Le Monde a raison sur les « Monsanto Papers » : des dérives inadmissibles
Le 5 octobre 2017, le Monde a publié un éditorial au titre fort pertinent : « "Monsanto Papers" : des dérives inadmissibles ».
Le tout est de savoir de quelles dérives il s'agit.
En l'espace de deux jours, outre l'information (une vraie) sur l'intention de vote du gouvernement français (avec Reuters), il y aura eu pas moins de quatre articles du duo Stéphane Foucart – Stéphane Horel. Les voici, avec leurs chapôs :
« Pour contrer le soupçon qui entoure le glyphosate, son produit-phare classé "cancérogène probable", la firme américaine interfère auprès des organismes de réglementation. »
« Le Roundup fait partie des "produits formulés". En plus du glyphosate, ils contiennent d’autres substances qui peuvent eux aussi présenter une toxicité. »
« "Monsanto papers", désinformation organisée autour du glyphosate »
« "Le Monde" montre comment la puissante firme américaine a fait paraître des articles coécrits par ses employés et signés par des scientifiques pour contrer les informations dénonçant la toxicité du glyphosate. »
« La parution de l’étude controversée du biologiste français Gilles-Eric Seralini, prétendant avoir montré des effets nocifs du Roundup, a provoqué une onde de choc chez Monsanto. Qui n’a eu de cesse de faire désavouer la publication par tous les moyens.
Les gazouillis réémis en disent parfois long...
Et, pour faire bonne mesure, le Monde a republié une série de photos, prétendument mise à jour, « L’Argentine, voyage au pays du Roundup », avec en chapô :
« En Argentine, le photographe Alvaro Ybarra Zavala a enquêté sur les dégâts sanitaires provoqués par le glyphosate, pesticide star de Monsanto et principal composant du Roundup. Dans ce pays, troisième producteur mondial de soja, le glyphosate est utilisé massivement dans l’agriculture. »
Prétendre qu'un photographe « a enquêté » est déjà en soi une sinistre plaisanterie, mais le produit est très loin de répondre au boniment.
En fait, aucune des photos ne présente les prétendus « dégâts sanitaires provoqués par le glyphosate ».
La première montre un opérateur versant du Natur'l Óleo, un insecticide à base d'huile végétale qui serait sans nul doute homologué pour l'agriculture biologique en France. La remarque avait déjà été faite lors de la première publication... nous avons fait un billet... la photo est toujours là... on hésite entre incurie, déni de réalité et propagande (Larousse : « Action systématique exercée sur l’opinion pour lui faire accepter certaines idées ou doctrines, notamment dans le domaine politique ou social »).
On montre aussi des « entrepôts de la firme américaine dans la province du Chaco »... avec un panneau publicitaire pour des produits vétérinaires.
Il y a bien un enfant dont on dit qu'il souffre d’hydrocéphalie et de myéloméningocèle, mais où est le lien avec le glyphosate ? Et celle d'une famille qui se recueille « devant la tombe de leur fils [...] décédé par intoxication aux produits agrochimiques » ; c'est bien vague, si tant est que ce soit vrai.
Tout cela sent la manipulation médiatique, les articles des deux Stéphane étant franchement nauséabonds. On peut être heureux – enfin... – que la cible soit un produit phytopharmaceutique au travers d'une entreprise, et non une personne. Car c'est du style Gringoire et Je suis partout.
Il y a eu l'affaire Dreyfus et le bordereau. Ici, c'est quasiment l'affaire Monsanto et les courriels – plus tout le reste.
Faute de pouvoir asséner un coup fatal au produit, le lecteur et la médiasphère – peu regardante sur ce qu'elle répercute – se voient asséner des vérités tronquées finissant par prendre le statut de mensonges, des insinuations, des interprétations extravagantes et rocambolesques, des théories du complot, le déshonneur par association (avec les co-formulants).
Aucune occasion n'est perdue pour affirmer que le glyphosate a été classé « probablement cancérogène » par le CIRC. Pour faire plus convaincant, c'est maintenant « le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) des Nations unies (ONU) ».
Pas une fois ce classement n'est mis en perspective – ne serait-ce que par référence aux substances de la même classe (la viande rouge par exemple ou le métier de coiffeur... ou l'eau chaude sous forme de boissons) ou aux cancérogènes certains (la charcuterie ou la pilule...) qui ne font pas débat. Pas une fois n'est expliquée la différence entre danger et risque.
Nous attendons toujours un article du duo de Stéphane sur les malfaçons – avérées – du classement du CIRC (voir notamment, sur ce site, ici et ici). On peut dire : « complot ».
Les gazouillis réémis en disent parfois long (bis)...
