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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Ce que ne révèle pas l'« enquête » du Monde sur les Monsanto Papers (première partie) : l'Institut Ramazzini et l'étrange M. Watts

13 Juin 2017 , Rédigé par Seppi Publié dans #critique de l'information, #Monsanto, #Glyphosate (Roundup)

Ce que ne révèle pas l'« enquête » du Monde sur les Monsanto Papers (première partie) : l'Institut Ramazzini et l'étrange M. Watts

 

 

Résultat de recherche d'images pour "fake news" Comment donner du corps à une « enquête » ? Les éléments que nous traitons dans cette partie et la suivante n'ont rien à voir avec Monsanto et les Monsanto Papers. Mais ça s'insère bien dans le récit et la thèse du complot.

 

L'Institut Ramazzini serait un « un célèbre organisme de recherche indépendant et respecté sur le cancer ». Il ne peut que mériter un tel éloge dans le Monde : il trouve des résultats « positifs » là où d'autres laboratoires concluent à une absence de risque. En réalité, il est très controversé.

 

Il fait indirectement l'objet d'une enquête aux États-Unis d'Amérique... cela suffit, pour le Monde de M. Stéphane Foucart et Mme Stéphane Horel pour embellir leur « enquête ».

 

« L'étrange M. Watts » a traîné ses guêtres dans l'événement organisé par le CIRC à l'occasion de son 50e anniversaire et les Journées annuelles Ramazzini ? Mais c'est bon pour le récit !

 

 

Résultat de recherche d'images pour "monsanto guerre contre la science" Nous étions supposés avoir, du Monde de M. Stéphane Foucart et Mme Stéphane Horel, une enquête en deux volets sur les agissements (allégués) de Monsanto, supposément « révélés » par les « Monsanto Papers ». Nous avons eu une leçon magistrale – faisons ce « compliment » aux deux auteurs – sur l'art d'accommoder des faits en une fiction a priori convaincante.

 

La fiction qui nous intéresse ce jour se trouve dans la première partie, intitulée « "Monsanto papers" : la guerre du géant des pesticides contre la science » sur la toile (c'est daté du 1er juin 2017 – texte complet ici) et « Opération intoxication » dans la version papier (datée du 2 juin 2017). Rappelons que selon le chapô (sur la toile),

 

« Pour sauver le glyphosate, la firme américaine a entrepris de détruire par tous les moyens l’agence des Nations unies contre le cancer. Premier volet de notre enquête. »

 

 

L'Institut Ramazzini, « un célèbre organisme de recherche indépendant et respecté sur le cancer » (le Monde)

Dans cette fiction, il ne s'agit pas de Monsanto : aucun lien n'est allégué, et encore moins démontré. Il ne s'agit pas non plus du CIRC, mais de l'Institut Ramazzini, une fondation privée de recherche en cancérologie environnementale à Bologne en Italie, de son Centre de Recherche sur le Cancer Cesare Maltoni di Bentivoglio, et de la directrice d'icelui, Mme Fiorella Belpoggi.

 

Le seul lien que l'on peut établir de manière certaine entre le CIRC et l'Institut Ramazzini (outre la science-poubelle, mais c'est une coïncidence) est que qu'un agent du premier et des experts mis à contribution par celui-ci sont membres du Collegium Ramazzini. C'est le cas de M. Kurt Straif, le chef de la Section des Monographies du CIRC ; de M. Christopher Portier, ancien d'agences états-uniennes d'évaluation passé lobbyiste pour des organisations anti-pesticides et anti-OGM ; et de deux membres du groupe de travail sur le glyphosate et quatre autres pesticides.

 

 

 

 

Il va de soi que cela suffirait au monde de la protestation – et au Monde Planète de M. Stéphane Foucart et Mme Stéphane Horel – pour monter une accusation de conflits d'intérêts. Mais voilà, le CIRC et l'Institut Ramazzini « pensent bien »... donc pas de conflits d'intérêts.

 

Selon Wikipedia, l'Institut est « un célèbre organisme de recherche indépendant et respecté sur le cancer ». Source... : le Monde, plus précisément l'article des deux Stéphane référencé ci-dessus. Il est tellement respecté que les premiers résultats produits par un célèbre moteur de recherche pointent en majorité vers des controverses ou des articles de militants, par exemple anti-ondes s'agissant de champs électromagnétiques.

