« Monsanto Papers » : le Monde ne vous a pas dit que c'est une opération de relations publiques
Les « Monsanto Papers », ce sont des pièces du dossier d'une action intentée contre Monsanto par, nominalement, des victimes d'un lymphome non hodgkinien qui estiment que la maladie a été causée par leur usage du glyphosate (du Roundup de... Monsanto). L'action est centralisée devant la Cour du district nord de Californie, devant le juge Vince Chhabria. En réalité, derrière les plaignants, on trouve l'US Right to Know, une entité à but non lucratif qui est, toujours en réalité, la vitrine et le porte-voix d'intérêts forts lucratifs, notamment du secteur du bio.
L'US Right to Know met donc en ligne des documents qui alimentent la croisade anti-glyphosate et anti-Monsanto. Le Monde Planète de M. Stéphane Foucart et de Mme Stéphane Horel n'a bien sûr pas raté l'occasion pour promouvoir sa ligne idéologique sous le couvert d'un prétendu journalisme d'investigation.
Nous avons consacré plusieurs billets à cette manipulation médiatique :
« Monsanto : quand le Monde se livre à l'assassinat médiatique du glyphosate et de son propre crédit »
« "Monsanto Papers" : comprendre la guerre du Monde contre Monsanto » ;
« Glyphosate : le complot du CIRC en partie dévoilé par Reuters – faisons le reste ! » :
« "L'affaire du glyphosate, un cas d'école de désinformation" dans la Tribune... et plus »
Cela fait-il beaucoup ? Ce n'est pas fini !
Quand le juge Chhabria se fâche...
L'audience du 11 mai 2017 portait notamment sur la demande formulée par les avocats des plaignants que l'on interroge davantage M. Jesudosh (Jess) Rowland, directeur adjoint de division à l'EPA, en retraite. Au principal, selon les avocats des plaignants, M. Rowland aurait été de connivence avec Monsanto. Parti à la retraite, M. Rowland a travaillé pour des entreprises. Les avocats voulaient en savoir plus. Cela a donné l'échange suivant :
« M. MILLER [conseil des plaignants] : […] Pour répondre à la question de la Cour, ce que j'essaie de faire, Monsieur le Président, c'est que M. Rowland était à l'audience [la réunion du groupe de travail] du CIRC en tant qu'observateur non votant. Nous savons que Monsanto parle entre eux, quel bon travail fait M. Rowland au CIRC.
Quatre jours après son retour, nous savons que Monsanto s'est interrogé. Y a-t-il un moyen d'entrer dans l'EPA sur cette question ? Nous savons que le lendemain, ils décident d'appeler Jess Rowland. C'est un fait. Ce sont tous des faits que nous connaissons.
Nous savons que le 23, Monsanto donne des éléments de langage à M. Rowland en mars [2015].
Nous savons que le 28 avril, M. Rowland appelle Monsanto et dit : Je mérite une médaille pour [avoir empêché/empêcher – la construction de la phrase ne permet pas de décider s'il s'agit d'une action passée ou à venir] d'autres scientifiques du gouvernement fédéral qui ont une vraie formation sur ce sujet de faire un rapport.
LA COUR : Vous savez, vous dénaturez les preuves.
M. MILLER : Je ne crois pas, Monsieur le Président.
LA COUR : Vous avez totalement déformé la déclaration – la déclaration relatée de M. Rowland. J'ai vu la description du CIRC – je veux dire, excusez-moi, j'ai vu les courriels de Monsanto décrivant ce que Rowland a dit, et vous le dénaturez complètement.
M. MILLER : Je suis respectueusement en désaccord.
LA COUR : Alors, je vais vous demander de vous asseoir...
M. MILLER : Oui, Monsieur le Président.
LA COUR : ...À moins que vous ne puissiez être franc avec moi sur les faits en l'espèce.
M. MILLER : Je crois que je le suis, et je m'excuse si la Cour pense autrement, mais je crois que je le suis. Je l'ai lu cent fois, et je crois que je le suis.
En septembre, Monsieur le Président...
LA COUR : Vous l'avez totalement déformé. Vous l'avez complètement déformé, et vous l'avez inséré dans votre propre description très biaisée de ce qu'il a dit. Vous n'avez pas...
