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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Pour lire Saporta, il en faut, « Du courage ! »

30 Mai 2017 , Rédigé par Seppi Publié dans #Recension

Pour lire Saporta, il en faut, « Du courage ! »

 

 

 

Février nous apporte sa moisson d'ouvrages sur l'agriculture et l'alimentation – souvent contre l'agriculture et l'agroalimentaire qui nous nourrissent. Normal : février, c'est bon pour le plan com' car les médias sont réceptifs au moment du Salon de l'Agriculture. Et l' agri-bashing, la bobo-écolosphère adore.

 

Février 2017, nous a donc gratifié de « Du courage – En finir avec ces trahisons qui nous tueront » de Mme Isabelle Saporta, journaliste – un gage de sérieux et de compétence car, un(e) journaliste, ça sait tout – et documentariste – un gage de... bis, au carré (chez Fayard).

 

La bobogeoisie trouvera de grandes qualités à cet ouvrage de 180 pages. Ainsi, le MondeIdées, pour une fois pas Planète – vient de produire (24 mai 2017 sur la toile) : « Un "J’accuse" pédagogique contre les lobbys ». Normal : tous les ingrédients y sont en bonne proportion. Il suffit de lire le titre de l'ouvrage. Peut-être faut-il quand même, pour ceux qui sont blasés ou dotés d'un minimum de scepticisme vite dissipé, se laisser convaincre par une interview complaisante, par un journaliste complaisant, comme ce fut le cas sur France 2, au journal de 13 heures du 1er mars 2017.

 

 

La bonne dose d'ingrédients pour un pamphlet dénigrant...

 

Résultat de recherche d'images pour "saporta du courage" Il y a donc une louche d'accusations contre les « lobbies ». Les associations professionnelles – et certain syndicat d'agriculteurs (vous l'aurez deviné : son sigle commence par « F ») – sont forcément des « lobbies », de surcroît malintentionnés dans un monde qui, du fait de leur influence néfaste, s'achemine vers le désastre. De la quatrième de couverture :

 

« Depuis 15 ans, j’observe les lobbys dicter leur tempo, usant de leurs vastes réseaux pour stopper les réformes qui sauveraient notre santé et l’environnement. »

 

Sachez donc que notre santé et notre environnement sont en péril. Particulièrement la santé, alors que l'espérance de vie ne cesse d'augmenter.

 

Il y a donc aussi une louche d'accusations contre les pouvoirs politiques. De la quatrième :

 

« Pendant ces 15 ans, les politiques ont été incapables de tenir bon et de s’élever pour protéger nos enfants des pesticides ou pour que nous sachions enfin ce que nous mangeons. »

 

Résultat de recherche d'images pour "saporta du courage" Vraiment ? Interdiction des ventes aux particuliers, interdiction des néonicotinoïdes, interdiction des herbicides à base de glyphosate contenant de la POE-Tallowamine, interdiction du diméthoate... plan Écophyto... Étiquetage délirant des produits alimentaires contenant ou simplement issus des OGM...

 

Et il y a évidemment une louche d'accusations contre les administrations. Toujours de la quatrième :

 

« Depuis 15 ans, j’assiste, atterrée, à la mise à mort des agriculteurs vertueux assommés sous des tombereaux de normes et de réglementations tatillonnes. »

 

On aura remarqué qu'il y a aussi les « agriculteurs vertueux » et bien sûr, en négatif, ceux qui ne le sont pas. Et ceux-là ne sont pas, semble-t-il, assommés... enfin dans cet ouvrage ; car cela ne colle pas au script.

 

 

...atrocement binaire

 

Mais, heureusement, Isabelle Saporta est là !

 

« Stop ! Assez de cette lâcheté. De sacrifier notre bien-être, notre planète et l’intérêt des générations futures.

 

Si nos dirigeants ne souhaitent pas changer le monde, nous si. Et du courage, nous en avons à revendre. »

 

Du courage, en fait, il en faut pour lire cette diatribe atrocement binaire. On peut aussi prendre de la distance et se faire « primairologue », étudier les arguments primaires, manichéens, et comment ils sont montés en tarte à la crème. Ou tout simplement en rire.

 

 

Ils font du pain avec de la farine bio, ils sont vertueux, ils sont harcelés

 

 

Le pannonceau litigieux a priori à l'origine (Source)

 

Pour les brèves de comptoir, on est aussi servi. Exemple, du chapitre 1, « Du bon sens » :

 

« Si l'État se montre si tatillon, diligent, intraitable et exigeant pour nos artisans bio, imaginez son courroux et sa rigueur face aux géants de l'agro-business dont la transparence en matière d'étiquetage est bien connue... Non ? »

 

Le motif du courroux de la dame ? Des boulangers de la Somme ont été condamnés en justice pour « présentation de produit faisant croire qu'il bénéficie de la qualité de produit de l'agriculture biologique » (ce sont les termes de Mme Saporta, similaires à ceux de l'article 115-24 du Code de la Consommation) avec un panneau « pain au levain de farine bio » ; en fait, pour défaut de notification de l'activité « bio » et d'adhésion à un système de contrôle (article 27 du Règlement (CE) No 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (CEE) no 2092/91) ; en fait aussi, pour avoir résisté à un avertissement de l'administration.

