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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Le Monde : « Le bisphénol A considéré "extrêmement préoccupant" par l’Europe » – petite balade dans la médiacratie française

20 Juin 2017 , Rédigé par Seppi Publié dans #critique de l'information, #Santé publique

Le Monde : « Le bisphénol A considéré "extrêmement préoccupant" par l’Europe » – petite balade dans la médiacratie française

 

 

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ECHA : un communicant irresponsable ?

 

Le 16 juin 2017, l'Agence Européenne des Produits Chimiques (ECHA) a publié un communiqué de presse intitulé « MSC unanimously agrees that Bisphenol A is an endocrine disruptor » (le Comité des Etats membres convient à l'unanimité que le bisphénol A est un perturbateur endocrinien).

 

La véritable information – pas la gesticulation destinée à attirer l'attention – est que le Comité des Etats membres a décidé d'identifier deux substances comme « extrêmement préoccupantes » selon la terminologie et en application de la législation REACh :

 

  • le bisphénol A en raison de ses propriétés de perturbation endocrinienne pour la santé humaine ;

     

  • l'acide sulfonique de perfluorohexane et ses sels en raison de leurs propriétés de persistance et de bioaccumulation importantes.

 

La décision relative au bisphénol A revêt une importance doublement symbolique : c'est la première invocation de la perturbation endocrinienne ; et ça ne change rien à la situation, le BPA ayant déjà été identifié comme substance extrêmement préoccupante en raison de ses propriétés de toxique pour la reproduction.

 

Malgré ce titre putassier, l'information n'a, semble-t-il, pas intéressé les médias européens. Nous n'avons guère trouvé qu'un article du Guardian, « EU moves to restrict hormone-disrupting chemical found in plastics » (l'UE s'engage à restreindre une substance chimique perturbatrice endocrinienne trouvée dans les plastiques). Ça va vite en besogne, et ça fait l'article pour des « ONG » environnementalistes.

 

Pas d'intérêt... sauf en France. Il faut dire que la proposition de classement vient de la France et concrétise ce que l'on peut bien considérer comme un activisme politique.

 

Et l'information tombe à pic ! Les Etats membres doivent très prochainement, début juillet, se prononcer sur le projet de la Commission Européenne de « définition » des perturbateurs endocriniens. Et les militants associatifs et médiatiques – le Monde a encore produit une série d'articles plus que suggestifs – s'interrogent sur la position que prendra la France du nouveau quinquennat et s'agitent pour l'influencer.

 

Petite revue de presse, donc, avant d'aborder la communication officielle.

 

 

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Au Monde des deux Stéphane

 

Pas trop mal, mais auraient pu mieux faire

 

Stéphane (Horel) et Stéphane (Foucart) – dans cet ordre, mais le deuxième bénéficiant du gras sur la toile – ont produit « Le bisphénol A considéré "extrêmement préoccupant" par l’Europe ».

 

En bref, les Etats membres de l'Union Européenne réunis au sein du Comité des Etats Membres de l’Agence Européenne des Produits Chimiques (ECHA) ont décidé d'inscrire le bisphénol A (BPA) sur la liste des « substances extrêmement préoccupantes » (substances of very high concern, SVHC) « en raison de ses propriétés de perturbation endocrinienne qui provoquent des effets graves probables sur la santé humaine ».

 

Stéphane et Stéphane ont choisi de citer le corps du communiqué de presse plutôt que le résumé, et donc d'ajouter : « ...soulevant un niveau équivalent de préoccupation aux substances cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques ».

 

Cet article serait presque parfait si les auteurs avaient précisé que le bisphénol A était déjà inscrit depuis le 12 janvier 2017 sur la « liste des substances extrêmement préoccupantes candidates en vue d'une autorisation » en tant que reprotoxique.

 

 

La source primaire vaut mieux que la secondaire

 

Les auteurs reprennent des informations du site de l'ANSES – qui n'est pas exempt de reproches et semble livrer une bataille « personnelle ». Le titre de son communiqué, « Le bisphénol A reconnu pour ses propriétés de perturbation endocrinienne par l’ECHA sur proposition française » nous interpelle : « reconnu » n'a-t-il pas une connotation positive, flatteuse ? Quoi qu'il en soit, les auteurs du Monde écrivent donc :

 

« "Cette décision aura pour conséquence une obligation pour l’industrie de notifier à l’ECHA la présence de la substance dans les articles fabriqués ou importés et d’informer l’acquéreur d’un article de la présence de BPA, précise l’Anses dans un communiqué. Elle ouvre également la possibilité que le BPA soit soumis à autorisation en tant que substance, conditionnant ses usages à l’octroi d’une autorisation temporaire et renouvelable." »

 

Et s'ils s'étaient référés à l'ECHA (à défaut de plonger dans le labyrinthe législatif) ? En fait, l'obligation de notification est soumise à conditions. Selon l'ECHA :

 

« Les producteurs et les importateurs doivent notifier à l'ECHA les substances énumérées dans la liste des substances candidates qui sont présentes dans leurs articles si les deux conditions suivantes sont réunies :

 

  • La substance est présente dans les articles concernés dans une concentration poids/poids supérieure à 0,1 %.

