Une démarche risquée ? Vu de l'intérieur, pourquoi la Russie s'est retournée contre les OGM
Andrew Porterfield*
Lorsque le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a signé l'année dernière une loi (adoptée par le pouvoir législatif du pays) interdisant l'importation et la culture ou l'élevage de plantes, de semences et de bétail génétiquement modifiés, il a pris une décision facile, politiquement. Mais à long terme, cela pourrait s'avérer risqué.
La Russie a beaucoup été dans les nouvelles ces temps-ci, mais les dernières révélations politiques obscurcissent un changement continu dans la façon dont le pays gère ses ressources agricoles considérables. Un éminent scientifique, Pavel Volchkov, responsable du laboratoire d'ingénierie du génome à l'Institut de Physique et de Technologie de Moscou, a offert des perspectives scientifiques « de quelqu'un de l'intérieur ».
Lorsqu'il s'agissait toujours de l'URSS, les fonctionnaires gouvernementaux utilisaient une économie planifiée pour stimuler la production animale dans l'espoir d'augmenter la consommation de viande et de produits laitiers et d'améliorer le niveau de vie de la nation. En utilisant les subventions directes, ils ont réussi : la production de viande a bondi de 60 % entre 1970 et 1990. Pour nourrir tous ces animaux, on a importé d'énormes quantités de céréales, de soja et de tourteaux, principalement des États-Unis.
Depuis la déconstruction de l'URSS, ces chiffres se sont inversés. La Russie est maintenant un importateur de viande (c'est beaucoup moins cher que la production nationale) et un exportateur de céréales. Ces exportations ont rapidement augmenté depuis 2002.
Cependant, les choses ont changé en 2014. Les actions militaires et politiques russes en Ukraine ont entraîné des sanctions économiques contre le pays de la part des États-Unis, de l'Union européenne et d'autres pays. En août, la Russie a réagi en interdisant les importations agricoles et alimentaires en provenance de nombreux pays. Bien que l'interdiction ait affecté les consommateurs russes dans leur portefeuille et leur porte-monnaie, cela n'a pas été politiquement dangereux.
Mais cela fournit un contexte pour la dernière interdiction des OGM, qui a d'abord été proposée en 2014.
« L'agriculture est une partie fondamentale de notre vie », a déclaré Volchkov. « La Russie possède un sixième de la Terre. Mais nous avons une majorité de terres qui ne conviennent pas à l'agriculture. »
C'est là, selon Volchkov, qu'intervient le risque de l'interdiction des OGM. La modification génétique peut créer des plantes qui résistent à des températures plus élevées, des sécheresses et d'autres problèmes affectant la culture et l'élevage des plantes et des animaux. Pour Volchkov, CRISPR et d'autres outils d'amélioration des plantes modernes pourraient ouvrir la voie à la Russie, et au reste de la planète, vers des rendements et des productions plus élevés :
« La plupart des scientifiques pensent que CRISPR est un outil vraiment magique, car avec une édition précise du génome, vous pouvez faire tant de choses différentes. Vous n'avez pas besoin de croiser des animaux ou des plantes, et vous pouvez essayer de combiner des polymorphismes et des allèles d'intérêt et de les combiner dans un seul organisme. »
Cependant, Poutine et les régulateurs et politiciens russes (et, dans une large mesure, le peuple russe) sont – c'est le moins que l'on puisse dire – sceptiques envers les OGM.
Lorsque Poutine a signé la loi fédérale 358-Z interdisant « la culture de plantes génétiquement modifiées et l'élevage d'animaux génétiquement modifiés sur le territoire de la Fédération de Russie », il a imposé des restrictions à une technologie dont les sondages montrent qu'elle est crainte par environ 80 % des Russes. À la surface, il s'agissait également d'une décision économiquement facile, car la proportion d'aliments contenant des OGM a diminué de 12 % à seulement 0,01 % depuis 2007, selon Russia Today.
Les groupes anti-OGM et les sites Web comme Natural News et Sustainable Pulse ont également applaudi à la décision, au prix d'un saut logique selon lequel cette décision pourrait freiner tout développement des OGM. Selon Sustainable Pulse :
« Cette loi fait de la Russie le plus grand territoire libre d'OGM au monde et offre une excellente plate-forme pour le développement de l'agriculture biologique. »
Natural News et d'autres sites ont fait un pas de plus, en publiant une prétendue citation de Poutine contre les OGM, les vaccins et la restauration rapide :
« Nous, en tant qu'espèce, avons le choix de continuer à développer nos corps et nos cerveaux dans une trajectoire ascendante saine, ou nous pouvons suivre l'exemple occidental des dernières décennies et empoisonner intentionnellement notre population avec des aliments génétiquement altérés, des produits pharmaceutiques, des vaccinationss et des fast-food qui devraient être classés comme drogues dangereuses et addictives. »
Il n'y a aucune preuve que Poutine ait jamais dit cela.
En outre, la nouvelle loi permet la recherche et le développement domestiques d'OGM. Elle permet également d'importer des produits GM (comme le soja) pour la consommation, et ouvre la voie à une agence de réglementation qui pourrait autoriser (ou interdire) les cultures et les animaux génétiquement modifiés.
Les première et troisième dispositions – généralement ignorées par les activistes anti-OGM américains et européens – peuvent être la clé de l'avenir de l'agriculture russe. Le gouvernement russe d'aujourd'hui n'a pas d'agence aussi influente et sophistiquée que la FDA. Selon Volchkov, « dès que les produits GM sont apparus, le gouvernement s'est rendu compte qu'il fallait les réglementer. Mais il ne savait pas bien ce qu'il devait faire. »
Le Service de l'Agriculture Étrangère de l'USDA a estimé qu'en vertu des restrictions de 2014, un nouveau processus d'inscription et d'approbation permettrait de cultiver des OGM, mais pas avant 2023 ou 2024. Il n'est pas clair à ce jour combien d'enregistrements pourraient être faits.
Mais l'autre disposition permettant la recherche pourrait mener à des produits génétiquement modifiés originaires de la Russie, qui pourraient être plus acceptables du point de vue politique, en particulier s'ils sont créés par des méthodes de cisgénique ou CRISPR.
« Il est important de faire de la recherche et du développement en Russie », a déclaré Volchkov. « Le gouvernement soutient ce travail avec des fonds, des subventions et un peu avec des entreprises prenant des risques. » Il a travaillé avec des entreprises américaines ou canadiennes et d'autres entreprises non russes pour développer des plantes génétiquement modifiées, ce qui est autorisé. « Mais cela n'a pas de sens. »
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* Andrew Porterfield est un auteur, éditeur et consultant en communication pour des institutions universitaires, des entreprises et des organismes sans but lucratif du domaine des sciences de la vie. Il est basé à Camarillo, Californie. On peut le suivre sur Twitter @AMPorterfield.
Source : https://geneticliteracyproject.org/2017/05/24/risky-move-inside-look-russia-turned-gmos/