 

Le pannonceau lors de la visite de contrôle

 

« ...l'État se montre si tatillon... » ? Il protège, certes avec ardeur, le bio. Au fait, c'est sous la pression de quels lobbies ?

 

Il va de soi que l'État se serait fait traiter de laxiste s'il n'avait pas condamné quelqu'un qui se serait livré à la même impudence, mais sans avoir la sympathie de la bobo-écolosphère.

 

L'exemple est en outre très mal choisi, même si l'« affaire » a bénéficié d'un assez large écho médiatique. La bobo-écolosphère a en effet occulté les multiples manquements à l'hygiène de ces producteurs. S'agissant de Mme Saporta, qui se sera emparé d'un fait divers facilement accessible, c'est encore plus extraordinaire : ne prétend-elle pas se faire la défenseuse de notre santé gravement menacée ? Ah oui ! C'est la santé menacée par les horribles lobbies, pas par les gentils producteurs de pain qui officiaient dans un garage.

 

 

 

 

Le principe de précaution revisité

 

C'est dans le chapitre 14, « Pourquoi faire du gagnant-gagnant quand on peut choisir de tout perdre ». Et c'est dans le droit fil du « deux poids, deux mesures ». Le « gagnant-gagnant », c'est bien sûr le « bio », camouflé en « agroécologie » dans la mesure du besoin, la petite ferme diversifiée. Mais « [o]n préfère continuer à soutenir les gros de l'agro. Et surtout, à leur laisser l'avenir de nos paysans, et celui de nos assiettes. »

 

On rêve quand on voit toutes les mesures prises pour promouvoir le bio, des subventions aux obligations d'achats pour la restauration collective !

 

Mais le chapitre finit sur le « principe de précaution » :

 

Résultat de recherche d'images pour "precautionary principle"

 

C'est le principe de précaution selon Mme Saporta !

 

« Le principe de précaution ne fonctionne désormais que pour assassiner les filières artisanales, comme celle du lait cru ou de la volaille en plein air. Certainement pas pour s'opposer aux intérêts des industriels. […] C'est d'ailleurs au nom de ce principe de précaution dévoyé qu'on autorise les perturbateurs endocriniens, qu'on laisse mourir les abeilles et polluer les sols. Par contre, on se montre intraitable quand il s'agit de signer l'arrêt de mort des filières traditionnelles. »

 

Si vous êtes tombé de votre chaise, ce n'était pas notre intention...

 

 

Les scandaleux propos du « patron du Programme national nutrition santé »

 

L'ouvrage réserve aussi des surprises. Tels ces propos de M. Serge Hercberg dans le chapitre sur le système d'information nutritionnelle :

 

« Hélas, nous ne sommes pas dans un monde idéal. Le ministère de la Santé est faible. L'agriculture et l'industrie sont aux manettes. Quant à la Commission, elle est tout acquise aux intérêts des industriels. Jamais le consommateur n'aura été à ce point la cinquième roue du carrosse. »

 

Venant d'une haute personnalité de l'interface politico-scientifique, on peut trouver ces propos parfaitement scandaleux. L'interlocuteur du ministère de la santé et des parties prenantes que sont l'agriculture et l'industrie se devrait au minimum de faire preuve de mesure et de respecter le décorum.

 

Mais les propos vont dans le sens des thèses de Mme Saporta ; ils sont donc reproduits et servis aux lecteurs dans le chapitre 2 « Les lobbys tapis dans l'ombre ».

 

Résultat de recherche d'images pour "nutri-score"Le nutri-score de M.Hercberg (source, avec des explications)

 

M. – Pr – Hercberg est le concepteur du logo qui a finalement été retenu, après moult péripéties – lire : manœuvres et coups bas des « lobbies ». C'est dans un long chapitre, avec plein d'histoires de bons et de méchants, les premiers finissant par triompher. Euh... non :

 

« Vous avez du mal à respirer à l'idée que, demain, les grandes décisions de santé publique puissent être intégralement aux mains des lobbys ? »

 

Un long chapitre, donc, qui fait l'impasse sur les conclusions de l'ANSES : « Systèmes d’information nutritionnelle : un niveau de preuve insuffisant pour démontrer leur pertinence au regard des enjeux de santé publique », écrivait-elle en titre d'un communiqué du 14 février 2017. Pas conforme aux thèses de l'ouvrage... occulté...

 

M. Hercberg a eu son système de logos ; Mme Saporta a eu son chapitre dégoulinant d'attaques et d'insinuations contre ces ignobles lobbies et ces veules politiques ; le révolutionnaire d'opérette – l'indigné, l'insoumis, etc. – qui a lu le chapitre confortablement assis sur son canapé est ravi... et nous continuons à faire nos courses comme avant.

