Glyphosate et flux d'informations : tout converge !
Schillipaeppa*
La correspondance électronique maintenant publiée de Christopher Portier soulève des questions intéressantes. Dans une lettre du 11 novembre 2015 dans laquelle, selon ses propres indications, Portier a demandé à plusieurs centaines de scientifiques (« several hundred colleagues ») de signer sa lettre ouverte au Commissaire Européen à la Santé, il fait référence à un document (« Addendum ») de l'Institut Fédéral d'Évaluation des Risques (BfR). Dans cet additif, le BfR fournit son évaluation du classement du glyphosate par le CIRC.
Source : https://usrtk.org/wp-content/uploads/2017/10/Portier-and-IARC-related-documents.pdf
Ce document du BfR n'était pas encore publié officiellement à l'époque des courriels de Portier. L'EFSA n'a mis en ligne le document que le 19 novembre 2015. C'est pourquoi, Portier se réfère dans sa lettre à un lien de téléchargement sur le serveur du Mitteldeutscher Rundfunk, la radio centre-allemande (MDR). L'ancien lien ne fonctionne plus en raison d'une réorganisation du site, mais voici le lien actuel : http://www.mdr.de/investigativ/rueckblick/fakt/fakt-glyphosat-bfr-bewertung100.html.
Comment un document non officiel a-il pu atterrir là ? Le 28 septembre 2015 a eu lieu ici, au Bundestag, une audition de la Commission de l'Alimentation et de l'Agriculture sur le glyphosate. Selon le compte rendu, les participants ont reçu un exemplaire de l'additif. Comme le dit le président du comité Alois Gerig lors de l'ouverture de la séance :
« Nous avons reçu du Ministère Fédéral de l'Alimentation et de l'Agriculture (BmEL) un additif non encore rendu public, qui nous a été fourni à la demande faite par le comité ce matin. »
La version PDF de l'additif, qui est disponible à mdr.de est clairement issue d'une copie papier. La perforation est visible et la qualité suggère qu'elle a peut-être même été copiée ou faxée plusieurs fois.
Le MDR était sur place avec une équipe de prise de vues, selon un rapport disponible en ligne. C'est au plus tard à ce moment-là que l'expéditeur aura pris connaissance du document. Mais comment se fait-il que l'additif non encore publié soit parvenu au MDR ? Le soupçon est : quelqu'un qui était présent à l'audition de la Commission de l'Alimentation et l'Agriculture, ou qui a eu accès au document, a fait fuiter l'additif. Mais qui ?
Dans l'article du MDR, il est affirmé que le BfR a négligé les effets cancérogènes du glyphosate dans certaines études sur des rongeurs. Le MDR reflète ainsi, essentiellement, la critique que Christopher Portier a formulée à l'audition :
« De plus, le fait qu'ils [le BfR] refusent de regarder les études sur les animaux, et qu'ils évaluent toutes les études sur le cancer chez les animaux comme négatives, complique une évaluation de l'évaluation des risques qu'ils ont faite pour le cancer, car ils n'ont pas procédé à une évaluation du risque pour le cancer. Étant donné que le CIRC a évalué les études sur le cancer comme génotoxiques, l'évaluation des risques pour le cancer serait significativement différente de l'évaluation des risques pour les points finaux non cancéreux, et la méthode devrait aussi être différente – si je comprend bien les procédures européennes pour le traitement de ces types de produits chimiques. Je ne peux donc pas évaluer l'évaluation des risques du BfR, parce que mon avis, selon lequel le glyphosate est génotoxique et que l'épidémiologie est importante, est tout à fait différent de l'opinion du BfR. Et donc le BfR n'a pas produit une évaluation des risques que je pourrais évaluer. »
La Süddeutsche Zeitung a repris la critique du MDR et cité Harald Ebner, député de l'Alliance 90/Les Verts :
« Harald Ebner, expert agraire des Verts au Bundestag, désapprouve le secret. Il faut déterminer si l'Institut Fédéral peut continuer à travailler de cette manière, demande-t-il. »
Pourtant, le BfR n'est pas la seule institution qui ne déduit aucun signe de cancer des études sur les rongeurs. En fait, c'est l'inverse : le CIRC est la seule organisation qui le fait, toutes les autres institutions internationales sont du même avis que le BfR (voir le tableau). Dans ce contexte, la déclaration de Harald Ebner dans l'article du MDR paraît bien ignorante :
« Les études ne sont quand même pas nouvelles. Ce sont des études qui datent déjà de plusieurs années. Je me demande donc : comment a-t-on pu ignorer cela ? Pourquoi le BfR est-il arrivé à la conclusion : pas de signification, pas de cancérogénicité ? »
Le MDR se réfère ici à l'additif dans lequel le BfR explique les différentes approches du CIRC et du BfR :
