CIRC et CIRC-gate : la meilleure défense, c'est l'attaque... en dessous de la ceinture
Le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) vient de répondre à Mme Kate Kelland et Reuters – par « IARC rejects false claims in Reuters article (“In glyphosate review, WHO cancer agency edited out “non-carcinogenic” findings”) » (le CIRC rejette les fausses accusations dans l'article de Reuters « dans son examen du glyphosate, l'agence de l'OMS pour le cancer a supprimé des conclusions "non cancérogènes") ».
Allons directement au coup bas :
« Le CIRC ne répondra pas aux déclarations diffamatoires et sans fondement concernant le CIRC ou son groupe de travail, que celles-ci soient émises par Monsanto ou d'autres parties intéressées, directement ou par l'intermédiaire de tiers, y compris des contacts dans les médias. Le CIRC ne commentera pas la transparence des processus d'évaluation d'autres agences. Le CIRC prend note du contexte des procédures judiciaires en cours et des processus décisionnels réglementaires concernant le glyphosate, mais il n'est pas impliqué dans ces processus. »
« Le CIRC ne répondra pas... » ? C'est pourtant ce qu'il vient de faire !
Mais le sous-entendu est transparent... plus transparent que ses procédures : les déclarations prétendument diffamatoires proviendraient de « Monsanto ou d'autres parties intéressées ». Pour une organisation du système des Nations Unies, ce genre d'insinuation est parfaitement indécent et, en fait, inacceptable.
Et il est illustratif de l'état d'esprit qui règne à Lyon, 150, Cours Albert Thomas : un mélange de vendetta et de complotisme.
Notons aussi la phrase suivante : « Le CIRC ne commentera pas la transparence des processus d'évaluation d'autres agences. » Ah bon ? Et cette déclaration maintes fois reproduite de Mme Kathryn Guyton ?
Enfin, il est presque vrai que le CIRC « n'est pas impliqué dans ces processus » judiciaires et décisionnels. Mais Mme Guyton a bien participé à l'audition publique du Parlement Européen du 11 octobre 2017. Nous ne l'avons pas entendu expliquer avec la conviction nécessaire le sens à donner au classement du glyphosate en « cancérogène probable » par le CIRC, la différence entre « danger » et « risque », la nécessité de compléter l'évaluation des dangers du CIRC par une évaluation des risques et la définition de mesures propres à éliminer le risque ou le rendre acceptable.
Le 10 mai 2017, elle a aussi participé à une conférence au Parlement Européen – dont l'hôte a été le député tchèque Pavel Poc, violemment anti-glyphosate – « Glyphosate: Harmless Tool or Sneaky Poison? » (glyphosate : outil sans danger ou poison insidieux?). Nous disposons d'un résumé de son intervention : pas la moindre explication sur le sens à donner au classement.
On peut continuer ainsi : le CIRC n'est certes pas impliqué formellement, mais il est à la fois au centre des procédures et sur le bas-côté, en spectateur indifférent de l'instrumentalisation de sa décision.
Penchons-nous maintenant sur le fond. Ça commence fort, très fort :
« Comme le CIRC l'a expliqué à Mme Kelland... »
Nous avons lu chez Mme Kelland que le CIRC n'a pas voulu faire de commentaires...
Donc :
« ...les modifications apportées aux projets de documents sont le résultat de délibérations entre les membres du groupe de travail sur la monographie du CIRC et ne peuvent donc être attribuées à aucun scientifique en particulier. La procédure habituelle est que les projets préparés avant une réunion sur une monographie constituent la base d'un débat scientifique ouvert, pendant la réunion de huit jours à Lyon, et sont révisés à la suite de ces délibérations. Le groupe de travail fait sa propre évaluation de la littérature scientifique disponible et peut procéder à des analyses supplémentaires des données qu'elle contient. Le groupe de travail n'a pas à tenir compte des évaluations réglementaires nationales antérieures lorsqu'il fait sa propre évaluation indépendante. »
On a envie de répondre : bla bla bla ! Diversion !
Car cela ne répond à la question fondamentale qui est de savoir pourquoi les appréciations des auteurs initiaux – favorables à la thèse de l'absence d'effet cancérogène du glyphosate – ont été supprimées du texte final de la monographie.
Et c'est une diversion agrémentée d'une formidable arrogance : « Le groupe de travail n'a pas à tenir compte [does not have to take account] des évaluations réglementaires nationales antérieures... »
Le CIRC aurait-il voulu laisser entendre qu'il a répondu à un objectif socio-politique, qu'il ne se serait pas pris autrement...
