures de prévention et de mitigation. Le Préambule des monographies expose clairement cette distinction et la finalité des travaux du CIRC. Il précise que les monographies
« sont utilisées par les autorités nationales et internationales pour procéder à des évaluations des risques, formuler des décisions concernant les mesures de prévention, établir des programmes efficaces de contrôle du cancer et faire des choix entre les options pour les décisions de santé publique » (notre traduction).
Parti pris du CIRC
Il est fort regrettable que le CIRC ait obstinément refusé d'expliquer le sens à donner à son classement ou se soit limité au service minimum, alors que les médias, les « ONG » et les acteurs des réseaux sociaux à tendance anti-pesticides et altermondialiste, sans compter certains hommes politiques, se sont déchaînés contre le glyphosate. Ce n'est là qu'une manifestation du parti pris du CIRC, voire de sa participation à une manœuvre socio-politique.
Le classement a été vivement contesté et réfuté par une ribambelle d'agences d'évaluation supranationales et nationales et d'autorités de régulation : OMS – la maison-mère du CIRC –et FAO dans le cadre de la Réunion Conjointe sur les Résidus de Pesticides (JMPR) ; EFSA et EChA européennes, avec le concours d'experts des États membres (notons que l'EChA évalue aussi le danger) ; agences nationales de la France, l'Allemagne, l'Australie, le Canada, la Corée du Sud, les États-Unis d'Amérique, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Suisse.
Guerre contre la technologie
Mais rien n'y a fait. Dans ce qui est devenu une extraordinaire guerre contre la technologie, le CIRC devait avoir raison contre tous les autres, tenus pour incompétents, manipulés, achetés.
Le classement à peine publié, des cabinets d'avocats prédateurs se sont mis en chasse aux États-Unis d'Amérique pour recruter des plaignants atteints de lymphome non hodgkinien (ou leurs ayants droit) et attaquer Monsanto en justice dans l'espoir de gagner de juteux dommages-intérêts à partager entre eux-mêmes et les plaignants.
Les plaintes ont donné lieu à un grand déballage qu'un journal du soir français a exploité sous le vocable « Monsanto Papers ». Mais il y a aussi un « CIRC-Gate » – un véritable scandale – sur lequel la plupart des médias (et évidemment tout le monde alter et anti) ont jeté un voile pudique.
Il ressort de la déposition de M. Aaron Blair, le président du groupe de travail du CIRC que celui-ci n'a pas pris en compte les derniers résultats de l'AHS – sous prétexte qu'ils n'avaient pas été publiés (dans une revue à comité de lecture).
Ces résultats étaient pourtant connus de M. Blair, puisqu'il était un des co-auteurs d'un projet d'article général sur les herbicides et le cancer qui n'a jamais atteint le stade de la publication (deux versions successives ont été versées au dossier judiciaire et sont disponibles ici et ici).
Et, selon sa déclaration, leur inclusion dans le fond documentaire du groupe de travail aurait modifié le classement. Notons qu'initialement, ces résultats auraient dû figurer dans un autre article, portant sur tous les pesticides et le glyphosate, et qu'ils en ont été retirés « faute de place ».
La relation glyphosate/cancer
Gabriella Andreotti et al. ont donc pris le relais, spécifiquement sur le glyphosate et le cancer. Et pour publier un article scientifique qui, en temps normal, n'aurait probablement pas vu le jour. Car, comme nous l'avons annoncé plus haut, il présente des résultats « négatifs ».
C'est là une constatation importante de portée plus générale : la littérature académique est biaisée et rapporte surtout les résultats « positifs » – dans ce cas précis les associations entre pesticides et cancers. Ainsi, dans les projets d'article précité, l'absence d'association entre glyphosate et cancer devait essentiellement se déduire par implication. Et le CIRC travaille sur la base de cette littérature biaisée...
L'étude d'Andreotti et al. a porté sur 54.251 applicateurs de pesticides, dont 44.932 (82,8 %) ont utilisé du glyphosate. Ces derniers ont donc été comparés au (54.251 – 44.932 =) 9.319 non utilisateurs de glyphosate qui ont constitué le groupe témoin. Les applicateurs de glyphosate ont été divisés en quatre groupes d'effectifs égaux, ce qui permettait de détecter un éventuel effet dose.