M. MILLER : Je m'excuse.
LA COUR : ...décris ce qu'il a réellement dit ou ce que Monsanto a dit qu'il a dit. Je veux dire, c'est incontestable. Je dois donc vous demander...
M. MILLER : Je peux m'asseoir. Cela se passe de commentaires.
LA COUR : ...Je dois vous demander de commencer à être un avocat responsable...
M. MILLER : Oui, Monsieur le Président.
LA COUR : ...et d'arrêter de mener vos campagnes de relations publiques dans cette affaire.
M. MILLER : Excusez-moi, Monsieur le Président.
LA COUR : Je dois vous demander de commencer à être un avocat responsable et de commencer... et de vous en tenir aux faits, et plaider à l'appui de votre motion sur la base des faits, et non sur la base de votre déformation des preuves.
M. MILLER : Oui, Monsieur le Président.
LA COUR : Vous me comprenez ?
M. MILLER : Oui, Monsieur le Président.
LA COUR : Bien. Dernière chance.
M. MILLER : Nous pensons que savoir quand il est allé travailler pour ces trois entreprises, combien il a été payé et comment ces entreprises ont découvert son existence est pertinent pour le biais, et nous souhaitons interroger M. Rowland à ce sujet pendant une demi-heure ou moins.
LA COUR : Entendu. Mais vous savez pour quelles entreprises il a travaillé.
M. MILLER : Nous le savons, Monsieur le Président.
LA COUR : Et alors, pourquoi... pourquoi avez-vous besoin de plus de détails sur ce qu'il a fait ? Je veux dire, votre théorie... il semble que votre théorie est que c'était comme... son travail pour ces entreprises, c'est que Monsanto était en quelque sorte responsable et c'était sa récompense pour faire l'offre de Monsanto à l'EPA. Est-ce essentiellement ça, votre théorie ?
M. MILLER : Oui, Monsieur le Président.
LA COUR : Bien. Donc, vous savez qu'il est allé travailler pour ces trois entreprises.
M. MILLER : Nous le savons, Monsieur le Président.
LA COUR : Et pourquoi devez-vous connaître les détails de ce qu'il a fait ? Je veux dire, ils auraient pu... la récompense aurait pu être, vous savez, vous allez... nous allons vous demander... nous vous embauchons pour balayer le porche de notre bungalow de vacances à Hawaï une fois par mois pendant que vous séjournez là pour le reste de l'année. D'accord ?
M. MILLER : Oui, Monsieur le Président.
LA COUR : Et cela... je veux dire, cela n'aurait rien à voir avec la question de savoir si Monsanto était impliqué en lui donnant une récompense.
Alors, les détails de ce qu'il a fait pour l'entreprise, cela ne semble pas important pour votre théorie de savoir s'il a fini dans ces entreprises à la demande de Monsanto.
M. MILLER : Je pense que savoir combien de temps après son départ de l'EPA il est allé travailler pour ces entreprises le serait, Monsieur le Président.
LA COUR : Mais vous demandez les détails de son travail... ses projets pour ces entreprises.
M. MILLER : Non, Monsieur le Président. Je voudrais...
LA COUR : Comment cela importe-t-il ?
M. MILLER : J'aimerais lui demander quand il est allé travailler pour ces entreprises, comment ces entreprises ont découvert son existence, et combien ces entreprises le paient.
LA COUR : Bien. Requête refusée.
M. MILLER : Merci pour votre temps, Monsieur le Président.
Cette histoire de médaille est difficilement compréhensible. Voici la partie du courriel en question (source, pages 99 et 100 du PDF) :
L'avocat prétend que M. Rowland a dit « I deserve a medal for stopping other scientists in the federal government who have real training in this issue from doing a report » (Je mérite une médaille pour [avoir empêché] [empêcher] d'autres scientifiques du gouvernement fédéral qui ont une vraie formation sur ce sujet de faire un rapport). C'est dans le contexte d'une demande d'information sur un contact possible à l'Agence pour le Registre des Substances Toxiques et des Maladies. C'est une démarche fort curieuse. Hypothèse : l'EPA et l'ATSDR s'ignoraient superbement ; Monsanto a demandé à l'EPA d'accorder les violons avec l'ATSDR... M. Rowland demande qui il devrait contacter...