 

Résultat de recherche d'images pour "instituto ramazzini" Respecté, l'Institut Ramazzini ? Voici un début d'article, « Controversial Italian Scientist Says Splenda Causes Cancer » (un chercheur italien controversé dit que le Splenda [le sucralose, par exemple, en France, Canderel] cause le cancer) qui résume bien la situation :

 

« Vous savez que le risque d'être embobiné est grand lorsque vous obtenez un communiqué de presse avec une affirmation scientifique choquante, mais sans véritables données. Et quand il s'avère que cela vient d'un institut italien qui est un punching ball virtuel pour les critiques implacables de la Food and Drug Administration (FDA), de l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) et de l'Environmental Protection Agency (EPA), parmi d'autres, il est temps de redoubler de scepticisme. »

 

Ah oui ! C'est dans Forbes... sans nul doute partie du complot contre le CIRC, l'Institut Ramazzini, etc. C'est le Monde qui détient la vérité, incorporée illico dans Wikipedia...

 

Mais voici un autre paragraphe de cet article qui vaut vraiment lecture :

 

« Le problème avec le résultat pour Splenda est celui qui pèse sur l'Institut Ramazzini en général : le contrôle de qualité. Peu importe la substance que l'Institut teste pour le cancer, les résultats semblent toujours être positifs, tandis que d'autres laboratoires testant les mêmes substances à plusieurs reprises ne parviennent pas à trouver les mêmes résultats.

 

[…]

 

Vous penseriez qu'un institut de recherche serait tellement embarrassé par cette sorte de critique [la démolition de résultats sur l'aspartame] qu'il publierait toutes ses données pour défendre ses résultats. Mais vous auriez tort. Le mode opératoire a été : annoncer d'abord dans les médias la mise en garde concernant le cancer ; enflammer les opinions publique et politique ; ensuite faire de l'obstruction contre les agences s'agissant des données [ma note : voir aussi ici, par exemple]. Aucune de ces études n'a été publiée dans une revue sur le cancer de premier ordre, revue par les pairs. »

 

Pour résumer, l'Institut Ramazzini est l'objet de critiques et d'« attentions » de manière systémique. Qu'il le soit en relation avec des événements récents liés au glyphosate est sans surprise et, pour ainsi dire, dans l'ordre naturel des choses. En tirer une théorie du complot relève du pur fantasme et, quand on tente d'y associer Monsanto, de la malveillance et de troubles psychologiques.

 

 

Les champs électromagnétiques aussi... (source)

 

 

Questions sur le financement de l'Institut Ramazzini : comment mettre une enquête parlementaire sous un jour sombre ?

 

Le 24 mars 2017, le représentant Lamar Smith, président de la Commission de la Science, de l'Espace et de la Technologie de la Chambre des Représentants, a demandé des comptes sur les comptes du National Institute of Environmental Health (Institut National des Sciences de la Santé Environnementale) et de ses financements de l'Institut Ramazzini.

 

Empressons-nous de préciser que la directrice du NIEHS est Mme Linda S. Birnbaum, qu'un ancien directeur associé a pour nom Christopher J. Portier... et qu'ils sont tous deux membres du Collegium Ramazzini.

 

Des journalistes sérieux faisant une enquête sérieuse se référeraient aux textes originaux. Comme nous... (dans la mesure du possible). La lettre de M. Lamar Smith à M. Thomas E. Price, Secrétaire du U.S. Department of Health and Human Services est ici ; les deux Stéphane se contentent de mettre un lien vers cette lettre dans la version électronique de leur « enquête ». Cette lettre se fonde en partie sur des allégations de l'Energy & Environment Legal Institute (E&E Legal). Les charges sont lourdes, mais en partie peut-être injustifiées (financer des travaux de membres du Collegium Ramazzini n'a rien de répréhensible a priori) ! D'E & E Legal, largement repris par M. Smith :

 

