OGM : Science & Vie a du retard à l'allumage... et fabule
Science & Vie – que nous aimons bien – ne sera pas à la fête ce mois-ci pour son numéro de juin 2017.
En page 9, M. Yves Sciama explique sous « OGM, le déclin est annoncé » que :
« Il me semblait donc important d'expliquer, loin des polémiques, les raisons d'un déclin qui s'annonce. »
Son article, « OGM – et si c'était le début de la fin ? » – tiens donc..., il est soudainement plus prudent ! – repose fondamentalement sur le recul, de moins de 1 %, de la surface cultivée en OGM en 2015 (179,7 millions d'hectares au lieu de 181,5 l'année précédente). Il est déjà fort hasardeux d'évoquer un « renversement de tendance totalement inédit » sur la base des résultats d'une seule campagne... l'auteur s'est précipité.
De plus, cela tombe vraiment très mal : le Service International pour l'Acquisition d'Applications Agricoles Biotechnologiques (International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications – ISAAA) – la source guère contestée des statistiques sur les OGM – vient d'annoncer pour 2016 une hausse à 185,1 millions d'hectares, soit + 3 % par rapport à 2015 et + 2 % par rapport à 2014.
Le discours dans S&V, en bref, se fonde aussi sur les simplifications et les sophismes habituels.
Mais, non, le monde des OGM ne se limite pas aux grandes cultures (soja, maïs, cotonnier et colza), et à la tolérance à un herbicide et la résistance à des insectes.
Et non – sauf à nous apporter des preuves indubitables (et pas des propos, s'il y en a, qui tiennent de la gesticulation) – les « fabricants d'OGM » n'ont jamais prétendu qu'« en boostant les rendements agricoles, leurs semences transgéniques résoudraient rien moins que la faim dans le monde ». Du reste, l'eussent-ils dit, qu'il faut bien constater que l'activisme anti-OGM s'est bien davantage opposé à la réalisation de cette « promesse » que les limitations alléguées des OGM ; dans le cas du Riz Doré, ce sont, de fait, des centaines de milliers de vies qui sont, probablement, sacrifiées chaque année.
L'auteur a tenté de démontrer l'échec des OGM par le fait que les rendements du maïs ont progressé de manière similaire aux États-Unis d'Amérique (avec OGM) et en Europe (sans, sauf essentiellement en Espagne). Cela relève du simplisme de l'argumentation anti-OGM de bas étage.
Le rapport des Académies états-uniennes des Sciences, de l'Ingénierie et de la Médecine, « Genetically Engineered Crops: Experiences and Prospects » (plantes génétiquement modifiées : expérience et perspectives) est mis à contribution de manière sélective :
« [L]es données nationales sur le maïs, le coton et le soja aux États-Unis ne montrent pas de signature significative de la technologie de modification génétique sur la vitesse d'accroissement des rendements. »
Et d'embrayer triomphalement :
« En clair, les OGM n'ont pas dopé la production comme promis. »
Pourtant, l'auteur cite des propos de M. Claude Bagnis, directeur de recherche l'Établissement Français du Sang (EFS) et membre du Haut Conseil des Biotechnologies et de M. Christian Huyghe, directeur scientifique adjoint à l'agriculture de l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) qui auraient dû inciter à plus de prudence. Il y a un monde complexe qui sépare le progrès génétique de sa traduction dans les statistiques nationales.