Quoi qu'il en soit sur ce point, l'audience doit s'interpréter comme une tentative de jeter le filet de la fishing expedition au-delà de Monsanto et de capturer – pour le litige en cours ou pour d'autres à venir – trois entreprises qui ont utilisé les services du retraité de l'EPA Jess Rowland.
Et le juge a été très clair sur un point : l'affaire qu'il a à juger est liée à des « campagnes de relations publiques ».
Et la question des relations publiques revient sur le tapis
Plus loin, la question des campagnes de relations publiques revient sur le tapis :
« LA COUR : Bien. Maintenant, permettez-moi de demander aux plaignants, et je vais vous poser la même question sur la requête visant à sceller à propos des souris, permettez-moi de demander aux plaignants : qu'avez-vous,... vous savez, j'ai rendu une ordonnance qui a été très claire sur le point que vous n'êtes autorisés à joindre que des documents qui sont pertinents pour la motion ; cela, vous le savez... vous ne pouvez pas utiliser ces procédures pour inclure dans le dossier de la Cour les documents que vous aimeriez voir mis à la disposition du public s'ils ne sont pas pertinents pour la requête que vous déposez.
Et à la lumière de cette orientation, j'aimerais vous donner une possibilité à l'égard de la motion visant à sceller... vous savez, les documents que vous avez soumis dans le cadre de votre requête pour faire témoigner M. Rowland, croyez-vous... est-ce que vous soutenez que tout cela a été dûment soumis en relation avec votre requête ?
C'est-à-dire toute la pièce 1 et toute la pièce 2 de votre requête visant à contraindre, croyez-vous que tout cela a été correctement soumis ? Ou à la lumière de l'ordonnance que j'ai rendue sur une question non liée, qui indiquait clairement que j'allais commencer à vous sanctionner si vous continuiez à tenter de déposer des documents qui n'étaient pas liés aux motions que vous déposiez dans le but de les faire mettre à la disposition du public, êtes-vous... avez-vous une position différente à propos de quelles parties de la pièce 1 et de la pièce 2 sont pertinentes pour votre requête visant à obliger et devraient être déposées dans le cadre de votre requête visant à contraindre ? »
Suit un moment de confusion, M. Miller n'ayant pas les pièces en question. Le juge se fait insistant :
« LA COUR : Connaissez-vous le nombre de pages de la pièce 4 ?
Mme WAGSTAFF : Je pourrais regarder.
LA COUR : Il y a 443 pages.
Mme WAGSTAFF : C'est probablement pourquoi mon assistant juridique responsable a dit Regarde ton courriel.
LA COUR : Savez-vous combien de pages de ce document de 443 pages que vous avez citées dans votre motion ?
Mme WAGSTAFF : combien?
LA COUR : Une.
Mme WAGSTAFF : D'accord. Donc, alors, pourquoi ne pas... si vous me permettez de vous dire à la fin de notre argument aujourd'hui quelles pages nous voulons maintenir, je peux vous faire rapport et demander à quelqu'un de me le dire. »
Le Président sermonne encore :
« LA COUR : Non, et c'est un problème... n'est-ce pas ?... Parce que vous voulez vous assurer que vous ne craignez pas de voir que des extraits de documents sont vus en dehors de leur contexte et que vous n'êtes pas en mesure de voir le contexte. Donc, c'est certainement un problème, et ces deux préoccupations sont en concurrence. Aucune de ces préoccupations ne concerne le souci que j'ai, que vous utilisez ce litige comme véhicule pour mener une campagne de relations publiques. Il est évident pour moi que c'est ce que vous essayez de faire, et cela va s'arrêter.
Et le Président enfonce le clou :
« LA COUR : Mais dans ce contexte, compte tenu de l'inquiétude que j'ai à propos des plaignants qui utilisent ce litige comme véhicule pour mener une campagne de relations publiques, je vais, vous savez, surveiller beaucoup plus étroitement et vous devez accorder beaucoup plus d'attention à ce que vous soumettez et à ce que vous ne soumettez pas. »
Une campagne de relations publiques... avec le concours complaisant du Monde.