« Les contrats que E & E Legal demande dans ce dernier procès contribueront à éclairer cette relation, ce qui revêt une importance supplémentaire si l'on considère que USASpending.gov montre que Ramazzini figure dans 13 contrats différents des NIH, à travers quatre tierces parties différentes, pour près de deux millions de dollars depuis 2009. Depuis que le mandat de Birnbaum a commencé au NIEHS en 2009, cette agence a dirigé au moins 92 millions de dollars de subvention à d'autres membres du Collegium Ramazzini ; les NIH ont accordé plus de 315 millions de dollars en subventions aux membres de Ramazzini depuis 1985. »

 

 

(Source)

 

 

Comment gommer cette aspérité ? La diversion et le déshonneur par association d'acteurs secondaires !

 

E & E Legal et Free Market Environmental Law Clinic sont « deux organisations jumelles à la réputation sulfureuse » – c'est posé comme ça... cher lecteur, prenez ça dans la figure. Et puis :

 

« Les deux organisations sont dirigées par David Schnare, un climatosceptique affirmé, connu pour avoir harcelé des climatologues. En novembre 2016, M. Schnare a temporairement quitté E & E Legal pour rejoindre l’équipe de transition de Donald Trump.

 

On trouve aussi, parmi les dirigeants de l’organisation, Steve Milloy, une figure célèbre de la propagande financée par l’industrie du tabac. Aux questions sur leurs motivations et leurs sources de financement, le président de E & E Legal a répondu par courriel : "Salut, on n’est pas intéressés."

 

Premier problème : M. David Schnare – titulaire de quatre médailles d'or et de quatre médailles de bronze de l'administrateur de l'EPA – n'est/n'était pas le dirigeant d'E & E Legal, mais le conseiller juridique principal. Deuxième problème : le lien est, disons fantaisiste, sans aucune relation avec le propos. Cette « enquête », c'est pourtant du sérieux (ironie)... Troisième problème : vu le fond de commerce de ces organisations, il n'est pas surprenant que M. Schnare ait posé des questions à des climatologues, selon les usages brutaux états-uniens. Quatrième problème : Trump... et alors ? Cinquième problème : on a une traduction du courriel de réponse, mais pas celui de la question ; ce courriel peut paraître désinvolte en traduction, mais il y a bien des chances que ce fût le ton approprié, au vu des questions posées à M. Zaruk.

 

Mais ce n'est pas suffisant : « un escadron de propagandistes, dont l’association US Right to Know (USRTK) a documenté les liens de longue date avec les industriels de l’agrochimie ou des think tanks conservateurs » se démènerait à médiatiser et amplifier les demandes d’accès aux documents. On est ravi de voir la référence à l'USRTK, dont les deux auteurs ne disent absolument rien sur ses propres liens d'intérêts et commanditaires... Liens avec les industriels de l'agrochimie = mal ; liens avec l'industrie du bio = bien...

 

Parmi eux, « deux propagandistes, Julie Kelly et Jeff Stier » ont publié « Who’s Getting Money from NIH? » (qui reçoit de l'argent des NIH?) sur National Review. Nouvel assaut d'amabilités à coup de citations soigneusement choisies et torturées. Les deux Stéphane prennent par exemple ombrage à la phrase suivante : « Portier est devenu entre-temps un activiste anti-glyphosate bien connu »... la vérité n'est pas bienvenue au Monde de M. Stéphane Foucart et de Mme Stéphane Horel !

 

Et, pour bien conclure,

 

« L’information est également, et entre autres, reprise par Breitbart News, le site d’extrême droite fondé par Steve Bannon, le conseiller stratégique du président Trump. »

 

Mais le fait qu'une information soit publiée – de surcroît de manière très factuelle – par Breitbart, ne diminue en rien le fond du problème. Selon M. Lamar Smith :

 

« La Commission investigue l'intégrité scientifique du travail accompli par les entités ayant reçu des contrats et des subventions du NIEHS. […] La Commission s'inquiète de ce que des contrats accordés à l'Institut Ramazzini et ses affiliés pourraient ne pas répondre aux normes d'intégrité scientifique adéquates. […] »

 

 

« L'étrange M. Watts »

 

Le polar commence, pour ce qui nous intéresse, avec un « étrange » personnage, M. Christopher Watts. Précisions d'emblée : aucun lien allégué dans l'« enquête » avec Monsanto.