     

  • La substance est présente dans ces articles dans des quantités atteignant au total plus d'une tonne par an.

 

Les entreprises doivent procéder à la notification dans un délai de moins de six mois après l'inclusion de la substance dans la liste candidate. »

 

Et il y a une exception importante :

 

« Le producteur ou importateur d'un article peut exclure l'exposition des hommes ou de l'environnement à la substance dans des conditions normales et raisonnablement prévisibles d'utilisation de l'article, y compris son élimination. Dans de tels cas, les producteurs et importateurs fourniront des instructions appropriées au destinataire de l'article. »

 

 

Danger v. risque : plutôt un bon point pour le Monde

 

Mais Stéphane et Stéphane ont eu la bonne idée de terminer leur article sur « Le danger… et le risque ». Il y a une petite explication – bienvenue compte tenu des polémiques sur les perturbateurs endocriniens –, mais elle suit une petite phrase anxiogène, qui suit une autre plus rassurante :

 

« Depuis, des études de biosurveillance suggèrent une baisse de l’exposition de la population française. Cependant, le BPA est ubiquitaire – omniprésent : il demeure détectable chez environ 95 % de la population des pays occidentaux. Cependant, la classification du BPA comme "extrêmement préoccupante" ne concerne que le danger que représente cette substance en soi ; elle ne se prononce en rien sur les risques encourus par la population aux niveaux actuels d’exposition. »

 

 

ANSES c. EFSA

 

La question est aussi abordée sous l'angle d'un différend allégué entre notre ANSES nationale et l'EFSA :

 

« Cette question est toujours au centre d’un désaccord entre l’Anses et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). La première a estimé, dès 2013, que le risque existe (notamment pour le cancer du sein), tandis que l’EFSA considère le risque inexistant pour la population générale. »

 

C'est subtilement elliptique. Voici un exemple de ce que dit l'EFSA (en attendant de nouvelles études) :

 

« L’évaluation la plus récente par l’EFSA de l’exposition au BPA et de sa toxicité conclut que le BPA ne présente pas de risque pour les consommateurs de tous groupes d’âge (y compris les enfants à naître, les nourrissons et les adolescents) aux niveaux actuels d’exposition. »

 

Une explication plus détaillée figure ici.

 

La Food and Drug Administration (FDA) états-unienne dit aussi que le bisphénol A est sûr aux niveaux d'exposition actuels par l'alimentation.

 

Et l'ECHA prévient d'une manière plus générale :

 

« Le fait qu'un article contient un SVHC ne signifie pas nécessairement que les consommateurs sont exposés à la lubstance ou qu'il y a ubn risque pour les consommateurs. »

 

 

Le Huffington Post

 

Lit-il dans la boule de cristal ?...

 

On aura en tout cas évité le pire dans le Monde... Dans le Huffington Post, « Le bisphénol A est maintenant classé comme substance "extrêmement préoccupante" », par exemple, la journaliste semble rivaliser avec elle-même dans un concours de bêtises.

 

Entrée en matière – le sous-titre (avec le point d'interrogation journalistique de rigueur) :

 

« Bientôt aux oubliettes de l'Union européenne? »

 

Et, plus loin :

 

« C'est au titre de ses propriétés de "perturbateur endocrinien" qu'il figure désormais parmi les molécules à éviter soigneusement dans le cadre du règlement européen Reach. »

 

Et pourtant, la conséquence de la décision est expliquée dans la phrase suivante :

 

« Cette décision aura pour conséquence une obligation pour l'industrie de notifier à l'Echa la présence de la substance dans les articles fabriqués ou importés et d'informer l'acquéreur d'un article de la présence de BPA. »

 

 

...il apporte en tout cas une information

 

Mais n'accablons pas le journal. Voici une information – omise dans le Monde... tiens, pourquoi donc ?

 

« Sujet à controverse

 

L'interdiction du BPA est encore un sujet de débat entre les scientifiques. Certains experts considèrent que le BPA figure parmi les perturbateurs endocriniens les moins dangereux, contrairement à leurs équivalents S ou F qui n'ont pas encore été testés et que les industriels utilisent en remplacement du A.

