Glyphosate : le gouvernement peut se sortir du piège d'une communication intempestive et d'une posture irresponsable
Comment détruire ?
Des chiffres circulent sur ce que coûterait un non-renouvellement de l'autorisation de mise en marché de la matière active herbicide la plus utilisée dans le monde... et pour cause : elle a des qualités incomparables.
En France, la Fondation Concorde a avancé un chiffre proche du milliard d'euros – en fourchette basse – pour l'agriculture, sur la base de données fournies par Arvalis. Les coûts d’entretien des voies de la SNCF – un entretien indispensable pour le maintien du réseau, le bon fonctionnement des transports ferroviaires et la sécurité des personnels et, en cas d'incident, des voyageurs – passeraient de 30 millions d’euros à près de 500 millions d’euros. Ne parlons pas des coûts pour les collectivités, victimes de la loi dite Labbé, du nom de celui qui l'a portée pour compte de tiers devant les instances parlementaires françaises : les produits phytosanitaires autres que ceux autorisés pour l'agriculture biologique sont dorénavant interdits d'utilisation, glyphosate compris. Mais gageons que – sauf sursaut politique (hep ! Candidat Macron devenu Président...) – personne ne fera le bilan économique et social de cette cette ineptie. Les lois sont promulguées, rarement auditées...
Pour l'Institut Ipsos, le milliard serait atteint pour les seules céréales, avec notamment à la clé une chute de 12 % des rendements, et donc, de bien plus, des exportations.
Au Royaume-Uni, le chiffre de un milliard de livres a été avancé, avec une chute des rendements en blé de 20 %.
Ce ne sont là que des chiffres, du reste à la fiabilité très incertaine. On peut s'attendre en fait à des dégâts bien plus considérables. Au niveau des exploitations, il y aura des situations difficiles, voire dramatiques, car ce qui est en jeu, c'est souvent toute l'économie en termes de finances, d'investissements dans les outils se substituant au glyphosate, d'organisation du travail.
L'environnement ne sera pas gâté non plus, au contraire : certaines pratiques culturales à bas niveau de travail du sol, très « écologiques », ne seront tout simplement plus possibles. Même l'ex-ministre de l'agriculture Stéphane Le Foll, devenu député, est monté au créneau pour l'expliquer.
S'agissant de la santé des travailleurs, les équations sont simples : ou bien ils devront se tourner vers d'autres molécules – vraisemblablement un cocktail – au profil toxicologique et écotoxicologique moins favorable ; ou bien ils devront utiliser des méthodes de désherbage essentiellement mécaniques, plus dispendieuses en temps et en énergie (gazole), productrices de microparticules, etc. Ils peuvent aussi tenter de se passer du désherbage . Les consommateurs seront incités par les manipulateurs d'opinion à croire que c'est tout bénéfice pour leur santé ; nous pouvons leur répondre : cela augmente les risques de présence de graines de plantes toxiques comme le datura, d'ergot du seigle, de pollens allergènes, etc.
Face à cela, M. Nicolas Hulot a annoncé le mardi 29 août 2017 que la France votera contre le renouvellement de l'autorisation. Motif ?
« "La France votera [le 4 août] contre la réautorisation du glyphosate en raison des doutes qui demeurent sur la dangerosité", explique-t-on au ministère de la Transition écologique. »
Des doutes ? Les colporteurs de doute ont encore gagné en France... c'est le changement dans la continuité, malgré les belles déclarations électorales du candidat Macron.
Et malgré les évaluations de l'ANSES en France (avec des relents de correction politique... il ne faut pas déplaire aux Maîtres), de l'EFSA et de l'ECHA (évaluations auxquelles des experts français ont participé et acquiescé) au niveau européen, de l'EPA états-unienne, de l'Agence de Réglementation de la Lutte Antiparasitaire (ARLA) canadienne, de l'Autorité Australienne des Pesticides et des Médicaments Vétérinaires (APVMA), de la Commission de Sécurité Alimentaire japonaise, de l'EPA néo-zélandaise, de l'Office Fédéral de l'Agriculture (OFAG) et de l'Office Fédéral de la Sécurité Alimentaire et des Affaires Vétérinaires (OSAV) suisses, de la Réunion Conjointe FAO/OMS sur les résidus de pesticides.