 

 

La post-vérité sur un article scientifique sur les abeilles et les néonicotinoïdes

 

Initialement, nous avons fait un grand saut vers le chapitre 11, « Le communiqué tueur d'abeilles », car il serait bien trop fastidieux de faire une analyse détaillée de ce livre. Cela nous a entraîné dans une chasse aux mythes propagés notamment à l'Assemblée Nationale et dans le Monde. Ce chapitre est une merveille de post-vérité, qu'on pourrait dire écrite à plusieurs mains. Pour bien l'expliquer, et compte tenu aussi des implications, nous en ferons un billet séparé.

 

 

Étienne Gangneron, un agriculteur bio qui ne veut pas être sauvé

 

Résultat de recherche d'images pour "étienne gangneron"Il fut aussi président de l'Agence Bio.

 

Il faut s'arrêter un instant sur le chapitre 12, « Celle qui voulait sauver les agriculteurs et nos assiettes ». C'est à propos d'un texte tellement remarquable du Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE), « La transition agroécologique : défis et enjeux » (rapporteure : Mme Cécile Claveirole), qu'il a été adopté dans une remarquable indifférence médiatique.

 

Il faut dire qu'il y a un réel défi à définir des enjeux quand on est obligé d'écrire :

 

« L’agroécologie fait l’objet de multiples définitions  ; elle peut désigner une discipline scientifique au carrefour de l’écologie et de l’agronomie, des pratiques agricoles ou encore un mouvement social dans certains pays. Mais, comme différent.e.s chercheur.e.s l’ont montré, elle correspond à une réalité précise et à une approche scientifique. »

 

Voilà une autre merveille de rationalité, similaire au « ...scientifiquement prouvé mais pas encore sensible statistiquement » évoqué ci-dessus : on ne sait pas trop ce que c'est, mais cela « correspond à une réalité précise et à une approche scientifique ».

 

Le rapport a provoqué un tollé au sein du groupe Agriculture du CESE qui a dénoncé un avis qui « stigmatise la profession ». Il a finalement été adopté par 154 voix pour, deux contre et 26 abstentions. Les abstentions ? C'est la réponse polie, diplomatique – et tout de même d'une invraisemblable couardise. La profession agricole mainstream – la FNSEA et la Coordination Rurale – a été conséquente. Ainsi, Mme Véronique Le Floc’h, la représentante de la CR, explique :

 

« A travers cet avis, je pense que le Cese n’a pas répondu à la question qui consistait à dire si l’agroécologie apportait oui ou non plus de résilience aux exploitations et si elle était la solution face aux crises. On a fait le procès de l’agriculture ! D’ailleurs le titre de l’avis a été changé en "défis et enjeux". »

 

Mais Mme Saporta ne s'intéresse qu'à la FNSEA, sans oublier le ministre Stéphane Le Foll. Saisir le CESE, pour celui-ci, « c'était faire avancer son dossier sans avoir à affronter le syndicat majoritaire ».

 

La relation des faits est évidemment sur le mode binaire. En bref, Mme Claveirole est une « femme de caractère » soumise aux manœuvres sournoises du représentant de la FNSEA, M. Étienne Gangneron, un agriculteur bio. Et elle finit par triompher des lobbies, pourtant sûrs d'eux, dominateurs et invincibles selon le leitmotiv de l'ouvrage. On n'est pas à un paradoxe près...

 

Cela devient très personnel, ad hominem. Le représentant de la FNSEA au CESE est M. Gangneron, un de ses vice-présidents, agriculteur bio (n'est-ce du reste pas curieux que la FNSEA compte des adhérents du bio?) :

 

« À titre personnel, l'homme aurait dû soutenir l'avis de Claveirole, qui défend ce qu'il met déjà en pratique sur le terrain. Mais non, il a décidé d'en faire une ennemie du parti et de lui mener une guerre sans merci. Une guerre censée refléter la ligne de la FNSEA... »

 

Résultat de recherche d'images pour "gangneron saporta brunel" Comme si la prétendue « ligne Gangneron » pouvait prévaloir sur celle de la FNSEA, et aussi celle du reste du monde agricole qui nous nourrit.

 

En fait, il y a comme qui dirait un contentieux après un « 28 minutes » du 29 février 2016 sur Arte, avec notamment Mme Sylvie Brunel, Mme Saporta et M. Gangneron. Celui-ci avait tenu des propos qui ont déplu...

 

 

Un « dernier bon mot »

Ce bon mot de l'introduction sera celui de notre conclusion :

 

« On commente, on s'insurge, on trépigne. Et puis, un sujet d'actualité chassant l'autre, on abandonne notre santé, l'environnement et l'avenir de nos enfants, sur l'autel du dernier bon mot d'une starlette de téléréalité. »

 

Il suffit de changer quelques mots et réorganiser la phrase... Dans « Du courage » ! on abandonne vraiment notre santé, l'environnement et l'avenir de nos enfants sur l'autel des bons mots, des commentaires, des indignations et des trépignements d'une star (nous n'oserons pas le diminutif) de la médiasphère.

 

Résultat de recherche d'images pour "principe de précaution"Une lecture recommandée. Une ode à l'avenir et à l'optimisme écrite en 2012 par un vieillard de 92 ans.

 

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