La fable de l'influence de Monsanto sur les évaluations contraires – de toutes les autres institutions qui se sont prononcées sur le glyphosate – est soigneusement entretenue :
« Comment expliquer cette spectaculaire divergence ? La plupart des observateurs invoquent une raison majeure : pour rendre leurs conclusions, les agences se sont largement fondées sur des données confidentielles fournies par… Monsanto, alors que le CIRC, lui, n’a pas eu accès à ces données. »
Comme c'est faux, que cela a été démenti et que les procédures ont été expliquées, le prétendu constat est prêté à des tiers, avec au passage une exagération : « La plupart des observateurs... ». Et, pour bien endoctriner le lecteur :
« En d’autres termes, la décision favorable au glyphosate est essentiellement basée sur les conclusions de l’entreprise qui le fabrique. »
Le duo crée même une « affaire Séralini » en affirmant notamment que :
« ...des cadres de la firme ont manœuvré en coulisse, pendant plusieurs semaines, pour obtenir la rétractation de l’étude controversée du biologiste français. Et qu’ils sont parvenus à leurs fins. »
Il est certes dit, noyé dans le texte, que :
« ...l’étude est jugée non concluante par tous les cénacles scientifiques — y compris le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) des Nations unies. »
Doux euphémisme pour une étude qui ne vaut pas un clou et qui n'a trouvé grâce que dans les cercles de l'activisme (et bien sûr du complotisme) ! Et belle exagération pour une rétractation qui, en dernière analyse, doit bien plus aux protestations de scientifiques ayant agi en toute indépendance.
Le duo excipe aussi – sous l'intertitre « Une expertise "scientifiquement erronée" » d'une lettre de M. Christopher Portier au président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker. Mais il ne fait pas état des exploits de M. Portier – lobbyiste pour le militantisme anti-pesticides et « consultant » pour une des officines d'avocats impliquées dans les plaintes contre Monsanto dès le 29 mars 2015, soit quelque neuf jours après la publication du classement du glyphosate en cancérigène probable par le CIRC. Le lecteur n'a droit qu'au « bon » côté, au Dr Jekyll :
« ...ancien directeur de diverses institutions fédérales de recherche américaines et associé, en 2015, aux travaux du CIRC ».
Et il est, bien sûr, un « scientifique indépendant ». La réponse cinglante de l'EChA – pour laquelle les auteurs mettent obligeamment, si on peut dire, un lien alors que la lettre de M. Portier est reproduite – est mentionnée de manière désinvolte :
« Les agences ont beau réfuter en bloc, la polémique est lancée. »
Quel Stéphane a collaboré avec le CEO ? Pas de conflits d'intérêts au Monde ?
« "Monsanto papers", désinformation organisée autour du glyphosate » nous servira encore d'illustration de la désinformation qui est effectivement organisée autour du glyphosate... par le Monde. On y reproduit un courriel de Mme Donna Farmer, une toxicologue de Monsanto, et son annexe, un projet d'article scientifique. Que retient le duo de Stéphane ?
« Donna Farmer a elle-même, tout simplement, biffé son propre nom de la liste des auteurs. L’étude paraîtra plus tard dans la revue Journal of Toxicology and Environmental Health, Part B, sous la seule signature des consultants extérieurs. Elle conclut à l’absence de risques du glyphosate pour le développement du fœtus et la reproduction. »
C'est bien la preuve que Monsanto est une « evil company », une entreprise malfaisante, non ? Non ! Evil !L'incarnation du Mal sur terre !
Cela vaut la peine d'examiner ces 46 premières pages du manuscrit. Il était sans nul doute hors de question de suggérer que Mme Farmer ait pu rayer son nom pour cause de minceur de sa propre contribution à cette volumineuse recension de la recherche sur le glyphosate... pas conforme au script, à la ligne du parti pris...
De plus, si l'on se réfère aux parties faciles à interpréter (la grande majorité du texte), on s'apercevra qu'il n'y a aucune tentative d'enjoliver le cas du glyphosate. Au contraire, Mme Farmer aura notamment proposé deux additions – de nature descriptives – faisant référence à des travaux de M. Gilles-Éric Séralini et de son équipe, dont on connaît l'enthousiasme mis à vilipender le glyphosate ! Sur les parties relatives au développement du fœtus et à la reproduction, elle ne propose que des modifications mineures.
Du reste, la contribution de Monsanto à cette étude est bien mentionnée dans l'étude publiée.
Une des additions proposées par Mme Farmer
C'est là l'illustration éclatante d'un réquisitoire à charge pour un tribunal d'opinion, d'une dérive intellectuelle et morale que le Monde tolère et que certains commentateurs dénoncent avec une remarquable acuité et constance.
On pourrait continuer ainsi ad nauseam.
Les gazouillis réémis en disent parfois long (ter)... Faites-nous donc une nouvelle théorie du complot avec la fusion Bayer-Monsanto...
Même la Süddeutsche Zeitung ne s'est pas laissé manipuler par USRTK.
L'éditorial est d'un autre calibre : c'est l'opinion et le message politique du journal.
Et c'est : « "Monsanto Papers" : des dérives inadmissibles ».