On a pu penser un temps que cette annonce avait été intempestive de manière à s'assurer la préséance dans un inévitable rapport de force au sein du gouvernement. De la Volonté Paysanne :
« La présidente de la FNSEA Christiane Lambert est revenue, lors de la conférence de presse le 5 septembre au matin, sur la façon dont a été annoncée la position de la France sur le renouvellement de l'homologation du glyphosate, demandant à l'avenir "une concertation plus étroite" entre les membres du gouvernement. "Sur un sujet délicat, il faut qu'il y ait un échange avant expression. Mon petit doigt me dit que Monsieur Hulot a répondu sans échange préalable", estime Christiane Lambert, qui demande "que le ministre de l'Agriculture puisse s'exprimer prochainement".
L'idée avait été exprimée de manière implicite dans un communiqué de presse de la FNSEA et des JA au titre éloquent : « M. Hulot s'exprime-t-il bien au nom de la France ? ».
Capturer glyphosate irresponsabilité 1 ou 2.
Mais s'il y eut manœuvre – dans le plus pur style de ce qu'on a connu avec le gouvernement précédent –, a-t-elle été couronnée de succès ? Toujours de la Volonté Paysanne :
« Contacté par Agra presse le 5 septembre, Matignon a indiqué que "Nicolas Hulot a réaffirmé la position de la France indiquée à la Commission européenne en juillet." Le 29 août, le ministre de la Transition écologique a affirmé que la France voterait contre la proposition de la Commission européenne de renouveler pour dix ans l'autorisation du glyphosate. Matignon précise que "la France a toujours voté contre ce renouvellement."
Par ailleurs, les services du Premier ministre indiquent que "tous les Etats membres n'ont pas fait connaître leur position". Matignon ajoute que "l'élimination progressive des pesticides est un engagement du Président de la République. Le sujet sera traité lors des Etats généraux de l'alimentation." Et de préciser que l'engagement d'Emmanuel Macron inclut aussi l'accompagnement des agriculteurs. »
Avez-vous bien lu ce chef-d'œuvre d'enfumage et de langue de bois ? Encore une fois, ce n'est pas à l'honneur de notre nouveau Président et du nouveau gouvernement, dont l'ambition affichée – mais non réalisée ici – a été de changer les mœurs de la République.
Le Canal A, c'est : « Nicolas Hulot a réaffirmé la position de la France indiquée à la Commission européenne en juillet » – traduisez : ce n'est (bémolisons : peut-être) plus la position aujourd'hui. La Canal B, c'est par exemple : « la France a toujours voté contre ce renouvellement. »
Ce qui est du reste faux ! La France n'a voté contre qu'une fois – avec Malte... avec Malte... avec Malte... on peut continuer ainsi, ça ne fera toujours que deux votes contre – en juin 2016. Et encore, après que Mme Ségolène Royal se soit vu offrir des fleurs par M. François Veillerette au nom d'un consortium d'entités anti-glyphosate.
Et il y a même un Canal C : « l'engagement d'Emmanuel Macron inclut aussi l'accompagnement des agriculteurs ».
Tout simplement parce qu'un hélicologiste nommé ministre a voulu flatter sa clientèle et que le temps n'est pas encore venu de mettre M. Hulot – et son ministère, surtout son ministère – au pas et sur les rails de l'intérêt général de la Nation.
Le Ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation Stéphane Travert s'est mis en mode « damage control » – minimisation des dégâts. Ainsi, le 7 septembre 2017, en marge d'une visite au lycée agricole Théodore Monod du Rheu et de l'inauguration du Pôle de Sciences et Productions de l’Agrocampus Ouest de Rennes, il a déclaré selon France 3 Régions :
« "Nous avons besoin de gérer les choses dans le temps, a expliqué le ministre de l'agriculture, il faut de la temporalité. J'ai toujours dit, que sur ces questions, là où nous avons des impasses techniques, il faut pouvoir réfléchir à comment on trouve des produits de substitution". Il souhaite aussi que soient dégagés "des moyens pour que la recherche et l'innovation puissent trouver des produits de substitution."
Il a indiqué chercher "une solution qui puisse permettre de trouver une trajectoire acceptable pour les producteurs, pour leur permettre de continuer à travailler". »
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Nous ajouterons ici qu'une partie de la profession agricole s'est mise sur le même mode. Il est toujours difficile de définir une stratégie et on ne sait si elle a été gagnante qu'à l'issue de la partie ou du combat. Néanmoins, nous ne sommes pas convaincu que faire des concessions – retarder l'échéance ou sauver un soldat glyphosate lourdement mutilé – soit le plus efficace.
Mais rien n'est encore perdu, car...
