Glyphosate : le complot du CIRC en partie dévoilé par Reuters – faisons le reste !
L'agence Reuters a eu accès à la déposition de M. Aaron Blair, retraité du National Cancer Institute et président du Groupe de Travail du CIRC qui a classé le glyphosate en cancérogène probable, faite dans le cadre d'une action collective pendante devant un tribunal de Californie (action qui est à l'origine des « Monsanto Papers »).
Son témoignage est dévastateur : il savait qu'il y avait des données issues de la vaste étude d'une cohorte d'agriculteurs et de leurs conjoints, l'Agriculture Health Study, dont il a été en partie l'auteur et qui, si elles avaient été prises en compte, auraient produit un classement différent, moins préoccupant, du glyphosate.
Il a donc présidé à un classement qu'il savait pertinemment faux, avec des effets considérables.
Côté états-unien, les explications données pour la non-publication de ces résultats ne sont pas convaincantes.
Côté CIRC, ce qui est en cause est une politique alléguée qui consiste à ne tenir compte que d'études qui sont dans le domaine public.
Mais nous constatons qu'il y a eu des exceptions. Conclusion : on nous ment !
Lorsqu'on met bout à bout les éléments du dossier, il y a de quoi échafauder une théorie du complot fort attractive.
Ajout du 18 juin 2017 : L'USRTK vient de mettre en ligne la déposition de M. Aaron Blair à :
https://usrtk.org/wp-content/uploads/2017/06/Dr.-Aaron-Blair-03.20.2017_Redacted.pdf
Ce serait plutôt la guerre contre la manipulation, la triche...
Il y a les « Monsanto Papers », ces pièces du dossier d'une action en justice intentée nominalement par des victimes alléguées du glyphosate, ayant contracté un lymphome non-hodgkinien, en réalité par l'US Right to Know avec le concours de cabinets d'avocats à la recherche d'un gros coup. Des « Papers » postés sur l'Internet avec diligence quand ils ne sont pas classés confidentiels, et exploités à outrance dans une campagne de relations publiques dont la matérialité n'a pas échappé au juge Vince Chhabria (nous y reviendrons). En France, c'est le Monde de Stéphane Foucart et Stéphane Horel – et même du rédacteur en chef Jérôme Fenoglio – qui s'est chargé de la propagande. Intérêt : faire obstruction à la ré-autorisation du glyphosate en Europe.
Il y a les « Monsanto Papers »... et il y a des papers pour lesquels les avocats des plaignants n'ont pas demandé la levée de la confidentialité... et pour cause !
Comme nous l'avons relevé dans un billet précédent, Monsanto s'est aussi lancé dans une pêche aux preuves – en l'occurrence que la décision du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) de classer le glyphosate en « cancérogène probable » est entachée d'irrégularités et par conséquent nulle. La firme a obtenu l'audition de M. Aaron Blair, retraité du National Cancer Institute et président du Groupe de Travail du CIRC (il était déjà retraité à l'époque).
L'Agence Reuters a eu accès à sa déposition et vient de publier, le 14 juin 2017, « Special Report: Cancer agency left in the dark over glyphosate evidence » (rapport spécial : l'Agence du cancer laissée dans le noir sur des preuves pour le glyphosate).
Ce rapport est vraiment spécial : il est dévastateur pour le CIRC et certaines institutions états-uniennes, au premier rang le National Cancer Institute. Voici le début :
« Lorsque Aaron Blair s'est assis pour présider une réunion d'une semaine de 17 spécialistes à l'Agence Internationale de Recherche sur le Cancer en France, en mars 2015, il y avait une chose qu'il ne leur a pas dite.
L'épidémiologiste de l'Institut National du Cancer des États-Unis avait vu d'importantes données scientifiques non publiées directement liées à une question clé que les spécialistes du CIRC devaient examiner : si la recherche montre que l'herbicide glyphosate, un ingrédient clé de la marque RoundUp la plus vendue de Monsanto, provoque le cancer.
