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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

La science à l'Âge des (Post-)Modernes

24 Septembre 2017 , Rédigé par Seppi Publié dans #Ludger Wess

La science à l'Âge des (Post-)Modernes

 

Ludger Weß*

 

 

Du Creation Museum dans le Kentucky

 

 

Sans science, pas de société moderne ni de démocratie. Aujourd'hui, ni la politique ni les médias ne veulent reconnaître cette réalité. C'est le moment d'exposer quelques thèses et questions [ma note : l'article a été posté le 18 août 2017, dans le contexte de la campagne électorale allemande].

 

 

 

 

Notre société est techniquement et économiquement complètement dépendante de la science : sans biologie moléculaire, pas de médecine moderne ; sans génie génétique, pas de diagnostic personnalisé ni d'amélioration des plantes moderne ; sans recherche spatiale, pas de recherche climatique ; sans physique quantique, pas de microélectronique et pas de GPS ; sans connaissances mathématiques de la physique des particules, pas de capteurs en médecine, pas de réacteurs nucléaires, pas de médicaments nucléaires ; sans chimie, pas de protection de l'environnement ni d'agriculture. Sans science, nous ne serons pas en mesure de résoudre les problèmes cruciaux auxquels nous sommes confrontés : nourrir une population mondiale croissante, la loger, la vêtir, lui assurer la mobilité et lui fournir des soins médicaux, le tout sans augmenter l'utilisation de terres, de ressources minérales et d'énergie ni augmenter en proportion les émissions. En outre, la science repousse continuellement les frontières et appelle des positions morales – on citera en exemple la recherche sur les cellules souches et les embryons, qui remettent en question notamment nos conceptions traditionnelles du début de la vie humaine.

 

 

La science, pilier de la démocratie

 

Mais la science est encore plus : à la source de la pensée scientifique moderne, on trouve Démocrite, ou plutôt Lucrèce, qui a transmis la pensée de Démocrite et dont les écrits ont profondément influencé Galilée, Kepler, Newton, jusqu'à Einstein. Pour Démocrite et Lucrèce, les dieux ne jouent aucun rôle dans l'univers, il n'y a ni intention ni but dans la nature, ni hiérarchie cosmique, ni différences entre les sphères terrestre et céleste : « La terre tout entière s'ouvre à l'homme sage, car l'univers entier est la patrie d'une âme honnête ».

 

Ces idées ont fortement influencé les fondateurs de la démocratie moderne aux États-Unis, et donc notre démocratie repose sur les éléments centraux de la raison et de la connaissance, et non sur la foi – même si elle permet à ses membres de croire à Allah, au Christ, aux anges ou aux licornes d'Aldébaran. La démocratie repose sur l'idée profondément anti-autoritaire, fondée dans la raison, selon laquelle tous les êtres humains sont égaux et que la raison et la science peuvent libérer l'Homme des préjugés et des superstitions. La science est l'ADN de la démocratie.

 

Pourtant, en dépit de cette importance éminente, cela fait bien des années que les thèmes scientifiques ne jouent plus aucun rôle dans les campagnes électorales des nations occidentales.

 

 

Le mépris postmoderne

 

La cause est évidente : la science a été discréditée dans la sphère publique et est devenue le jouet d'intérêts particuliers. À droite et à gauche, le consensus scientifique sur des questions importantes (de la recherche sur le climat à l'évolution, des vaccins au génie génétique vert) n'est accepté que s'il soutient son propre programme politique. Les verts et la gauche contemporaine s'en prévalent en matière de changement climatique, mais ne l'acceptent pas lorsqu'il s'agit de génie génétique dans l'amélioration des plantes ou des pesticides. Dans ces domaines, ils se livrent au picorage (cherry picking) et se réfèrent à des publications douteuses qui contestent le consensus. La même stratégie est poursuivie par les partis et les groupes d'intérêts qui nient l'influence humaine sur le climat ou mettent en doute, pour des raisons religieuses, la théorie de l'évolution.

 

Dans les discussions sur des sujets controversés, fondamentalement, on n'échange plus aucun argument mais on tente de discréditer les chercheurs ou les institutions : X a utilisé les études de Y ou a travaillé pour Z, donc on n'a pas à examiner son argumentation.

 

Plusieurs décennies d'éducation universitaire postmoderne ont ainsi produit leur effet : il n'y a plus de vérités ni de faits, mais toutes les connaissances scientifiques et tous les arguments scientifiques sont le fruit d'intérêts, et toutes les visions du monde, magiques ou rationnelles, sont a priori valables et équivalentes. Même un sujet comme les mathématiques, pour lequel il serait facile d'examiner les faits, est maintenant considéré comme une science suspecte, dominée par le sexe masculin, dont l'homme, ou plutôt la femme, doit se méfier pour des raisons de principe. Certaines facultés de sciences sociales enseignent même, non seulement qu'il n'y a pas de vérités, mais encore que les sciences naturelles et les faits empiriques sont des instruments qui ont été créés par un patriarcat blanc et raciste pour opprimer les minorités.

 

 

L'irresponsabilité médiatique

 

Du Pharmachien.