 

M. Watts a hanté la grandiose manifestation organisée du 7 au 10 juin 2016 par le CIRC pour son 50e anniversaire. Les deux Stéphanes écrivent :

 

« Maraudant de scientifique en fonctionnaire international, l’individu interroge les uns et les autres sur le fonctionnement du CIRC, son financement, son programme de monographies, etc. "Il m’a fait penser à ces gens troubles qu’on croise dans les milieux humanitaires – on ne sait jamais qui ils sont, mais on devine qu’ils font du renseignement", témoigne une participante à la conférence, qui souhaite garder l’anonymat. »

 

Joli prose ? Il y a eu plus de 1000 participants enregistrés. Mais la participante anonyme avait repéré M. Watts, « maraudant » et posant des questions...

 

Et on le retrouve, ce M. Watts, aux journées annuelles Ramazzini du 27 au 30 octobre 2016 à Carpi, en Italie. Et, délaissant le conditionnel journalistique, les deux Stéphane adoptent le mode interrogatif pour la suggestion, voire l'insinuation :

 

« Pourquoi diable le Ramazzini ? Un rapport, peut-être, avec l’annonce, faite quelques mois plus tôt par l’institut italien, qu’il allait conduire sa propre étude de cancérogénicité sur le glyphosate ? »

 

Bon sang ! Mais c'est bien sûr ! Il y a complot !

 

« Christopher Watts – c’est son nom – pose des questions sur l’indépendance de l’institut, ses sources de financement. Comme il a utilisé une adresse e-mail qui se terminait par "@economist.com", ses interlocuteurs n’ont pas mis en doute son affiliation au prestigieux hebdomadaire britannique The Economist. Aux scientifiques qui lui demandent des détails, il dit travailler pour la Economist Intelligence Unit (EIU), une société de conseil filiale du groupe de presse britannique. »

 

Bien sûr, nos enquêteurs disposent de preuves solides pour leurs dires... Et M. Watts a montré son adresse courriel à ses interlocuteurs... Quant à la deuxième phrase, une recherche rapide montre qu'il travaille ou a travaillé pour l'EIU. And guess what... L'EIU a publié en février 2017 un rapport, « Cancer in the workplace » (cancer sur le lieu de travail), dont la paternité à été attribuée à M. Christopher Watts.

 

Cela ne démontre encore rien, sinon que la thèse du complot et de l'acharnement peut être facilement invalidée conformément à ce bon vieux principe du rasoir d'Ockham.

 

Et puis, plus fondamental : quel lien avec Monsanto et les Monsanto Papers ?

 

Résultat de recherche d'images pour "complot Monsanto" Ajoutons encore, avant de clore ce chapitre :

 

« Seule la dénomination d’une société dont M. Watts a déclaré la création, fin 2014, semble claire : Corporate Intelligence Advisory Company (société de conseil en renseignement pour les entreprises). M. Watts, dont l’adresse personnelle se situe, selon les documents administratifs, en Albanie, n’a pas souhaité répondre aux questions du Monde. »

 

Toujours les suggestions et les insinuations. Une société... Albanie... Il est facile pour le lecteur de supputer un loup. La société a été fondée à Glasgow et a une adresse d'affaires à Londres. Quant à la résidence habituelle de M. Watts, comme dirait Mme Cresson, on n'en a rien à... enfin, c'est hors sujet.

 

[À suivre]

 

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M
Intéressant...<br /> <br /> Ce cirque comment à être également pointé du doigt dans les grands journaux (vu via la page d'accueil du journal en ligne) :<br /> <br /> https://blogs.mediapart.fr/marc-white/blog/080617/agriculture-quand-les-lobbies-ecolos-masquent-les-enjeux-de-la-crise-structurelle
Répondre
S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour votre commentaire. J'avais vu et j'en ai fait un petit billet.<br /> <br /> Malheureusement, c'est un (blog de Mediapart), pas un média généraliste. Il y a encore de gros efforts à faire pour faire régner la raison et une information qui ne relève pas de la post-vérité.<br />