Et l'auteur a zappé la partie dérangeante de la conclusion des NAS. Le texte complet est le suivant :
« Les données nationales sur le maïs, le coton et le soja aux États-Unis ne montrent pas de signature significative de la technologie de modification génétique sur la vitesse d'accroissement des rendements. Cela ne veut pas dire que de telles augmentations ne seront pas réalisées à l'avenir ou que les traits GM actuels ne sont pas bénéfiques pour les agriculteurs. »
Dans le résumé c'est :
« Bien que la somme des données expérimentales indique que la résistance GM à des herbicides et la résistance GM à des insectes contribuent à l'augmentation des rendements réels, il n'y a aucune preuve dans les données de l'USDA que le taux historique moyen d'augmentation des rendements américains de cotonnier, de maïs et de soja a changé. »
La simple lecture du résumé aurait aussi dû inciter à la prudence. Notamment :
« Rendement des cultures Bt. Le Bt dans le maïs et le coton a contribué de 1996 à 2015 à une réduction des pertes de récoltes (comblant l'écart entre le rendement réel et le rendement potentiel) dans des circonstances où les insectes nuisibles ciblés causaient des dommages importants aux variétés non Bt et où les produits chimiques de synthèse ne pouvaient pas fournir un contrôle pratique. »
Et :
« Rendement des cultures résistantes aux herbicides. Les études indiquent que les cultures résistantes aux herbicides contribuent à un meilleur rendement lorsque le contrôle des mauvaises herbes est amélioré en raison des herbicides spécifiques qui peuvent être utilisés conjointement avec la culture résistante aux herbicides. »
Ce sont là des évidences : les deux traits incorporés dans le maïs ne sont pas destinés à augmenter le potentiel de rendement ; ils ne se traduisent par une augmentation des rendements au champ que s'ils améliorent l'efficacité de la lutte contre les mauvaises herbes et certains insectes piqueurs et foreurs.
On peut du reste opposer un contre-exemple simple, et non simpliste : à Hawaï, le choix était fondamentalement entre papayers conventionnels et pas de papayes, et papayers GM et production normale ; le même résultat pourrait être obtenu en Ouganda avec le bananier (sauf que, dans ce cas-ci, il s'agit d'un aliment de base et de sécurité alimentaire).
Le rapport des NAS donne de maigres chiffres. C'est la manifestation d'un problème récurrent de la publication scientifique qui souffre d'un biais de sélection et du syndrome de la tour d'ivoire en n'épluchant que la littérature... scientifique (ou prétendue telle).
En 1992, avant l'arrivée du virus des taches en anneaux, on produisait quelque 33 tonnes de papayes à l'hectare. En 1998, le rendement – moyen – était tombé à 21 tonnes à l'hectare. Selon Ferreira et al. (2002) les essais de papayer GM plantés en 1995 rendaient trois fois la production moyenne de 1988-1992... Cela ne nous avance guère, car un monde sépare souvent l'essai de la réalité pratique. Mais le papayer GM occupait 75 % du verger en 2009.
Nous avons aussi droit à « [c]ertains OGM ont été conçus pour résister aux épandages massifs de glyphosate... », à « [l]es mauvaises herbes ont résisté » et, s'agissant du Bt, « [l]es économies sont plus faibles que prévues ».
La première citation illustre le biais : les doses employées ne sont pas « massives », juste ce qu'il faut pour éliminer les mauvaises herbes.
Le glyphosate reste aussi un herbicide d'une grande efficacité, les résistances pouvant se gérer, plus ou moins facilement, comme c'est déjà le cas dans l'agriculture ne recourant pas à des variétés HT. Il y a même une solution GM : des plantes incorporant des tolérances à deux, voire trois, herbicides de classes différentes.
(Source)
Quand au dernier argument, on peut en rester bouche bée... ben oui, le Bt n'est pas « efficace sur tous les insectes ». Mais, là encore, la surprise est de taille :
« Une étude récente sur l'introduction du coton OGM en Chine, citée dans le rapport de la NAS, chiffrait à environ 15 % la réduction globale d'insecticides – un avantage certain, donc, mais pas révolutionnaire. »
Nous n'avons pas trouvé le texte à l'appui de cette assertion. En revanche, il est par exemple dit dans le chapitre 5 :
« Dans une étude en Chine de Huang et al. (2002), le cotonnier Bt était traité avec des insecticides 6,6 fois et le cotonnier non Bt 19,8 fois durant la campagne. »
Les chiffres sont différents, mais la réduction au tiers se retrouve dans le graphique suivant :
Il est difficile de croire que l'on puisse faire la fine bouche devant une réduction de 15 % – de plus, dans l'usage d'insecticides souvent très nocifs pour la santé et l'environnement. Il est encore plus difficile de comprendre comment on peut le faire par une comparaison avec l'utilisation totale d'insecticides, toutes espèces cultivées regroupées.
Il y a une réponse brève à ce fatras : les OGM HT et Bt, les agriculteurs qui peuvent les utiliser en redemandent...