Les limites des conclusions du CIRC
On a diagnostiqué 7.290 cancers dans cette population au fil des ans ; 5.779 chez les utilisateurs de glyphosate. Résultat : pas d'association significative entre glyphosate et cancer – pour aucun site. Les auteurs ont détaillé leurs résultats pour chaque type de cancer selon la classification standardisée. Ils ont aussi pris l'initiative, rare, de donner les chiffres bruts et pas seulement les risques relatifs, ce qui permet au béotien de mieux comprendre l'étude.
À titre d'exemple, pour les lymphomes non hodgkiniens, on a observé 135 cas chez les 9.319 non-applicateurs et de 104 à 113 cas chez les applicateurs, répartis en groupes de 11.244. Pour les lymphomes non hodgkiniens des cellules B, c'est, respectivement, 128 et de 93 à 106. Mettez ces chiffres entre les mains d'un manipulateur d'opinions sans scrupule et il pourra vous affirmer que le glyphosate protège du LNH ! En fait, la signification statistique n'est pas suffisante pour une telle affirmation.
Il n'y a donc pas d'association pour le lymphome non hodgkinien, retenu par le CIRC pour poser son diagnostic de « preuves limitées » sans lesquelles il ne pouvait pas conclure à un « cancérogène probable ».
Les chercheurs ont cependant signalé un risque accru de leucémie myéloïde aiguë (LMA) parmi les utilisateurs de glyphosate dans le quartile d'exposition le plus élevé, par rapport aux non-utilisateurs, mais à un niveau de signification statistique qui ne permet que de suggérer que cette constatation requiert une confirmation.
La presse s'empare des conclusions... après 12 jours
Il aura fallu douze jours en France pour qu'un journal de la presse généraliste publie cette information importante et, pour certains milieux, dérangeante. Suffisamment dérangeante pour que le Monde allume un contre-feu avec « Glyphosate et cancer, l’étude qui relance le débat ». Il a aussi publié une réaction anonyme (qu'on suppose, hélas, autorisée...) du CIRC... au bout de douze jours :
« La classification du glyphosate est toujours valide [...]. Les premiers résultats de l’AHS sur le sujet [publiés en 2005] n’avaient pas non plus mis en évidence de lien entre le glyphosate et les lymphomes non hodgkiniens, mais ces résultats ne l’emportaient pas sur les autres études épidémiologiques, conduites dans plusieurs pays, qui montrent un tel lien. »
À plusieurs reprises, M. Christopher Wild, le directeur du CIRC, avait indiqué que le CIRC (ne) pouvait réviser un classement (que) si survenait un élément nouveau. Ainsi, dans sa lettre du 16 avril 2015 à M. Philip W. Miller, Vice-président de Monsanto pour les affaires réglementaires globales :
« Le CIRC peut réévaluer des substances lorsqu'un nouveau corps significatif de données devient disponible dans le domaine public. Lorsque cela se produit, il est possible qu'une classification soit changée dans une catégorie supérieure ou inférieure. »
Ce « nouveau corps significatif », le voilà... mais...
Mais cette réaction laisse supposer que le CIRC considère que les données de 2017 ne sont pas nouvelles par rapport à celles de 2005. Ou que, les résultats de 2005 ne l'ayant pas emporté « sur les autres études épidémiologiques », il n'y a pas de raison – de par un jugement fait à priori, sans faire intervenir des experts dans un groupe de travail – de considérer que les nouveaux résultats sont plus forts.
On peut le prendre comme on veut, une conclusion s'impose : le CIRC fait de l'obstruction.
Pour déclarer le glyphosate « cancérogène probable », en mars 2015, il a eu recours à un groupe de travail de 17 personnes (dont deux se sont mis au service de cabinets d'avocats à la chasse aux juteux dommages-intérêts et dont la moitié a contribué à une tentative d'influencer le processus de décision européen). Pour opposer une fin de non recevoir à une nouvelle étude susceptible de changer la donne, il suffit qu'un agent du Centre se lâche dans la presse.
Et il est plaisant de constater que, pour parvenir à son classement en « probablement cancérogène », et pour le défendre, le CIRC a ignoré des résultats non publiés et que, pour défendre maintenant ce classement, le Monde de M. Stéphane Foucart se fonde sur des résultats... non publiés.
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* André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.
Ce texte a été publié sur Contrepoints.