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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

CO2 et protéines dans les plantes cultivées : encore de la science poubelle promue par l'AFP

11 Août 2017 , Rédigé par Seppi Publié dans #Article scientifique, #critique de l'information

CO2 et protéines dans les plantes cultivées : encore de la science poubelle promue par l'AFP

 

 

 

C'est à propos de « Estimated Effects of Future Atmospheric CO2 Concentrations on Protein Intake and the Risk of Protein Deficiency by Country and Region » (effets estimés des concentrations futures de CO2 sur l'ingestion de protéines et le risque de carences en protéines par pays et régions) de Danielle E. Medek, Joel Schwartz, and Samuel S. Myers.

 

L'auteur principal, Samuel S. Myers, sévit au Department of Environmental Health, Harvard T.H. Chan School of Public Health, Boston, Massachusetts, et au Harvard University Center for the Environment, Cambridge, Massachusetts.

 

L'article a été mis en ligne le 2 août 2017. Évidemment, un communiqué de presse – fort alarmiste – a été publié le même jour, et ce, par la Harvard T.H. Chan School of Public Health. Jugez en : « Millions may face protein deficiency as a result of human-caused carbon dioxide emissions » (des millions risquent de faire face à une carence en protéines à cause des émissions anthropiques de dioxyde de carbone). Notez bien la formulation : pas de déclaration péremptoire... c'est « may »...

 

Et, évidemment, l'Agence France-Presse a publié le même jour une dépêche.

 

Dépêche qui s'est trouvée – le même jour – dans le Point sous le titre : « Les concentrations accrues de CO2 menacent la valeur nutritive des récoltes clés » ; le lendemain sur Euractiv (édition française, celle qui fait équipe avec le Journal de l'Environnement) sous le titre : « Les concentrations accrues de CO2 menacent la valeur nutritive des récoltes » ; cinq jours après sur Science et Avenir (un journal de vulgarisation scientifique qui ne dédaigne pas l'alarmisme environnementaliste) sous le titre « Et maintenant, les gaz à effet de serre menacent la valeur nutritive des récoltes ».

 

Plongeons donc dans l'« étude » scientifique.

 

Les auteurs ont procédé à une méta-analyse des expériences faites sur les effets de l'augmentation du gaz carbonique dans l'atmosphère sur les plantes cultivées ; une augmentation du taux actuel (nous flirtons avec les 400 ppm – parties par million) à 500-700 ppm. Ils ont produit le tableau suivant :

 

 

 

 

À partir de là, les auteurs se sont livrés à des exercices de haute voltige statistique pour produire des chiffres. Résumé, selon l'AFP :

 

« L'étude suggère que les populations de 18 pays pourraient ainsi perdre plus de 5 % de leur apport en protéines d'ici le milieu du siècle en raison de la réduction de la valeur nutritive du riz, du blé et d'autres récoltes importantes, ont déterminé ces chercheurs de la faculté de santé publique de l'Université de Harvard (Massachusetts).

 

Ils ont aussi estimé qu'environ 150 millions de personnes de plus pourraient courir le risque de carence en protéines en raison des concentrations élevées de CO2. »

 

C'est, en principe, à l'horizon 2050. Les calculs ont été fondés sur les projections des populations à cette date ; mais une augmentation de la concentration en CO2 de l'atmosphère à plus de 500 ppm sera-t-elle au rendez-vous ?

 

Quel crédit accorder à ces prévisions, cet alarmisme dont les auteurs semblent être des spécialistes au vu de leur bibliographie ? Aucun !

 

Et comme cette étude ne vaut pas un clou, l'AFP Washington a estimé indispensable de la vulgariser !

 

Les études de terrain – celles dont les auteurs ont utilisé les conclusions – semblent s'accorder sur le fait que l'augmentation du CO2 dans l'atmosphère se traduit par une diminution du taux de protéines dans les plantes. Mais elle se traduit aussi par une augmentation des rendements (l'effet est du reste exploité dans les serres maraîchères dans lesquelles on injecte jusqu'à 1.000 ppm de CO2). Il s'opère donc une compensation, et il ne nous semble pas que les auteurs en aient tenu compte.

