Encore un titre racoleur : « Pesticides: 8% d'accouchements prématurés en plus pour les femmes exposées » dans l'Express
Il y a peut-être une bonne nouvelle en ce bas monde de bassesses médiatiques dans lequel le moteur des ventes et de l'audience est le générateur de peurs : « Pesticides: 8% d'accouchements prématurés en plus pour les femmes exposées » publié par l'Express le 29 septembre 2017 nous semble être le seul article à avoir exploité en France une étude scientifique qui n'a pas non plus beaucoup « percuté » ailleurs.
L'étude, c'est « Agricultural pesticide use and adverse birth outcomes in the San Joaquin Valley of California » (utilisation de pesticides agricoles et effets indésirables à la naissance dans la San Joaquin Valley de Californie) d'Ashley E. Larsen, Steven D. Gaines et Olivier Deschênes. Elle a pourtant été publiée dans Nature Communications (le 29 août 2017), qui n'est pas une revue de série Z.
La vallée de San Joaquin est une région agricole très diversifiée avec d'importantes productions maraîchères, fruitières et viticoles. C'est plus du tiers de la production de légumes des États-Unis d'Amérique, et deux tiers des fruits et noix. Elle comporte également quelques grandes villes (Fresno a plus de 500.000 habitants). La Californie tient aussi des statistiques très détaillées sur l'utilisation des produits phytopharmaceutiques (ce qui permet à notre ami Steve Savage de produire d'intéressantes analyses).
Dans l'étude qui nous intéresse ici, les auteurs ont croisé des observations sur plus de 500.000 naissances entre 1997 et 2011 selon le résumé (plus de 100.000 selon le texte) avec les statistiques sur l'utilisation de pesticides, exprimées en kilogrammes de matières actives, dans la région de domicile de la mère, définie par la Public Land Survey Section (“PLS Section”) – un mile carré ou 2,6 km2 – ou le PLS Township (un carré de 6 miles de côté, soit environ 93 km2).
L'article n'est pas de lecture aisée et il nous semble qu'il y a quelques incohérences – à moins qu'une particularité de la production agricole nous ait échappé. Nombre de formulations ne sont pas claires. L'utilisation de pesticides est qualifiée sans vergogne d'« exposition ». Comment expliquer la différence sur le nombre de naissances ? Réponse :
« L'échantillon d'analyse, composé de toutes les observations, sauf celles de 2006, était de 692.589 ("échantillon complet") et l'échantillon d'analyse composé d'observations faites dans les régions avec des pesticides et des naissances dans chaque année était de 137.210 ("échantillon focal" [...]). »
Mais intéressons-nous aux résultats principaux.
Selon l'Express, qui s'est appuyé sur un article de The Independent (c'est ça le journalisme...), « Pesticides linked to birth abnormalities in major new study » (les pesticides liés à des anomalies de la naissance dans une nouvelle étude majeure),
« Des chercheurs ont comparé près de 700 000 actes de naissances et les niveaux de pesticides utilisés dans les zones où vivaient les mères. Leurs conclusions sont inquiétantes. »
Vraiment ? L'Express écrit dans son texte :
« Ces travaux statistiques, méticuleux et de grande ampleur, ne devraient pas passer inaperçus, rapporte The Independent. Et pour cause, ils montrent pour la première fois que vivre dans des zones où les pesticides sont massivement utilisés présente des risques très concrets, notamment pour les femmes enceintes. Les accouchements prématurés y sont 8% plus fréquents et les "anomalies congénitales" plus élevées de 9%, notent les auteurs, Ashley E. Larsen, Steven D. Gaines et Olivier Deschênes, chercheurs à l'université Santa Barbara, en Californie. »
Tout tient, d'une part, dans le « massivement » et, d'autre part, dans « les "anomalies congénitales" ». Voici ce qu'écrit l'Université de Californie à Santa Barbara dans son communiqué de presse :
« "Pour la majorité des naissances, il n'y a pas d'impact statistiquement identifiable de l'exposition aux pesticides sur les effets à la naissance", a déclaré l'auteur principal Ashley Larsen, professeure adjointe à l'École de Sciences et de Gestion de l'Environnement de l'UCSB. "Pourtant, les mères exposées à des niveaux extrêmes de pesticides, définis ici comme les 5 % supérieurs de la distribution de l'exposition aux pesticides, ont connu une augmentation de 5 à 9 % de la probabilité d'effets néfastes avec une diminution d'environ 13 grammes du poids à la naissance".
[…]
Ils ont constaté des effets négatifs de l'exposition aux pesticides pour tous les résultats de naissance – poids à la naissance, faible poids à la naissance, duré de la grossesse, naissance prématurée, anomalies de la naissance – mais seulement pour les mères exposées à des niveaux de pesticides très élevés – les 5 % supérieurs la distribution de l'exposition dans cet échantillon. Ce groupe a été exposé à 4.200 kilogrammes de pesticides appliqués dans les régions de 1 mile carré qui englobaient leurs adresses pendant la grossesse.