Des documents judiciaires précédemment non signalés examinés par Reuters à partir d'une affaire judiciaire américaine en cours contre Monsanto montrent que Blair savait que la recherche non publiée n'avait révélé aucun lien entre le glyphosate et le cancer. Dans une déposition sous serment faite en mars de cette année dans le cadre de l'affaire, Blair a également déclaré que les données auraient modifié l'analyse du CIRC. Il a dit qu'il aurait été moins probable que le glyphosate réponde aux critères de l'agence pour être classé comme "probablement cancérogène ". »
Ces données proviennent de l'Agricultural Health Study – une étude de cohorte (similaire à Agrican en France) qui suit 89.000 agriculteurs et leurs conjoint de l'Iowa et de la Caroline du Nord depuis 1993. Un des maîtres d'œuvre en a été... M. Aaron Blair.
Le rapport de Reuters se fait plutôt détaillé sur la non-publication de ces données – qui étaient disponibles selon M. Blair deux ans avant que le CIRC n'ait évalué le glyphosate. M. Blair – ainsi que le NCI – invoquent des « contraintes d'espace » pour un article cosigné par... M. Aaron Blair.
Cet article, sauf erreur, c'est « Non-Hodgkin Lymphoma Risk and Insecticide, Fungicide and Fumigant Use in the Agricultural Health Study » (risque de lymphome non-hodgkinien et utilisation d'insecticides, de fongicides et de fumigants dans l'étude sur la santé en agriculture) de Michael C. R. Alavanja et al. La théorie donc : article trop long... on l'ampute des résultats liés aux herbicides.
Notons que cet article est cité et décrit dans la monographie du diazinon, produite par le même groupe de travail sous la présidence de M. Blair ; notons aussi que les données brutes n'ont pas été rendues disponibles selon un commentaire de la rédaction de PloSOne, et que cela n'a pas empêché le CIRC de tenir compte de l'étude – une situation à comparer avec le motif invoqué par le CIRC en mars 2016 pour ne pas tenir compte de certaines études de l'industrie.
Synthèse des méta-analyses réalisées sur le risque de cancer en milieu agricole par Aaron Blair en 1992 (en rouge) et John Acquavella en 1998 (en rose) (source)
Exemple de lecture : l’étude Blair a trouvé que la prévalence des lymphomes non hodgkiniens est supérieure de 3 % chez les agriculteurs par rapport à la population générale
Interrogé par les avocats de Monsanto, M. Blair a répondu : « Absolument incorrect », à la question de savoir si la décision de ne pas publier les résultats sur le glyphosate avait été prise délibérément pour éviter que le CIRC en tienne compte. La décision a été prise « plusieurs mois avant » que le CIRC ne décide d'évaluer le glyphosate.
Notre conclusion sous forme interrogative : et pourquoi ces données n'ont-elles pas été publiées séparément, dans l'intervalle ? On peut tourner les choses dans tous les sens : les explications ne sont pas convaincantes (à commencer par l'argument de la longueur).
Reuters écrit aussi :
« Le 28 février 2014, Michael Alavanja, co-auteur principal d'un des projets d'articles, a envoyé un courriel à un autre co-chercheur de l'AHS, en copiant le message à Blair. Il a noté que la recherche était "importante pour la science, la santé publique, le CIRC et l'EPA" – l'Agence de Protection de l'Environnement des États-Unis.
Dans le même courriel, Alavanja a fait référence aux résultats sur le lymphome non-Hodgkinien, le LNH. Il a écrit: "Ce serait irresponsable que de ne pas chercher à publier notre manuscrit sur le LNH à temps pour influencer la décision du CIRC". »
L'évaluation du CIRC aurait-elle été différente si on avait tenu compte de ces données ? Au tribunal, M. Blair a répondu : « Exact ». L'adjonction de ces données aurait-elle « entraîné le risque méta-relatif vers le bas » ? M. Blair en est convenu.
Du côté du CIRC, la réponse est d'une remarquable constance :
« Le CIRC a déclaré à Reuters que ses évaluations suivent des critères scientifiques stricts et que son système de classification cancérogène "est reconnu et utilisé comme référence partout dans le monde". Il a réaffirmé que, dans l'intérêt de la transparence, il ne considère que les données publiées. »
Nous avons anticipé plus haut : l'étude d'Alavanja et al. amputée des résultats sur les herbicides, utilisée pour la monographie du diazinon malgré la non-publication des données...