« En raison de l'application des différentes approches statistiques choisies pour l'évaluation, le CIRC et le RMS [l'État membre rapporteur] ont abouti à des conclusions divergentes lors de l'évaluation des incidences de cancer dans les études animales. Le CIRC a inclus un test de tendance (généralement selon Cochran-Armitage) pour l'évaluation statistique des données (IARC, 2015, ASB2015-8421). En revanche, le RMS s'est fondé dans un premier temps sur les évaluations statistiques fournies par les rapports d'études, qui avaient été menées et documentées comme prévu dans les plans d'étude individuels (RAR, avril 2015, ASB2015-1194). »
Le BfR s'est appuyé sur les calculs des auteurs des études et donc des entreprises productrices, telle est la conclusion des reporters du MDR. Ils donnent la parole au toxicologue Peter Clausing, qui a évalué l'additif qui lui a été« transmis de manière exclusive » pour les ONG Réseau d'Action contre les Pesticides (PAN) et Campact :
« Le fait que les études de l'industrie aient été aveuglément adoptées et simplement reflétées est tout simplement scandaleux. »
Mais si l'on continue à lire le passage pertinent de l'additif, on apprend que le BfR a bien fait ses propres calculs statistiques :
« Afin d'évaluer systématiquement l'impact du choix de la méthode statistique, un certain nombre de points finaux néoplasiques des études clés ont été réévalués par le RMS pour cet additif en utilisant le test exact de Fisher et le test de Cochran-Armitage, car les deux sont expressément recommandés dans les documents d'orientation de l'OCDE cités plus haut. Le test de Cochran-Armitage a été réalisé en utilisant la version 2.4.0.70 de BMDS. Le test de Fisher-Yates (test exact de Fisher) a été réalisé en utilisant la version 11.2.0.5 de SigmaPlot. Le test exact de Fisher a été remplacé par le test du chi carré lorsque N était > 50 pour tous les groupes. »
En outre, le BfR a trouvé dans une étude une signification pour la tumorigenèse, mais il donne à l'étude un poids différent parce qu'il s'agit d'une étude à dose élevée et que d'autres études ne confirment pas le lien ; ensuite, il a appliqué des critères différents pour le classement :
« En résumé, sur la base des résultats des études et des critères CLP [classification, étiquetage et emballage], le RMS a conclu que la preuve de la cancérogénicité est concluante mais pas suffisante pour le classement. »
Source: https://usrtk.org/wp-content/uploads/2017/10/Portier-and-IARC-related-documents.pdf
Une réponse à la lettre de Christopher Portier à ses « centaines de collègues » montre que le classement du CIRC n'est pas sans controverse dans ses propres rangs. Ellen Silbergeld, experte en santé environnementale à l'Université Johns Hopkins de Baltimore fait valoir ses réserves:
« Je pense que c'est là un exemple du fait que nous sommes tous sur un terrain glissant quand chaque groupe fait une évaluation avec une revue incomplète de la littérature. »
Gillam est directrice de recherche de l'ONG américaine US Right to Know ; source : https://usrtk.org/wp-content/uploads/2017/10/Portier-and-IARC-related-documents.pdf
Quelle que soit l'issue du drame du glyphosate, on connaît déjà un perdant : la science. La correspondance électronique de Christopher Portier fait apparaître de nombreux contacts avec des médias et des ONG en Europe et aux États-Unis. Elle donne l'impression que la recherche de la vérité était moins importante que la tentative d'attirer autant d'attention que possible, de cultiver les vanités et de remplir sa mission. Dans un courriel du 21 octobre 2015 à son ancien superviseur Linda Birnbaum, directrice du National Institute of Environmental Health Sciences (Institut National des Sciences de la Santé Environnementale) et directrice du National Toxicology Program (Programme National de Toxicologie), Portier décrit ses activités comme suit :
« Je m'amuse aussi à pousser les résultats du CIRC sur le glyphosate dans le processus décisionnel européen pour le réenregistrement. Je ne suis pas sûr que cela aura un impact autre que de mettre l'EFSA dans une situation inconfortable, mais je vais essayer. »
Oui, avec un salaire horaire de 450 $, c'est vraiment amusant.
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* L'auteure a fait des études de philosophie, est éditrice et a atterri il y a déjà plus de dix ans à la campagne. Sur son blog, elle (d)écrit – miracle ! La traduction peut être fidèle – ce qui la préoccupe, lorsqu'elle n'est pas en train de curer l'écurie des poneys, de chercher des gants de gardien de but, de s'occuper de quantités de denrées alimentaires ou de linge, ou encore de tenter d'arracher les mauvaises herbes plus vite qu'elles ne poussent.
Source : https://schillipaeppa.net/2017/11/01/infofluss-panta-rhei/