Tremblez futures mères françaises ! Cela représente quelque 16 kg de matières actives par hectare en admettant que tout le carré est cultivé et traité, à l'exception de la maisonnette de la mère. C'est un chiffre qui correspond peu ou prou à l'utilisation de pesticides dans les vignes françaises (avec beaucoup de cuivre et de soufre). Sauf erreur, les chiffres cités dans l'article se rapportent à la durée de la grossesse ; c'est donc beaucoup plus sur l'année (quelque 21 kg).
Les auteurs de l'étude ont cependant pris soin d'ajouter ceci :
« Pour une mise en perspective, d'autres conditions environnementales telles que la pollution atmosphérique et la chaleur extrême produisent généralement une augmentation de 5 à 10 % des effets indésirables sur la naissance, mais avec une exposition moins extrême. Des grandeurs similaires d'effets sont également observées pour d'autres conditions de la grossesse non liées à des expositions. Par exemple, le stress pendant la grossesse peut augmenter la probabilité d'un faible poids à la naissance de ~ 6 %, tandis que l'on estime que l'inscription à des programmes de complémentation nutritionnelle réduit la probabilité de faible poids à la naissance d'un montant similaire. »
Comparaison n'est certes pas raison, mais ce que cela signifie, c'est qu'il n'y a doublement pas lieu de s'alarmer, en tout cas outre mesure : d'une part, les effets négatifs ne sont observés dans cette étude qu'en lien avec des expositions – telles que définies dans l'étude – extrêmes ; d'autre part, on est dans des paramètres similaires à d'autres facteurs.
Alors que l'Express verse dans l'alarmisme, les flegmatiques et rationnels britanniques de The Independent font parler le Dr Christopher Connolly, un neurobiologiste de l'Université de Dundee
« Cependant, le diable est dans le détail, et les détails manquent – quel(s) pesticide(s) est/sont responsables de ces effets?
Il est donc important que l'étude soit répétée avec une liste détaillée des produits chimiques utilisés sur chaque site et l'impact sur les naissances en corrélation avec l'application des différents pesticides (et cocktails).
Au Royaume-Uni, la charge totale moyenne de pesticides dans les champs cultivés de manière intensive est environ 1,5 fois supérieure à la moyenne rapportée dans cette zone d'étude, mais 10 fois plus faible que la charge élevée de pesticides pour laquelle on a rapporté une corrélation aux effets néfastes sur la naissance dans cette étude.
Encore une fois, sans le détail sur l'utilisation réelle des pesticides à l'échelle locale, les diables éventuels restent cachés. »
Et que faut-il entendre par « effets indésirables à la naissance ». Le tableau supplémentaire 8 donne une liste avec des taux d'incidence pour 100.000 naissances. La première est « NICU admission » (admission dans une unité néonatale de soins intensifs). Lien avec les pesticides ? Pour d'autres catégories, la réponse est claire. C'est le cas par exemple de « Significant birth injury (skeletal fractures, peripheral nerve injury, soft tissue or solid organ hemorrhage which requires intervention) » (lésion importante à la naissance (fracture, lésion de nerf périphérique, hémorragie d'un tissu mou ou d'un organe solide nécessitant une intervention)). En d'autres termes, quand l'Express agite l'annonce de l'apocalypse – « les "anomalies congénitales" plus élevées de 9% – il induit le lecteur en erreur. Mais on admettra que les auteurs de l'étude aussi n'ont pas été précis.
Les auteurs concluent leur discussion comme suit :
« Nous produisons des preuves solides qu'il existe de multiples effets négatifs de l'exposition résidentielle aux pesticides agricoles sur les résultats néfastes pour la naissance, mais seulement pour les naissances exposées à des niveaux très élevés de pesticides pendant la grossesse. La concentration documentée des impacts dans la partie supérieure extrême de la distribution de l'exposition aux pesticides peut expliquer pourquoi les études antérieures ne détectent pas systématiquement les effets des pesticides sur les résultats de naissance. En outre, la concentration des impacts dans la queue extrême de la distribution de l'exposition aux pesticides offre des défis politiques et des opportunités de santé publique pour équilibrer ces résultats potentiellement graves mais rares avec les avantages sociétaux de l'utilisation continue des pesticides. »
La prose est calamiteuse. Et l'allégation de « preuves solides » osée. « Correlation does not imply causation », une corrélation corrélation n'implique pas de lien de cause à effet. Mais le message général est clair. Les conclusions des auteurs ne sont pas inquiétantes comme l'écrit le Philippulus de l'Express, mais plutôt rassurantes.
Nous ajouterons que parmi « les avantages sociétaux de l'utilisation continue des pesticides », il y a la production de denrées alimentaires saines et la réduction des risques d'effets indésirables à la naissance et d'autres atteintes à la santé liés aux contaminants tels que les mycotoxines.
Il est temps de changer de logiciel, particulièrement dans cette France imbibée de précautionite, et d'analyser les problèmes non pas en termes de dangers (évidemment à éradiquer) mais de risques-bénéfices.
(Source)