Cette réponse est, dans le cas particulier comme dans le cas général, d'une extraordinaire irresponsabilité. Elle implique en effet, que le CIRC privilégie la « transparence » au détriment, le cas échéant, de la pertinence et de l'exactitude.
Et c'est le cas pour le glyphosate ; de manière grotesque puisque le président du Groupe de Travail – au moins – savait pertinemment que l'exercice était vicié.
Voici ce qu'a écrit le CIRC dans son communiqué de presse du 31 mai 2011 « Le CIRC classe les champs électromagnetiques de radiofréquences comme "peut-être cancérogenes pour l’homme" » :
« Le Groupe de Travail a pris en compte des centaines d’articles scientifiques ; la liste complète sera publiée dans la Monographie. Il faut noter que plusieurs articles scientifiques récents issus de l’étude Interphone et non encore publiés, mais acceptés pour publication, ont été mis à disposition du Groupe de Travail peu avant la réunion, et inclus dans l’évaluation. »
Pour mémoire, ce sont des articles qui ont permis le classement en « peut-être cancérogènes pour l'homme ». Et, ce n'est pas anodin, c'est aussi un cas où l'OMS – la maison-mère du CIRC – a contredit le CIRC.
Le CIRC fait maintenant aussi signer des engagements de confidentialité. C'est certes le style marteau-pilon pour écraser une mouche typique de certains juristes. Mais que signifie : « ...information et documentation (sous quelque format que ce soit) que le CIRC/OMS considère comme sa propriété [proprietary] ou la propriété de parties collaborant avec lui » ?
Un exemple d'engagement de confidentialité.
Constance ? Plutôt de l'obstination qu'on ne peut expliquer simplement que par un agenda socio-politique. Reuters écrit aussi :
« Le CIRC a dit à Reuters que, malgré l'existence de nouvelles données sur le glyphosate, il s'en tient à ses conclusions. »
Il est des petits détails qui ne sont pas sans signification. La page annonçant les réunions à venir ne contient plus la note finale : « En outre, le CIRC est susceptible de prévoir d'autres agents à évaluer en réponse à des informations scientifiques nouvelles ou un besoin urgent de santé publique. »
Escalade d'engagement ou volonté délibérée (non dite, cela va de soi) de saboter le renouvellement de l'autorisation du glyphosate en Europe (aux États-Unis, la donne a changé avec l'élection de M. Donald Trump) ?
Mettons une série d'éléments bout à bout, en partant de loin.
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En 2013, le CIRC a accueilli M. Christopher Portier – à l'époque déjà lobbyiste pour l'Environemental Defense Fund, un fait connu du CIRC – comme visiting scientist, chercheur invité, à la Section des Monographies, chez M. Kurt Straif.
Le CV de M. Christopher Portier sur le site du CIRC.
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En 2014, du 7 au 9 avril, quelques jours seulement après la fin de son séjour, M. Portier a repris un chapeau de délégué et a présidé le comité consultatif chargé de recommander des priorités pour les monographies du CIRC pour la période 2015-2019. Le CIRC n'a pas déclaré sa situation de salarié de l'ONG activiste EDF.
Voici comment est décrit M. Christopher Portier dans la liste des participants.
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Ce comité consultatif attribue une priorité moyenne au glyphosate. Et pourtant, le glyphosate est immédiatement pris en main.
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Le 20 mars 2015, alors que la monographie n'est pas prête, le CIRC annonce son classement en « cancérogène probable ». Il omet soigneusement d'expliquer le sens de ce classement (comparez ce communiqué de presse avec celui sur les champs électromagnétiques de radiofréquences ; ou celui sur la viande rouge et la viande transformée, et la FAQ associée).
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Armé de ce classement, M. Christopher Portier se fait le VRP de l'interdiction du glyphosate en Europe. Des agents du CIRC participent aussi, à un degré moindre à cette campagne. En tout cas, c'est service minimum sinon absent pour l'explication.