 

Cette évolution fatale est soutenue par les médias et les journalistes qui ont assimilé la fausse équivalence des postmodernes, qui se posent comme le vecteur des discours des militants, ou encore qui n'ont tout simplement aucune idée du sujet sur lequel ils écrivent : la parole n'est plus donnée, pour une contribution sur le glyphosate ou le génie génétique, qu'aux seuls opposants aux produits chimiques ou à la technologie (le « journalisme vert » est maintenant officiellement enseigné dans les universités allemandes) ; une contribution sur le thème de la vaccination peut présenter le pour et le contre, mais la déclaration d'un scientifique qui a 30 ans de publications sur le sujet derrière lui sera confrontée à la déclaration d'une célébrité qui connaît le sujet au travers d'anecdotes tirées de son entourage et a « fait une recherche » sur l'Internet dans quelques séquences YouTube. Parfois, les célébrités bénéficient pleinement d'un avantage, leur valeur en termes de divertissement et de glamour étant plus élevée que celle d'un chercheur tenant des propos arides. Il est impossible de publier l'avis critique, solidement étayé, d'un pédiatre ou d'un nutritionniste sur le régime végan des mères qui allaitent et des nourrissons sans qu'il soit contredit à la fin de l'article par l'auteure végane d'un livre de cuisine, à qui on permet encore d'ajouter quelques conseils pour l'alimentation végane du nourrisson.

 

Les croyances de grandes parties de la population dans des absurdités évidentes, telles que la mémoire de l'eau ou l'astrologie, sont considérées comme une justification pour donner de l'espace aux théories grossières dans les informations. La médecine alternative, l'ésotérisme, le New Age et la science sont considérés comme équivalents, bien que les trois premiers n'aient jusqu'à présent produit aucune explication concluante, ni aucune technologie, méthode thérapeutique ou théorie robuste qui a changé le monde. À cet égard, les journalistes qui font preuve d'une telle pauvreté d'esprit diffèrent peu dans leur logique des islamistes qui utilisent la technologie la plus récente des incroyants pour répandre leur vision de l'éducation occidentale comme un péché.

 

Cette situation est aggravée par la diminution du journalisme scientifique, car les spécialistes disposant d'une formation en sciences naturelles et des réseaux correspondants, qui leur permettent de prendre la vraie mesure des nouvelles censées être sensationnelles, sont remplacés par des tâcherons au rabais qui n'ont aucune idée du fonctionnement de la science. En fait, la science n'est pas la recherche d'un compromis entre des idées contradictoires, mais de la vérité : on peut déterminer objectivement si la terre est sphérique ou plate – mais pour les médias d'aujourd'hui, le compromis, qui présente les deux positions de façon équitable, est probablement dans un disque bombé.

 

 

Il n'y a plus de faits

 

Les vérités, cependant, n'existent plus dans la médiasphère, il n'y a plus que des controverses, des opinions et des agendas. Dans cette mesure, la critique des médias coupables de représentation erronée des faits tombe à plat : on ne comprend plus cela dans les médias, et la notion qu'il peut y avoir des faits vérifiables provoque des hochements de tête. Les faits empiriques sont considérés comme une idée dépassée du siècle précédent, ou comme des éléments d'un sombre projet des racistes, des capitalistes et des valets d'un complexe scientifico-industriel méprisable.

 

 

Le populisme médiatique des hommes politiques

 

Comment les politiciens réagissent-ils à la science ? De manière opportuniste. Ces dernières années ont montré cela. La politique suit les médias. Si un sujet est considéré comme « controversé » par les médias, le politicien tergiverse – qu'il s'agisse de l'énergie nucléaire, du génie génétique, de l'homéopathie, de la vaccination ou d'autres sujets. Si les voix critiques dominent, le politicien se croit du bon côté, du côté sûr, sur la base des connaissances scientifiques ou de la technologie qui le confortent dans cette croyance, car il est convaincu que cela garantit l'adhésion et donc les votes des électeurs. On a ainsi observé ces dernières années que pour la plupart des partis, il n'est plus question de discuter des avantages et des inconvénients du génie génétique, des pesticides, de la technologie nucléaire, des moteurs à combustion ou de la consommation d'énergie fossile, mais seulement des interdictions qui seront les plus rapides ou les plus ambitieuses. Si un sujet n'est pas controversé dans la majorité des médias – comme l'accueil des réfugiés ou la lutte contre le changement climatique – la politique est en mesure de contrer les humeurs sceptiques parmi la population.

 

La politique repousse aussi la science dans le domaine crucial de l'éducation. Les sciences naturelles classiques sont dissoutes dans certains États fédéraux en faveur de sujets plus vastes comme les sciences de la vie et de la terre, les phénomènes naturels, l'éducation environnementale ou la formation environnementale, des sujets qui concernent les sciences naturelles, mais sous l'angle de la politique (de l'environnement) et ne confèrent guère de connaissances de base en physique, chimie ou biologie. Les livres scolaires endoctrinent contre le génie génétique, l'énergie nucléaire, la recherche sur les embryons et les cellules souches et d'autres techniques « controversées » ; les étudiants se voient privés d'une expérience pratique de la biologie moléculaire moderne car cela servirait à « la création d'une acceptation du génie génétique ».