 

Pour le blé, une lecture très intéressante est « Effects of elevated CO2 on grain yield and quality of wheat: results from a 3-year free-air CO2 enrichment experiment » (effets d'une augmentation du CO2 sur le rendement en grains et la qualité du blé : résultats d'une expérience d'enrichissement en CO2 à l'air libre sur trois ans) de P. Högy et al. On trouvera ci-dessous deux graphiques, sur le rendement et les protéines.

 

 

 

 

 

D'autre part, et c'est plus important, les auteurs de l'étude à la Philippulus ont en fait prolongé des situations actuelles à leur date de destination. Par exemple :

 

« Pour estimer l'effet de l'eCO2 [CO2 plus élevé] sur l'apport en protéines dans chaque pays, nous avons supposé une consommation constante en masse de chaque produit au fil du temps, avec une diminution de la teneur en protéines prédite par nos méta-analyses. »

 

Ou encore :

 

« On ne sait pas très clairement comment les tendances de la qualité de l'alimentation seront contrebalancées par les effets de la croissance démographique et du changement climatique. C'est pourquoi, pour notre analyse, nous supposons qu'il n'y a aucun changement futur dans la composition des régimes alimentaires ou la consommation alimentaire par habitant et aucune substitution alimentaire pour compenser les déficits. »

 

Dans la phrase suivante, ils admettent pourtant que :

 

« La production agricole devra en gros doubler pour satisfaire une demande croissante d'ici 2050 (Alexandratos 1999) »,

 

ce qui implique nécessairement une modification des régimes alimentaires.

 

Il n'est évidemment pas non plus tenu compte de toutes les mesures de mitigation – par exemple dans le choix des espèces cultivées –, des progrès technologiques dans l'agriculture et l'agroalimentaire, des nouvelles conditions économiques et notamment des échanges internationaux, ou encore des défis posés et des opportunités créées par une production agricole dans des conditions agro-climatiques modifiées.

 

On s'arrêtera encore à leur figure 3

 

 

 

 

La carte A indique le pourcentage de la population en risque de carence protéinique à l'heure actuelle. Le choix de l'échelle est intéressant : la situation la plus favorable représentée est : « moins de 10 % de la population en risque de carence ». Il y a pourtant des pays où règne, en moyenne, l'excès... Mais bon. La carte B donne un pourcentage de population qui s'ajouterait à ceux qui sont en risque de carence. Par rapport à quelle base ? Cela n'a guère d'importance car la carte 3 fournit les données en millions de personnes.

 

Si l'on accorde crédit à ces travaux, cette carte C montre notamment que pour la majeure partie des pays de l'Afrique subsaharienne, le nombre de personnes supplémentaires en situation de carence protéinique du seul fait de l'augmentation du taux de CO2 dans l'atmosphère est inférieur à 1 million. Et, telle que construite, la carte n'exclut pas l'hypothèse d'une influence positive de l'augmentation du taux de CO2 ! Si l'on considère que le Nigeria et les (cinq?) autres pays qui ne sont pas en vert foncé sont au taquet bas (donc 5 millions pour le Nigeria, etc.), il faut répartir quelque 13 millions de personnes entre 38 pays.

 

Il est du reste curieux que les auteurs n'aient donné, dans leur étude, leurs chiffres que pour les régions et pas pour les pays (malgré la mention de ces derniers dans le titre). L'Inde est une exception. Selon les calculs, sur les 148,37 (119,06 – 176,09) millions de personnes supplémentaires à risque dans le monde, 53,41 (31,22 – 73,71) millions seraient indiennes et 15,99 (11.68 – 20.28) chinoises. Qui peut croire que ces dragons économiques ne seraient pas en mesure de faire face au problème... s'il était réel ?

 

En tout cas, la gesticulation alarmiste n'est pas de mise. Et se pose à nouveau la question du sérieux et de la déontologie de l'AFP. Et aussi de certains médias.

