Glyphosate : que le CIRC s'explique enfin !... et retire sa monographie !
Il n'y a pas que Mme Carey Gillam qui soit capable d'éplucher des pages et des pages de documents pour y trouver des choses « compromettantes ». Rappelons que celle qui se présente souvent comme journaliste est en fait une petite main de US Right to Know (USRTK), porte-voix du lobby du biobusiness (qui a le plus grand intérêt à saper la compétitivité de l'agriculture conventionnelle) et allié de cabinets d'avocats prédateurs qui se sont attaqués à Monsanto sur le glyphosate.
Il y a aussi Mme Kate Kelland, de l'agence Reuters. Mais, animée par une déontologie vraiment journalistique et un sens de l'éthique, elle ne se livre pas au même jeu. Pas d'insinuations, pas de constructions complotistes extravagantes (relayées en France par le journal qui fut de référence)... chez Mme Kelland, ce sont des faits. Sa dernière livraison : « In glyphosate review, WHO cancer agency edited out “non-carcinogenic” findings » (dans son examen du glyphosate, l'agence de l'OMS pour le cancer a supprimé des conclusions "non cancérogène").
Mme Kelland a pu comparer le texte final de la monographie du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) sur « quelques insecticides et herbicides organophosphorés » – sur le glyphosate – avec un projet dont elle ne précise malheureusement pas la date. Mais si on se réfère aux « Monsanto Papers » (plus précisément la déposition sous serment de M. Charles W. Jameson), il s'agit du deuxième projet, révision 4, donc une version produite en cours de session.
On se souviendra – c'est dans notre « "Monsanto Papers" : les scandaleux bidouillages de dernière minute du CIRC pour condamner le glyphosate » – que la veille de la clôture de la réunion du groupe de travail du CIRC, les éléments disponibles ne permettaient pas un classement du glyphosate suffisamment « infâmant » et que des sous-groupes ont été invités à examiner s'ils ne pouvaient pas « doper » leur évaluation. Cela ressort de la déposition sous serment d'un des membres du groupe de travail, M. Matthew K. Ross. C'est finalement le sous-groupe sur la cancérogénicité chez les animaux de laboratoire qui a apporté le coup de pouce définitif, les preuves qui étaient « limitées à inadéquates » à mi-session devenant soudainement « suffisantes » et « convaincantes ».
Mme Kelland s'est tout particulièrement penchée sur la partie relative aux animaux de laboratoire. Et elle a identifié une série de passages dans lesquels des évaluations en quelque sorte « favorables » au glyphosate ont été supprimées. Dans un cas, une nouvelle analyse statistique a été insérée. Sans surprise (pour nous), cette analyse contredit la conclusion initiale du document examiné dans le cadre des travaux du CIRC.
Voici un exemple rapporté par Mme Kelland :
Le projet note :
« Le rapport du PWG [groupe de travail sur la pathologie] indique aussi qu'ils croient fermement le premier pathologiste, et partagent unanimement son avis selon lequel les incidences de néoplasmes de cellules tubulaires ionales ne sont pas liées à la substance dans cette étude. L'EPA (1991d) a déclaré qu'elle ne pensait pas que cette lésion était liée à la substance. »
Dans la monographie finale, ces deux phrases sont supprimées. Verdict, en quelque sorte à la place :
« Le Groupe de Travail a considéré que cette deuxième évaluation indiquait une augmentation significative de l'incidence de tumeurs rares, avec une tendance liée à la dose, qui pouvait être attribuée au glyphosate. »
Ainsi donc, la modification du texte signifie que 16 membres d'un groupe de travail et un « spécialiste invité », statuant sur dossier quelques décennies après les faits, contredisent les experts qui avaient examiné les lames, les prélèvements faits sur les organes. Et qui était donc le statisticien ? Si vous répondez « Christopher Portier », vous n'aurez rien gagné : le fait est maintenant trop connu.
Dans sa déposition sous serment, M. Charles W. Jameson, président du sous-groupe sur la cancérogénicité chez les animaux de laboratoire, a déclaré ne pas savoir quand, pourquoi et par qui les modifications ont été faites (M. Jameson est aussi devenu un expert pour les cabinets d'avocats prédateurs – voir notre analyse bien partielle ici).
Mme Kelland a identifié 10 cas dans lesquels une conclusion négative sur un lien entre glyphosate et tumeurs a été supprimée ou remplacée par une déclaration neutre ou « positive ». Voici un autre exemple :
La phrase : « Le Groupe de Travail n'a pas été en mesure d'évaluer cette étude en raison des données expérimentales limitées fournies dans l'article en revue et les informations complémentaires », apparaît six fois dans la monographie. Selon Mme Kelland, elle a remplacé dans chaque cas des conclusions des auteurs de l'article original, rapportées dans le projet de monographie, allant dans le sens de la non-cancérogénicité du glyphosate. Par exemple : « Les auteurs ont conclu que le glyphosate n'était pas cancérogène chez les rats Sprague Dawley. »
Le CIRC n'a pas répondu aux sollicitations de Mme Kelland.
Mais le CIRC a posté une petite note sur son site, en encadré sur fond grisé :
« Des membres du groupe de travail sur la monographie du CIRC qui a évalué le glyphosate en mars 2015 ont exprimé leur inquiétude après avoir été approchés par diverses parties leur demandant de justifier les positions scientifiques dans les projets de documents produits durant le processus des Monographies. Le CIRC voudrait réitérer que les versions provisoires des Monographies sont de nature délibérative et confidentielle. Les scientifiques ne devraient pas se sentir obligés de discuter de leurs délibérations en dehors de ce forum particulier. »
Qui a dit que le CIRC était « plus indépendant et transparent que l'EFSA » ?
On ne s'étonnera pas que le Corporate Europe Observatory se soit empressé de relayer ce message sur Twitter.
Mais ce qui est plus étonnant, c'est que le CIRC ait relayé le gazouillis du CEO. Ces gens à Lyon n'ont vraiment aucun sens du décorum et n'ont pas raté l'occasion de manifester ce qu'il convient bien d'appeler un parti pris.
Il est temps que le CIRC s'explique. En fait, il est grand temps qu'il retire sa monographie.