États Généraux de l'Alimentation : les recettes de Michel-Édouard Leclerc
Au fond, pour lui, c'est : « Pas question de toucher à mon blé ! »
Il n'y a pas à dire : le Monde s'intéresse de près aux États Généraux de l'Alimentation.
Il n'y a pas à dire non plus : le choix des contributeurs laisse rêveur.
Le 16 juillet 2017 (date sur la toile), M. Claude Gruffat, président de Biocoop, a eu sa tribune, « Jusqu’à quand distribuera-t-on des subventions à une agriculture aux conséquences sanitaires et environnementales coûteuses ? ». Nous l'avions trouvée scandaleuse – voir « Jusqu'à quand le Monde et Biocoop dénigreront-t-ils l'agriculture qui nous nourrit ? ».
Le 21 juillet 2017 (date sur la toile), c'est au tour de M. Michel-Édouard Leclerc, président des centres E.Leclerc, de pontifier avec « Michel-Edouard Leclerc : "Le monde agricole a intérêt à quitter un modèle trop productiviste" ».
Il n'y a pas à dire, la congruence, sinon la connivence entre les grands de la distribution et les sphères de l'écologisme décroissantiste et de la bobo-agronomie sont remarquables.
(Source)
Le chapô est d'une banalité extrême – signe de la perplexité du journaliste :
« Dans une tribune au "Monde", le président des centres E. Leclerc estime que les Etats généraux de l’alimentation sont une occasion de refonder la filière de l’agroalimentaire. »
Sur la version papier, c'est plus volontariste avec en titre « Refondons le secteur agroalimentaire » et en chapô :
« Les attentes des consommateurs ont évolué et c'est sur cette base qu'il faut dépasser le modèle d'agriculture productiviste. »
Décidément, on ne sort pas des clichés ! Et décidément, c'est : « Touche pas à mon gâteau ».
(Source)
Frise-t-on l'absurde, ou est-il largement dépassé ? Pour M. Michel-Édouard Leclerc, en bon commerçant, le client est roi. Ses exigences et aspirations, fussent-elles absurdes, sont le guide suprême. Ces exigences et aspirations sont souvent créées par les distributeurs, histoire de proposer des produits avec des marges supérieures ; les consommateurs sont ainsi des prête-noms dans le cadre de cet argument, et des vaches à lait quand ils entrent dans un magasin. Donc :
« Du producteur au consommateur, tous les Français expriment l’envie d’une nutrition plus sécurisée et de meilleure qualité. Le monde agricole a intérêt à quitter un modèle trop productiviste, tant pour répondre aux demandes sociétales que pour sortir d’une spirale compétitivité-prix qui lui est défavorable au plan international.
[…]
[…] jamais les consommateurs, dans les rayons comme au travers des pétitions, n’ont autant souhaité un tel changement qualitatif. Dans les magasins, ils plébiscitent de plus en plus – à condition que cela reste accessible ! – les produits locaux, bio, tracés. Ils veulent être informés, sécurisés et, surtout, avoir le choix.
[…]
Partout en France, chacun dans son métier, dans sa région, teste des initiatives variées : mise en avant des productions en circuit court, développement de gammes sans OGM, sans pesticides, bio, chasse aux perturbateurs endocriniens, etc. Il faut maintenant pouvoir valoriser ces pratiques et les généraliser. »
Résumons : l'agriculture doit sortir du modèle productiviste – donc produire moins ; en proposant des produits supposés de meilleure qualité – bio, sans OGM, sans pesticides, sans perturbateurs endocriniens – forcément plus chers à produire ; le tout « à condition que cela reste accessible ! » au consommateur dans les centres E.Leclerc et ailleurs ; et, bien évidemment, en résistant à la concurrence internationale à laquelle les centres E.Leclerc et les autres géants de la distribution ne manquent pas de faire appel pour que « cela reste accessible ! »
La guerre des prix du bio a déjà commencé (source)
Notons incidemment le caractère dénigrant, voire insultant pour l'agriculture française, d'« une nutrition plus sécurisée et de meilleure qualité ». Jamais notre alimentation n'a été aussi sûre. Et pour la qualité, n'est-ce pas celle que les distributeurs comme les centres E.Leclerc mettent à disposition et que les clients achètent par obligation (quand il n'y a guère de choix ou que le porte-monnaie est plat) ou par choix ? Mais l'important n'est-il pas de dédouaner le secteur de la distribution en blâmant l'amont et lui intimant de s'améliorer ?
C'est sur cette base que M. Michel-Édouard Leclerc :
« souhaite qu’il [...] ressorte [des États Généraux de l'Alimentation] une impulsion collective à même de refonder notre modèle agroalimentaire. »
Quelle sera la contribution de la grande distribution à cet exercice de refondation ? On la cherche dans sa tribune !
« Pour que puissent se développer des narrations individuelles créatrices de valeur (telles que savent les écrire les grandes marques de l’agroalimentaire), il faut qu’émerge un récit collectif qui serve de cadre de référence. C’est tout l’enjeu de ces Etats généraux, qui ne doivent pas être seulement agricoles, mais bien alimentaires. »
L'homélie est belle. Et sentencieuse :
« S'ils se bornent à n'être qu'un affrontement entre corporations, ce sera encore un échec. »
Elle est même trop !
« Les producteurs ont besoin de la confiance générée par les enseignes pour assurer leurs débouchés. »
Voilà qui est dit... alors qu'ailleurs on chante l'ode de la vente directe, des AMAPs... Et cela se poursuit :
« Mais chaque acteur économique doit apporter sa pierre à l'édifice et répondre aux questions qui le concernent : ferme de mille vaches ou exploitations familiales ? Élevage en plein air ou poulailler ? Race laitière ou allaitante ? Protectionnisme ou exportations ? Prix libres ou subventionnés ? Que veulent les producteurs eux-mêmes ? Et dans quel cadre de solidarité ou de concurrence ? [...] »
Cette petite litanie d'alternatives et de faux dilemmes, uniquement centrée sur le premier échelon de l'agroalimentaire est significative des difficultés à venir : il ne faudra guère compter sur la bonne volonté de la grande distribution, qu'elle soit généraliste ou spécialisée dans le bio (voir l'agressive défense de son bizness par M. Claude Gruffat et Biocoop).
Mais on concédera à M. Michel-Édouard Leclerc qu'il a mis le doigt sur une question fondamentale :
« Payer plus cher ? Pourquoi pas, mais pour quoi ? L'élection présidentielle crée l'opportunité du changement, mais n'a pas boosté le pouvoir d'achat. Il va falloir de la pédagogie, une démarche collective. »
C'est dit par un des participants les plus agressifs dans la course au moins cher...
Et on ne voit pas dans cette tribune l'ombre d'un soupçon de commencement de début de pédagogie et de démarche collective.
Au fond, pour M. Michel-Édouard Leclerc, c'est : « Pas question de toucher à mon blé ! »
En France, 4 millions de personnes ont recours chaque année à l’aide alimentaire. On estime à six millions les adultes victimes d’« insécurité alimentaire », qui, selon la définition de l'ONU n'ont pas accès à une nourriture suffisante sûre et nutritive.