Nous ne sommes pas fans des méta-analyses et avons critiqué celle de Wilhelm Klümper et Matin Qaim, « A Meta-Analysis of the Impacts of Genetically Modified Crops » (une méta-analyse des impacts des plantes génétiquement modifiées). Ils avaient trouvé qu'en moyenne :
« ...l'adoption de la technologie GM a réduit l'utilisation de pesticides chimiques de 37 %, augmenté les rendements de 22 %, et augmenté les profits des agriculteurs de 68 %. Les gains de rendement et la réduction de l'emploi des pesticides sont plus grands pour les plantes résistant à des insectes que pour celles qui tolèrent un herbicide. Les gains de rendement et de profit sont plus grands dans les pays en développement que dans les pays développés.
Les chiffres sont liés à la méta-analyse (retenez d'autres études, combinez-les de manière différente et vous trouverez d'autres résultats), mais la conclusion générale ne fait guère débat (sauf dans les milieux anti-OGM).
Et il est particulièrement osé d'écrire :
« Désormais, donc, un consensus scientifique semble se faire autour de l'absence d'intérêt véritable de cette biotechnologie pour les rendements. »
Un autre consensus se fait chez les agriculteurs qui ont accès aux OGM...
L'auteur trouve aussi un « lourd bilan environnemental ». En cause, on l'aura deviné,
« entre 1995 et 2015, la quantité de glyphosate consommée dans le monde a été multipliée par 12 pour atteindre 825 000 tonnes par an. »
Rien sur les bénéfices, par exemple en termes de substitution du glyphosate à des herbicides au profil toxicologique et écotoxicologique moins favorable, ou d'adoption plus large de techniques culturales simplifiées plus favorables à l'environnement.
L'article se termine par la prédiction de la fin des « vieux » OGM, avec cette surprenante entrée en matière :
« Des rendements décevants, des mauvaises herbes devenues résistantes aux pesticides, des gains de temps et d'argent pas toujours au rendez-vous... Voilà de quoi expliquer que le modèle s'essouffle ! Christian Huyghe ne s'en dit d'ailleurs pas surpris. Le chercheur de l'Inra rappelle qu'il n'y a guère eu de percée innovatrice en transgénèse depuis des années, et que les fabricants se limitent pour l'essentiel à raffiner et combiner de diverses manières ces deux grandes familles d'OGM appliquées aux quatre principales cultures : soja, maïs, coton et soja. »
Ce n'est pas seulement surprenant, mais stupéfiant ! Nous ne reproduirons pas les propos, cités, de M. Huyghe, d'une indigence crasse. Car le monde des OGM ne se limite pas à deux traits, quatre espèces cultivées et les entreprises honnies de l'agrochimie.
S'agissant de l'avenir (et, du reste, du présent), il faut être clair sur le fait que par « OGM » on entend souvent davantage une technique d'amélioration des plantes que les produits de cette technique. Celle-ci est maintenant concurrencée par les « nouvelles techniques d'amélioration des plantes (les NPBT –new plant breeding techniques). Il s'établira un nouvel équilibre – dynamique – entre ce qui relève à ce jour de l'« amélioration des plantes classique » (qui comprend des méthodes très complexes), la transgénèse (les « OGM » au sens actuel) et les NPBT.
Il faut cependant savoir qu'il y a des continuités. La transgénèse et les NPBT produiront de nouveaux traits, mais l'amélioration des plantes classique prendra obligatoirement le relais pour produire les génotypes performants et adaptés.
L'équilibre dépendra, pour partie, des avantages et inconvénients des différentes techniques et, pour partie, de l'accueil que leur réserveront – en général et dans chaque cas pratique – les pouvoirs politiques, le pouvoir médiatique (les médias traditionnels et les réseaux dits « sociaux ») et l'opinion dite « publique » (dite, car manipulée par les deux premiers).
Sauf à être ostracisés, les OGM – la transgénèse – ont un avenir, dans le domaine qui sera le leur.
Il est fort regrettable que, dans ce cas précis, Science & Vie ait dérapé de sa ligne éditoriale traditionnelle de qualité.
Il est encore plus regrettable, que l'Institut National de la Recherche Agronomique signale, par la voix de son directeur scientifique adjoint à l'agriculture, sa déconnexion d'avec la réalité d'aujourd'hui et son incapacité à appréhender objectivement celle de demain.