L'accusation fuse d'entrée :
« Le géant américain de l’agrochimie a, de manière systématique, cherché à influencer la marche de la science et à intervenir dans les décisions des agences réglementaires. »
Mais on ne peut qu'être consterné dès le premier paragraphe :
« ...En mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé "cancérogène probable" le glyphosate, pesticide le plus utilisé du monde, ingrédient actif d’un désherbant commercialisé par Monsanto depuis 1974 sous le nom de Roundup. Le verdict du CIRC est venu contredire ceux d’agences réglementaires comme l’EPA, l’Agence de protection de l’environnement américaine, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) qui, elles, avaient conclu à la non-dangerosité du produit. »
C'est à se demander si on n'est pas dans le registre de la désinformation pure – penser que c'est une bourde n'est guère plus charitable : la manipulation se démonte en deux minutes... en consultant les dates.
Sous l'intertitre « Echec de l’expertise », l'auteur nous livre un beau non sequitur : le premier élément est les plaintes aux États-Unis d'Amérique – dont, du reste, on ne dira jamais dans le Monde qu'elles sont téléguidées par le lobby du biobusiness et des cabinets d'avocats prédateurs. Puis :
« Monsanto a délibérément mêlé les écrits de ses propres collaborateurs aux expertises supposées indépendantes. »
Non, ce ne sont pas des « expertises ». Au mieux – vu sous l'angle des thèses complotistes – des gens de Monsanto ont contribué à des articles scientifiques. La phraséologie est aussi remarquable. Contribuer à une étude passe comme une activité répréhensible. On imagine aussi un collaborateur de Monsanto s'introduire nuitamment dans le bureau d'un expert et glisser subrepticement un paragraphe ou deux dans son texte... à l'insu du plein gré du benêt expert... Ah oui ! Il s'agit de Monsanto... Et puis, plouf !
« Les agences européennes ont, parallèlement, échoué à produire une expertise scientifique et technique au-dessus de tout soupçon. »
Facile ! Le Monde contribue à créer et propager le « soupçon »... et les soupçonnés ont échoué à s'élever au-dessus du soupçon. Un procédé bien connu du totalitarisme...
Bien sûr, l'auteur généralise. Le vote du Parlement Européen – dont il est patent qu'il est le fruit d'un intense lobbying, auquel le Monde a du reste largement contribué, notamment sous la plume de ses deux journalistes militants – est attribué à :
« L’échec de l’expertise, c’est-à-dire l’incapacité à établir les faits en toute indépendance... »
On passe donc audacieusement d'un « échec » pour cause de « soupçon » à un « échec » pour cause d'absence d'« indépendance ».
Et ça finit en apothéose avec, en premier temps :
« Il est inadmissible que des géants industriels, qu’ils s’appellent Monsanto ou Volkswagen, manipulent l’information au détriment de la santé publique. »
Et, en deuxième temps, l'injonction du faiseur d'opinion :
« Il est impératif que les acteurs politiques s’emparent de la question de la nécessité de l’expertise scientifique indépendante et des moyens de la garantir. »
Mesdames et Messieurs du Monde, l'expertise scientifique indépendante, nous l'avons. Dans le cas du glyphosate, elle s'appelle :
ANSES en France,
EFSA et EchA en Europe, avec le travail préparatoire des autorités allemandes BfR et BAuA et le concours des experts des États membres,
APVMA en Australie,
ARLA au Canada,
EPA aux États-Unis d'Amérique,
Commission de Sécurité Alimentaire au Japon,
EPA en Nouvelle-Zélande,
OFAG et OSAV en Suisse.
Même la maison-mère du CIRC, l'OMS a infirmé les conclusions du CIRC dans le cadre de la Réunion Conjointe FAO/OMS sur les Résidus de Pesticides (JMPR), et plus anciennement dans le cadre, par exemple, du Programme international sur la sécurité des substances chimiques.
Mais examiner les moyens de garantir une expertise indépendante de qualité n'est pas une mauvaise idée. Le Monde s'est fait lui-même acteur politique par sa stratégie d'influence, de pression et de désinformation.
Reprenons :
« Il est inadmissible que des géants industriels, qu’ils s’appellent Monsanto ou Volkswagen, manipulent l’information au détriment de la santé publique. »
Qu'ils manipulent, cela reste à voir. En tout cas, il est tout aussi inadmissible qu'un média qui s'appelle le Monde manipule l'information (et c'est ici, incidemment, au détriment de la santé publique car le retrait du glyphosate aurait des effets négatifs graves).
En fait, ça l'est bien plus : les médias ne sont-ils pas faiseurs et prescripteurs d'opinion ? Procureurs et juges du tribunal d'opinion ? Ils le sont de plus en plus dans un effort commun avec les réseaux sociaux, quelques fois pour le compte d'intérêts tiers, et ce, à titre de collaborateur ou d'idiot utile. Ayant la mainmise sur le pouvoir de la communication et pratiquant l'entre-soi, que reste-t-il comme contre-pouvoir ?
Nous pouvons donc lui suggérer de balayer devant sa porte, pour ne pas dire nettoyer ses écuries d'Augias.