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Les manœuvres sont fructueuses : la Commission Européenne demande à l'EFSA de revoir sa copie, ce qui suspend la procédure de ré-autorisation à Bruxelles. L'EFSA la rend (un travail auquel les experts des États membres ont été associés) le 12 novembre 2015. Et la moitié du groupe de travail du CIRC signe une lettre, datée du 27 novembre 2015, demandant à M. Jean-Claude Juncker, Président de la Commission Européenne, de mettre l'évaluation de l'EFSA au panier.
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De manière remarquable, le CIRC ne fait aucun effort pour expliquer le sens à donner au classement. Il lui faut quasiment un an pour produire un Q&A, le 1er mars 2016. Mais ce document n'aborde pas la vraie question en détail, comme il l'a fait en d'autres occasions. En outre, il n'est pas traduit en français... toujours autant de lecteurs en moins.
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En résumé, il s'est agi pour le CIRC de se dédouaner tout en laissant la polémique issue de son classement prospérer. Ce Q&A contribue même à l'activisme anti-glyphosate avec sa fiction sur la nature des études prises en compte et, de manière sournoise, sa référence à l'indépendance :
« Beaucoup d'agences de régulation se fondent essentiellement sur les données d'études toxicologiques de l'industrie qui ne sont pas dans le domaine public. En revanche, le CIRC rassemble systématiquement et évalue toutes les preuves pertinentes disponibles dans le domaine public pour un examen scientifique indépendant. »
On peut ajouter les manœuvres aux États-Unis. On peut certes penser qu'il y a eu des manœuvres pour y faire échouer aussi la procédure de ré-autorisation, mais il faut aussi prendre conscience du fait que si le glyphosate est ré-autorisé aux États-Unis et interdit en Europe, l'agriculture et l'économie européennes subiront ont important déficit de compétitivité.
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Les données de l'AHS sur le glyphosate ne sont pas publiées pendant plusieurs années, comme on vient de le voir.
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Les travaux de l'EPA sur la ré-autorisation du glyphosate, censés se terminer en 2015, avancent à un train de sénateur. Au point que la Commission de la Science, de l'Espace et de la Technologie de la Chambre des Représentants s'en est émue (voir notamment ici).
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En particulier, le vendredi 29 avril 2016, l'EPA a mis en ligne une série de documents, dont un « rapport final » – daté du 1er octobre 2015 (sept mois plus tôt...) de la Commission d'Examen de l'Évaluation du Cancer (Cancer Assessment Review Committee – CARC). Les documents ont été retirés du site le lundi 2 mai 2016, après une intervention de... M. Christopher Portier. Qu'en a dit M. Lamar Smith, président de la Commission précitée ?
« De plus, les documents […] montrent que Portier a contacté l'Administrateur assistant Jones quand apparurent les nouvelles sur le rapport fuité du CARC. […] Compte tenu des efforts manifestes de Portier pour utiliser le CIRC pour influencer les décisions politiques globales et pour discréditer l'étude de l'EFSA sur le glyphosate, il est raisonnable de penser que l'Administrateur assistant Jones a agi pour l'aider, lui et le CIRC, en minorant publiquement l'analyse scientifique menée par l'EPA. »
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Le CIRC a tenté de s'opposer à la communication de pièces du dossier dans le cadre de l'action de groupe pendante devant le juge Vince Chhabria en Californie (voir sous « Le CIRC "bétonne" et ment »). Des choses à cacher... Voir aussi ici.
Ajoutons pour terminer cette appréciation du statisticien Robert Tarone dans « On the International Agency for Research on Cancer classification of glyphosate as a probable human carcinogen » :
« Nous démontrons que la classification du glyphosate comme cancérogène probable pour l'homme a été le résultat d'un résumé biaisé et incomplet des preuves expérimentales évalué par le groupe de travail. »
Tout cela ferait un excellent sujet pour le Monde Planète Complot... on attendra sans nul doute en vain. Son truc, c'est plutôt : « Sécurité alimentaire : l’agence européenne minée par les conflits d’intérêts, selon une ONG »