 

La revue de vulgarisation scientifique Science Mag rappelle qu'aucune des 161 études portant sur le BPA réalisées avant 2014 n'ont démontré des effets à petite dose. Par ailleurs, chimiquement, il a été établi que le BPA ne pouvait se répandre dans l'alimentation que s'il était au contact d'une canette ou d'une boîte de conserve ou si le plastique qui le contient était chauffé. »

 

Oui, c'est un sujet à controverses, un sujet loin d'être clos.

 

 

L'Obs

 

Titre accrocheur, « L’Europe reconnaît le danger d’un perturbateur endocrinien, le bisphénol A. Une première », comme il se doit. C'est de M. Arnaud Gonzague, un journaliste qui nous semble avoir du mal à faire le tri entre information et militantisme.

 

Chapô vague et trompeur :

 

« Le bisphénol A est qualifié de "substance très préoccupante" par une agence européenne. C’est la première fois qu’un produit est reconnu comme dangereux pour le système hormonal humain. »

 

Quelle agence ? Et la première fois, ce n'est vrai que pour l'ECHA et le classement en SVHC.

 

Et le militant jubile :

 

« Traduisez : "très préoccupante". Traduisez surtout : une substance que les Etats membres vont interdire. »

Et, plus loin, l'inévitable « suspectées » :

 

« Il n’est certes pas le seul dans ce cas : des milliers de substances chimiques, partout dans notre environnement, sont suspectées de jouer le rôle de perturbateurs. »

 

L'imagination est fertile, les rêves sont éveillés... et les lecteurs intoxiqués.

 

« Surtout, l’avis de l’Echa ouvre une ère politique nouvelle au sein de l’Union européenne. Celle d’une définition officielle de ce que sont les critères scientifiques pour reconnaître un perturbateur endocrinien – et donc, en limiter voire en interdire l’usage. »

 

Cette « définition officielle » nous mène tout droit vers un autre couplet militant : le poids des lobbies à Bruxelles :

 

« En effet, aussi étrange que cela puisse paraître, la définition des perturbateurs n’existe pas dans l’UE. Non parce qu’elle est très compliquée à donner sur le plan scientifique – des milliers d’études documentent les effets de ces produits cancérogènes, mutagènes (qui attaquent le génome) et reprotoxiques (qui réduisent la fertilité). Mais parce que derrière les efforts pour empêcher la Commission de Bruxelles de réglementer, agissent de puissants lobbys. Ceux de l’agro-industrie d’abord (la plupart des pesticides ayant un rôle perturbateur), ceux de l’industrie du plastique ensuite dont (sic).

 

Malgré la résistance des ONG environnementales, les lobbys poussent la Commission à promulguer un texte inapplicable dans les faits, comme l’expliquait à "l'Obs" la journaliste Stéphane Horel. »

 

On finira peut-être par avoir un jour (rêvons...) des journalistes, des vrais, qui n'analysent pas les événements sur le mode binaire – les méchants « lobbies » de l'industrie, empêcheurs de tourner en rond, et les gentilles « ONG », chevaliers blancs volant au secours de l'environnement (en priorité) et des populations (secondairement).

 

Des journalistes qui se rendent compte du ridicule qu'il y a à gloser sur la toute-puissance des « lobbies » à propos d'une décision (des Etats membres au sein de l'ECHA) qui s'interprète (selon le mode binaire) comme une lourde défaite pour lesdits « lobbies ».

 

Et aussi des journalistes qui comprennent un peu du fonctionnement de l'Union Européenne et expliquent qu'en l'occurrence, ce sont les Etats membres qui doivent légiférer pour une partie du dossier.

 

Et cela se poursuit avec les accusations habituelles :

 

« Jusqu’ici, les intérêts économiques avaient toujours surpassé les préoccupations sanitaires, mais c’est peut-être (soyons optimistes) de l’histoire ancienne. En tout cas, pour l’Anses qui ferraille depuis 2010 pour faire reconnaître auprès des instances européennes la dangerosité du bisphénol A, l’avis de l’Echa a un vrai goût de victoire. Dominique Gombert :

 

"C’est une grande satisfaction de voir nos travaux obtenir de la reconnaissance dans toute l’Europe. Nos positions sur le bisphénol A étaient jusqu’ici jugées 'atypiques' par les grandes agences européennes."