Reprenons encore du Paysan Breton, avec l'intertitre :
« Le cabinet de N. Hulot refléchit à un accompagnement des agriculteurs en cas d'interdiction
"Le cabinet de Nicolas Hulot nous a confirmé la position de la France contre le renouvellement de l'autorisation du glyphosate pour des raisons de santé publique", rapporte à Agra presse Céline Imart, vice-présidente des JA, le 5 septembre suite à une rencontre la veille. Les JA, opposés à l'interdiction du glyphosate, ont expliqué que celle-ci ne serait une solution ni pour l'environnement ni pour la santé publique.
Le ministère répond qu'il faut "donner un signal", rapporte Céline Imart. Il devrait revoir "dans quelques semaines" les JA pour travailler sur des mesures d'accompagnement des agriculteurs en cas d'interdiction de la substance. Le renouvellement pour dix ans de l'autorisation du glyphosate doit être soumis au vote des Etats membres les 5 et 6 octobre. »
Le 5 septembre 2017 ? C'est le jour où les services du Premier Ministre ont donné une information de nature différente ! La cacophonie règne !
Mais c'est un signal important : « …en cas d'interdiction de la substance... » – certes écrit par le journaliste et pas forcément évoqué par l'interlocuteur du ministère – laisse une ouverture. Et surtout, on a bien pris conscience au Ministère de la Transition Écologique et Solidaire que le bannissement du glyphosate faisait problème. Bref, que c'est une c... Mieux vaut tard que jamais...
Euractiv a publié un article qui semble solidement documenté : « Paris tâte le terrain en vue du prochain vote sur le glyphosate ».
Qu'est-ce à dire ? Selon les propos paraphrasés d'un diplomate resté anonyme : « cela pourrait vouloir dire que même Paris n’est pas convaincue de sa position finale sur le sujet ».
Empruntons cette fois-ci à Plein Champ du 19 juillet 2017, « Autorisation du glyphosate dans l'UE: la France "sera ferme" (Hulot) » :
« Les 19 et 20 [juillet], "les Etats doivent donner leur position", avant le vote prévu en septembre, a dit mardi soir le ministre de la Transition écologique et solidaire devant la commission des affaires économiques du Sénat. "Ma position sera ferme, mais je ne suis pas certain qu'elle sera suivie par d'autres pays européens", a-t-il ajouté. "C'est une question de cohérence. J'entends bien la remarque 'il n'y a pas d'alternative au glyphosate'," explique-t-il. "Mais pourquoi? Parce qu'à force d'ajourner, on ne les cherche pas les alternatives". "Dans beaucoup de domaines, on a fustigé le principe de précaution, mais parfois on se grandirait à le mettre en œuvre", a-t-il estimé. Le gouvernement précédent avait déjà voté en 2016 contre le renouvellement de l'autorisation du glyphosate (composant du Roundup). »
Il « entend bien... » et nous comprenons qu'il comprend bien qu'il n'y a pas – encore – d'alternative au glyphosate.
Mais la « question de cohérence » à la mode « écolo » – une mode épousée au-delà du cercle d'EÉLV – consiste à dégainer une interdiction d'abord, à prétendre qu'on trouvera les solutions par la suite sous la contrainte de l'interdiction et, le cas échéant, à coller d'urgence une rustine sur le dispositif. C'est ce qu'on a fait avec l'interdiction de l'usage des produits phytosanitaires par les collectivités publiques et l'interdiction des néonicotinoïdes.
Là encore, il y a un chantier pour le nouveau gouvernement.
Dans le cas du glyphosate, c'est un chantier à un milliard d'euros et plus au seul niveau français...
Il nous semble que le gouvernement dispose de tous les éléments pour sortir du piège d'une communication intempestive et d'une posture irresponsable.
Il connaît les impacts sociaux, économiques et politiques du bannissement et sait qu'il n'y a pas d'alternative au glyphosate.
Du reste, pourquoi faudrait-il une « alternative », entendez : quelque chose – par exemple un autre herbicide – qui suppléerait un glyphosate banni ? Une « alternative » sous la forme d'une deuxième solution qu'on pourrait utiliser en alternance avec la glyphosate serait une bénédiction sur le plan agronomique et environnemental.
M. Hulot s'est référé à « des doutes qui demeurent sur la dangerosité ». Le seul « doute » que l'on pourrait avoir concerne le classement du glyphosate en « cancérogène probable » par le CIRC et il est maintenant prouvé – au-delà de tout doute – qu'il est le produit de manœuvres ; et – osons le mot – d'une conspiration.
Faire prévaloir le consensus scientifique – certes troublé par une seule institution, le CIRC, et un quarteron de militants chercheurs – le bon sens et la raison lancerait aussi un signal fort à ceux qui sont prêts à toutes les manœuvres et toutes les avanies pour faire prévaloir leurs options socio-politiques.