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Y
là on est au haut, très haut dans dans l’irréelle/imaginaire. <br /> Pour le blè (dont je suis sensé très bien connaitre les principes du fait de mes fonction et responsabilité pour les agriculteur pour qui je travail) cette histoire de baisse de protéine dans le future est au minimum surprenante voir irréelle . (première réaction amène plutôt le terme "idiotie")<br /> On sait combien d'unité d'azote il faut pour faire un quintal de blé avec son taux de protéine normal (et le taux normal dépend d'abord de la variété et de ses capacité a faire de la protéine ou non) .<br /> Un blé dit BPS (blé pour panification supérieur) tourne autour de 11.5 à 12.5 de p) et demande environ 3 unité d'azote (dit N) par quintal produit.Lors des bilan d'azote (que font tous les agri==> obligatoire) si on prévoit un rdt de 70 qx il faudra pour cette culture 70 x 3 u de N = 210U de N (azote) On aura soustrait a l'apport prévisionnel les reliquats d'N fourni par le sol pour savoir dans la pratique la quantité d'N a réellement apporter (tournera autour d'un besoin en apport de 210 - 70 (reliquats provenant du sol )= 140 U a apporter) .On fractionnera les apports (meilleur valorisation et évite les pertes par lessivage)et on gardera une quantité de 30 ou 40 unité de N pour un apport tardif (gonflement/apparition de l'épis) pour favoriser la protéine justement.Ce que l'on sait: si le rdt est plus fort que prévu on monte donc en rdt mais on baisse en protéine (dilution de la protéine par le RDT).On connait les besoins de toutes nos variétés de blé: les blés de forces (différents des BPS) sont très riche en protéine et justement servent au meuniers a corriger la protéine de leur farine pour avoir les valeurs qu'ils souhaitent pour leurs divers sortes de pains.<br /> Ces blés de force peuvent monter a plus de 15/16 voir 18 de protéine. Leurs coef N est connu pour etre supérieur au BPS et est donc pris en compte dans les plan de fumure . Un blé de force type galibier a un coef de 3.4. donc pour 70qx il faudra 70 x 3.4= 238 U de N et cela sera prit en compte par l'agriculteur pour gérer sa fumure.<br /> Pour moi on ne peu avoir de baisse de taux en protéine sur le blé que si tous les agri sous-estiment (se plante dans leurs calcul OBLIGATOIRE TOUS LES ANS) leur rdt lors des plan de fumure prévisionnel.<br /> Pourquoi et comment cela pourrait il arrivé?<br /> manque d'azote pour la fertilisation ? en bio c'est possible (pas engrais de syntèse)et c'est déjà un pb pour eux(ble bio pour panif avec pb par manque de protèine régulier) impossible en conventionnel car l'azote est le seul élément inépuisable pour l'agriculture (présent dans l'atmosphère en quantité...)..<br /> Oui il est vrai que l'augmentation des rdt (si pas prévu) fait baisser les taux de protéine.<br /> Mais pour que les taux moyen baisse il faudra que tous les agri regressent en technique pour ne pas maîtriser leur besoins en fumure azoté (ce qu'ils font très bien aujourd hui ).<br /> Cette info ressemble a bien d'autre, réalisée par des personnes vraiment incompétente en technique de production agricole (en tous cas pour la culture du blé).
Répondre
S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour votre commentaire.<br /> <br /> Vous devriez lire le papier de Högy et al. (je viens de rajouter le lien que j'avais oublié).<br /> <br /> Je n'ai (évidemment) pas épluché la littérature pour déterminer si la baisse du taux de protéines sous l'effet de l'augmentation du taux de CO2 dans l'atmosphère est une conséquence directe de cette augmentation, par un effet, (encore) inconnu, ou bien un simple effet de dilution.<br /> <br /> Chez Högy et al., l'expérience a été menée « toutes autres choses étant égales par ailleurs », ce qui implique un effet de dilution.<br /> <br /> Et si c'est l'effet de dilution qui est en cause, le papier de Myers vaut encore moins qu'un clou !<br />