Poursuivons :
« Mme Kelland fait référence aux différences entre le projet de document qu'elle a obtenu et le texte publié de la monographie. La plupart de ces différences concernent spécifiquement un article de revue co-écrit par un scientifique de Monsanto [ma note : Greim et al.]. Les conclusions figurant dans le projet de monographie étaient celles des auteurs de cet article de synthèse [ma note : je n'en suis pas si sûr ; il s'agit plus vraisemblablement des auteurs des articles analysés par Greim et al.]. Lors de la réunion de Lyon, le groupe de travail a estimé que l'article de revue ne fournissait pas d'informations adéquates pour une évaluation indépendante des conclusions auxquelles sont parvenus le scientifique de Monsanto et d'autres auteurs ; par conséquent, le projet a été révisé et le texte de la monographie publiée est l'opinion consensuelle du groupe de travail. Cependant, la monographie décrit de manière factuelle l'article de revue et les résultats rapportés (voir monographie, pages 34-35 et 40-41). »
Le projet et le texte final, selon Mme Kelland
Et voici à quoi cela semble correspondre dans l'article de Greim et al. :
C'est à nouveau du blabla. Cela ne nous explique toujours pas pourquoi l'avis des auteurs initiaux a été supprimé du texte final dans les cas évoqués par Mme Kelland. Nous connaissons évidemment la réponse : la veille de la clôture de la réunion du groupe de travail, le dossier n'était pas suffisant pour un classement en « cancérogène probable » et, comme il a été démontré, on a fait le forcing pour l'obtenir.
C'est aussi une diversion – une démonstration de la partialité et du parti pris du CIRC. Quel intérêt y avait-il à mettre en avant un scientifique de Monsanto ? Et ce, non pas une fois, mais deux fois ?
A-t-il été rendu compte correctement de cette étude de Greim et al. aux pages indiquées ? Ce qui nous intéresse, c'est les modifications... Et pas seulement relativement à Greim et al. Pourquoi, dans ce qui est devenu la page 40, on a supprimé « [Les auteurs [ma note : qui ne sont pas Greim et al., mais les auteurs de l'article revu par ceux-ci] ont conclu que le glyphosate n'était pas cancérogène chez les rats Sprague Dawley] » ?
En fait, quand on lit l'article de revue (voir ci-dessus), on se rend compte que la conclusion des auteurs de l'article original est encore plus forte : le glyphosate n'est pas cancérogène pour une exposition continue de 24 mois (quasiment la vie entière) à des doses supérieures à 1 g/kg p.c./jour. À l'échelle humaine, cela représente quelque chose comme... 10 litres de glyphosate prêt à l'emploi par jour !
Le CIRC reproche à l'article de Mme Kelland d'avoir été ambigu sur la question de savoir qui a procédé aux modifications. On peut le suivre sur ce point. Le CIRC conclut en quelque sorte :
« La monographie finale représente le consensus scientifique de l'ensemble du groupe de travail. »
Faut-il comprendre qu'ils ont tous participé aux bidouillages de dernière minute ? Nous ne le pensons pas.
Rappelons à cette occasion que la moitié des membres du groupe de travail a co-signé la lettre que M. Christopher Portier a envoyée au Commissaire à la Santé Vytenis Andriukaitis le 27 novembre 2015 – et participé à une opération de lobbying contre le renouvellement de l'autorisation du glyphosate.
Extrait de la lettre à M. Andriukaitis
Dans ce communiqué de presse, le CIRC sert aussi l'inévitable couplet sur la régularité de ses procédures – c'est de bonne guerre – et la nécessité alléguée du secret des documents préparatoires et de travail, et des délibérations. Il entend répondre à une allégation de Mme Kelland :
« ...personne [parmi les 16 membres du groupe de travail] n'était disposé ou capable de dire qui a fait les changements, ou pourquoi ou quand ils ont été faits. »
Ne serait-il pas raisonnable de penser que la plupart de ces gens ont répondu ainsi parce que, effectivement, ils ne savent pas qui a procédé aux changements et se sentent obligés par la solidarité de groupe – et les fermes invitations du CIRC de la boucler (la dernière en date est du 9 octobre 201) ?
Il se serait cependant trouvé un qui aurait répondu que :
« toutes les procédures avaient été transparentes et que de nombreux témoins avaient participé aux discussions pendant la réunion de huit jours, y compris diverses parties prenantes. »
Cela ne répond toujours pas aux questions légitimes qu'on se pose...
Et il y a une sorte de botte secrète :
« Monsanto avait un observateur à l'évaluation de la monographie du glyphosate. Cet observateur a été cité dans les médias comme ayant déclaré : "La réunion s’est déroulée en conformité avec les procédures du CIRC. Le Dr Kurt Straif, le directeur des monographies, a une connaissance intime des règles en vigueur et a insisté pour qu’elles soient respectées" »
C'est cité du... Monde de M. Stéphane Foucart et Mme Stéphane Horel, avec lequel le CIRC entretient des liens privilégiés. Maintenant que le CIRC a répondu à Mme Kelland et Reuters, les deux Stéphane ont de quoi écrire un article sur comment le gentil CIRC a démenti les fausses accusations du méchant Monsanto.
M. Cédric Villani – ce mathématicien renommé devenu député LREM et président de l'Office Parlementaire d'Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST), et chargé d'une mission sur « l'indépendance et l'objectivité des agences européennes » dans le secteur scientifique – s'intéressera-t-il à cette question ? Certes, le CIRC n'est pas une agence européenne, mais il est partie prenante à la gabegie actuelle même s'il s'en défend.
M. Villani interrogera-t-il Mme Isabelle Baldi, la membres française du groupe de travail du CIRC ? D'autres participants au groupe de travail ? M. Christopher Wild, directeur du CIRC, et d'autres protagonistes de ce que nous considérons comme une manipulation et une fraude du CIRC ?