 

Atypiques... Ou disons plutôt, ennuyeuses pour le business. L’Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa), basée à Parme (Italie), s'est notamment montrée très, très poreuse aux "arguments" - comprendre aux pressions – déployés par les industriels. Au point de publier en novembre 2016 une étude commandée par eux et qui ressemble diablement à un écran de fumée destiné à embrouiller les débats scientifiques pour empêcher toute réglementation, comme l’ont dénoncé dans la presse un groupe de scientifiques. »

 

C'est grave que d'écrire que « les intérêts économiques avaient toujours surpassé les préoccupations sanitaires ». Et d'accuser ainsi l'EFSA.

 

Du reste, la dernière analyse de l'EFSA sur le bisphénol A date d'octobre 2016 – et non novembre – et elle a été réalisée à la demande du ministère néerlandais de la santé, du bien-être et des sports. Et pour les perturbateurs endocriniens en général, l'EFSA a produit une opinion en mars 2013 et participe à des travaux en cours. Quant aux «industriels » qui commandent des écrans de fumée – ou même d'honnêtes documents – à l'EFSA (voir ici, article 29)...

 

 

L'AFP fait parler une lobbyiste... oups... une militante

 

Science et Avenir et d'autres ont repris la dépêche de l'AFP. Un bon texte. Notons qu'il signale – par lobbyiste de l'« ONG de défense de l'environnement ClientEarth » interposée – que l'industrie des plastiques – « les lobbies du plastique » selon Mme Alice Bernard – avaient attaqué la première décision de classer le bisphénol A « substance extrêmement préoccupante » en raison de sa reprotoxicité et qu'on peut s'attendre à une nouvelle action en justice.

 

 

Le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire...ten points

 

« Le ministère de la Transition écologique et solidaire se félicite de cette décision du comité des Etats membres de l'ECHA, qui reconnaît ainsi pour la première fois le caractère préoccupant d’une substance au titre de ses propriétés de perturbation endocrinienne pour la santé. Cela permettra de protéger plus efficacement l’environnement, les travailleurs et la population. »

 

Nous sommes de ceux qui pensent : « les gens d'abord ».

 

Le ministère écrit aussi :

 

« Cette décision enclenche également un processus du règlement REACH qui permettra à terme d’interdire la mise sur le marché et l’utilisation, au niveau européen, du bisphénol A dans les produits pouvant exposer les travailleurs et les consommateurs à cette substance. »

 

Ce n'est pas exact ! Le processus allégué a été déclenché par la décision de classer le bisphénol A comme « extrêmement préoccupant » sur la base de sa reprotoxicité.

 

C'est aussi écrit de manière quelque peu péremptoire et ce n'est pas entièrement exact. L'étape suivante serait d'inscrire le bisphénol A sur le liste des substances soumises à autorisation.

 

Voici un propos de l'ECHA que le Figaro met en exergue dans un excellent article, « Bisphénol A : l’Europe y voit une "substance extrêmement préoccupante" »

 

« Il ne s’agit pas de bannir la substance mais de proposer des méthodes sûres d’utilisation qui donneront le temps à l’industrie de trouver des produits de remplacement. »

 

« Interdire »... ce serait en toute rationalité si – et seulement si – les expositions entraînent des risques inacceptables ou évitables ; et si les produits de substitution ont un profil meilleur – et non pire comme cela semble être le cas des bisphénol F et S.

 

 

Ohé du gouvernement !

 

Il y a une transition culturelle et politique à mettre en œuvre dans ce ministère qui doit cesser d'être celui des interdictions et un casse-pieds !

 

Et pendant que nous y sommes : l'expression « substances extrêmement préoccupantes » est – à l'ère de la médiasphère débridée et des réseaux dits sociaux déjantés... extrêmement préoccupante. Il importe, à l'avenir, de mesurer le poids des mots à l'aune, non pas de leur sens réel (enfin, quand on prend la peine de peser ses mots), mais des dérapages sémantiques et socio-politiques qu'ils peuvent susciter.

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U
Un facteur de sécurité de 150 !<br /> CEF Panel applied a total uncertainty factor of 150 ... to establish a temporary Tolerable Daily Intake (t-TDI) of 4 µg/kg bw per day. By comparing this t-TDI <br /> with the exposure estimates, the CEF Panel concluded that there is no health concern for any age group from <br /> dietary exposure and low health concern from aggregated exposure.<br /> http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.2903/j.efsa.2015.3978/epdf
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S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour le commentaire.<br /> <br /> C'est normalement un facteur100.<br /> <br /> Mais je suppose – je ne vais pas attendre que ma connexion veuille me laisser accéder à plus de 1000 pages – que cela leur aura permis de conclure qu'il n'y a pas de risques pour tous les éléments de la population.<br />