 

 

Questions

 

De tout cela, il s'ensuit que tous les candidats au Bundestag devraient être instamment invités à répondre aux questions suivantes :

 

  1. Éducation et innovation : La théorie de l'évolution devrait-elle être enseignée à l'école et, dans l'affirmative, les enseignements religieux sur l'origine de la vie et de l'humanité devraient-ils être dispensés en parallèle ? Les disciplines des sciences naturelles devraient-elles être conservées dans les écoles ou être abolies en faveur de l'éducation environnementale ?

 

  1. Recherche et innovation : Les dépenses pour la recherche fondamentale devraient-elles être augmentées ? Dans quels domaines innovants pensez-vous qu'il est nécessaire de rattraper le retard en Allemagne ? Quel est votre point de vue sur les incitations fiscales pour les entreprises innovantes ?

 

  1. Climat : Comment réduire les émissions de CO2 de l'Allemagne sans compromettre un approvisionnement énergétique fiable ?

 

  1. Santé : Considérez-vous la vaccination comme une importante mesure de médecine préventive ? Pensez-vous que les vaccinations causent des effets secondaires graves comme l'autisme ? Quel est votre point de vue sur les vaccinations ROR et HPV ? Certaines vaccinations doivent-elles être obligatoires ?

 

  1. Pandémies : Que faudrait-il faire à votre avis pour identifier efficacement les pandémies émergentes et les combattre ? Quelles mesures devraient être prises pour lutter contre la résistance aux antibiotiques et les vecteurs de maladies multirésistants, et pour développer de nouveaux antibiotiques ?

 

  1. Agriculture : Pensez-vous qu'il soit possible de se passer complètement des pesticides, du génie génétique et d'autres technologies modernes dans l'agriculture ? Dans l'affirmative, sur quelles études vous fondez-vous ?

 

  1. Génie génétique vert : Quelle est votre position sur les méthodes modernes d'amélioration des plantes (introduction de transgènes, édition de gènes...) ? Considérez-vous que les recherches sur la sécurité des 25 dernières années en matière de génie génétique vert sont suffisantes ?

 

  1. Expérimentation animale : Considérez-vous que l'expérimentation animale est nécessaire pour développer de nouveaux médicaments et vaccins ? Sinon, quelles solutions de substitution proposez-vous pour évaluer la sécurité et la bonne tolérance des nouveaux médicaments potentiels avant les essais sur des êtres humains ?

 

  1. Cellules souches : Quelle est votre attitude vis-à-vis de la recherche sur les cellules souches et les embryons ? Que devrait-on autoriser en Allemagne et que devrait-on interdire ?

 

  1. Intelligence artificielle : Le développement et l'introduction de l'intelligence artificielle doivent-ils être évalués de manière critique ? Quelles sont vos questions prioritaires ?

 

  1. Recherche nucléaire : Rejetez-vous l'énergie nucléaire même si des types de réacteurs qui excluent la fusion du noyau et l'accumulation de déchets qui restent radioactifs pendant des milliers d'années sont développés ? Les institutions de recherche et les entreprises allemandes devraient-elles continuer à développer de nouveaux types de réacteurs et la fusion nucléaire ?

 

  1. Espace : L'Allemagne devrait-elle dépenser plus d'argent pour l'exploration spatiale (en vols habités) ? Dans l'affirmative, dans quels domaines ? Sinon, pourquoi pas ? Doit-on aller sur Mars ?

 

Les 12 questions (la liste n'est de loin pas exhaustive) se rapportent à des décisions importantes qui posent les aiguillages pour notre avenir immédiat et plus lointain. Les réponses nous permettront de savoir si l'Allemagne est préparée pour les défis à venir ou si nous voulons pousser d'autres technologies et chercheurs à quitter le pays, et devoir importer encore plus intensément les résultats des connaissances scientifiques dans le futur.

 

_________________

 

* Ludger Weß (Wess) a étudié la biologie et la chimie et a travaillé en tant que biologiste moléculaire à l'Université de Brême avant d'entamer une activité de journaliste scientifique. Il écrit régulièrement depuis les années 1980 sur les aspects scientifiques, économiques, historiques, juridiques et éthiques des sciences et des technologies, principalement sur le génie génétique et les biotechnologies. Ses articles ont paru dans Stern, die Woche et le Financial Times Deutschland ainsi que dans des revues spécialisées internationales. Il a publié un ouvrage sur les débuts de la recherche génétique, die Träume der Genetik (les rêves de la génétique), avec une 2e édition en 1998.

 

En 2006, il a été un des co-fondateurs d'akampion, qui conseille les entreprises innovantes dans leur communication. Ludger Weß a un doctorat en histoire des sciences et est membre de la National Association of Science Writers états-unienne ; il vit à Hambourg.

 

Vous pouvez le suivre sur https://twitter.com/ludgerwess

 

Source : https://www.salonkolumnisten.com/wissenschaft-postmoderne/

 

 

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