OGM et herbicides : c'est compliqué !
Andrew Kniss*
Une publicité de 1927... pour rappeler que l'on désherbait déjà chimiquement.
Les régimes d'utilisation des herbicides ont beaucoup changé aux États-Unis au cours des 25 dernières années. Selon la personne avec laquelle vous parlez, ces changements prouvent que l'agriculture américaine moderne nourrit le monde avec moins d'intrants, ou que le système agricole américain est irrémédiablement détraqué. Il semble qu'il n'y ait pas de position équilibrée dans cette discussion.
L'utilisation des herbicides est particulièrement controversée dans le contexte des discussions impliquant les cultures génétiquement modifiées (souvent appelées OGM, pour « organismes génétiquement modifiés »). Le trait GM le plus largement adopté dans le monde permet d'épandre l'herbicide glyphosate (le plus souvent connu comme le Roundup de Monsanto, mais maintenant vendu sous divers noms par plusieurs entreprises différentes) sur les cultures. Les critiques des OGM reprochent souvent à ces cultures résistant au glyphosate d'augmenter l'utilisation des herbicides ; les promoteurs d'OGM disent au contraire que ces variétés ont permis l'utilisation d'herbicides moins toxiques. À ce jour, cependant, il n'y a pas eu de preuve très solide pour étayer l'une ou l'autre de ces affirmations.
Il y a eu quelques études dans la littérature récente qui ont tenté de décrire les changements dans l'utilisation des herbicides par rapport aux cultures GM. Mais à quelques exceptions près, ces études se sont appuyées sur des méthodes de mesure peu pertinentes. En particulier, elles rapportent le poids total des herbicides appliqués, ou « livres délivrées au sol » (« pounds on the ground ») comme certains l'aiment à dire. Mais additionner simplement les poids d'herbicides appliqués manque la cible.
Les herbicides varient considérablement dans leur toxicité, tant pour les plantes que pour les autres organismes, y compris les humains. Donc, les mettre tous ensemble et rapporter un seul nombre de livres ou de kilogrammes appliqués n'est pas très significatif. Ce serait comme si un médecin prescrivait la même dose de médicament, quelle que soit la puissance du médicament. Il serait ridicule de prescrire la même quantité de Tylenol et de morphine simplement parce que ce sont tous deux des analgésiques. Une dose de 500 mg de chacun de ces deux médicaments aurait des effets très différents. Il en va de même pour les herbicides. Un kilo d'imazethapyr aurait un impact radicalement différent de celui d'un kilo d'acétochlore.
Il existe de nombreux aspects potentiels des herbicides qui présentent un intérêt ; les impacts sur la santé humaine, les impacts sur la faune sauvage comme les abeilles et les poissons, les impacts sur la santé des sols, etc. Quelques auteurs ont comparé les herbicides en utilisant un indice appelé quotient d'impact environnemental (EIQ) qui incorpore beaucoup de données de toxicité établies. Cependant, plusieurs auteurs ont constaté au cours des 20 dernières années que l'EIQ a très peu de relation avec les risques réels associés aux herbicides. En raison de la façon dont l'EIQ est construit, il est presque sans intérêt pour prédire les risques réels pour la santé ou l'environnement.
J'ai publié aujourd'hui, dans la revue Nature Communications, un article intitulé « Long-term trends in the intensity and relative toxicity of herbicide use » (tendances à long terme de l'intensité de l'utilisation et de la toxicité relative des herbicides). Dans cet article, j'ai étudié les changements dans la toxicité des herbicides pour les mammifères au fil du temps, puisque celle-ci figure parmi les meilleures estimations que nous ayons pour les risques auxquels sont confrontés les applicateurs de pesticides. Les risques pour les consommateurs suivraient théoriquement des tendances similaires, mais puisque les applicateurs de pesticides sont exposés à des doses beaucoup plus élevées (et exposés beaucoup plus souvent), les résultats de cette analyse seront les plus pertinents pour ce groupe. L'objectif général de cette analyse a été d'évaluer comment la toxicité pour les mammifères a évolué aux États-Unis au cours des 25 dernières années, en particulier à la suite de l'adoption généralisée de cultures génétiquement modifiées (souvent appelées OGM).
Une partie de ma motivation pour entreprendre ce projet avait simplement été de regarder les éléments de preuve pour tenter de répondre à la question suivante : « L'adoption de variétés GM a-t-elle eu un effet positif ou négatif sur l'utilisation des herbicides ? » Certes, les données publiquement disponibles que j'ai utilisées ne permettaient pas de répondre exactement à cette question ; néanmoins, les tendances générales, je pense, fournissent des éléments de preuves solides permettant de tirer certaines conclusions.
Tout d'abord, j'ai trouvé des preuves solides que l'utilisation des herbicides a effectivement augmenté dans les cultures GM (maïs, soja et cotonnier), assez en accord avec ce que les critiques ont suggéré. Cependant, j'ai également constaté que l'utilisation des herbicides a augmenté encore plus rapidement dans les cultures non GM, pour le riz et le blé. Cela suggère qu'il y a une tendance générale à l'augmentation de l'utilisation des herbicides dans toutes les cultures, que des variétés GM soient disponibles ou non. Il est même plausible, sur la base de ces données, que les cultures GM aient ralenti cette augmentation (bien qu'il soit impossible de le dire avec certitude).
Une autre conclusion intéressante de cette analyse est que les tendances pour la toxicité relative des herbicides sont différentes en fonction de la toxicité aiguë ou chronique. La toxicité aiguë est ce à quoi la plupart des gens pensent quand ils entendent le mot « toxique ». Elle est décrite par la quantité de produit chimique nécessaire pour causer des problèmes lors d'une exposition ponctuelle. Pensez par exemple au fait de renverser l'herbicide sur vos vêtements, ou de le boire par accident. Mais pour les applicateurs de pesticides, la toxicité chronique d'un herbicide est sans doute plus pertinente, car ils interagissent régulièrement avec ces produits chimiques pendant de nombreuses années de leur vie. Il est rare qu'un applicateur ingère accidentellement une dose toxique aiguë ; mais il suffit de doses beaucoup plus faibles pour provoquer des effets chroniques, pour autant que l'exposition soit répétée suffisamment de fois. Étant moi-même un applicateur de pesticides, j'étais particulièrement intéressé par les résultats sur le danger de toxicité chronique.
Parmi les trois cultures GM de l'analyse, le danger de toxicité chronique associé aux herbicides a en fait augmenté pour le maïs et le cotonnier, mais diminué pour le soja au cours des 25 dernières années. Mais pour les trois cultures, peu de changements dans l'utilisation des herbicides qui ont provoqué une modification de la toxicité chronique sont directement attribuables aux traits GM. Au cours de la dernière année de données disponibles sur l'utilisation des herbicides pour le maïs (2014), deux herbicides (l'atrazine et la mésotrione) représentaient à eux seuls 88 % du danger total de toxicité chronique. Pour le cotonnier, un seul herbicide (le diuron) a constitué 88 % du danger total de toxicité chronique. L'utilisation de ces herbicides n'est pas liée à l'adoption des variétés GM ; ces herbicides ont été utilisés avant les OGM et ont continué à être utilisés après leur adoption.
Même si l'utilisation du glyphosate a considérablement augmenté au cours des 25 dernières années, mon analyse suggère que la contribution relative du glyphosate au danger de toxicité chronique est restée relativement faible. Le glyphosate a une toxicité chronique très faible par rapport à la plupart des autres herbicides. Pour le maïs et le cotonnier, le danger de toxicité chronique a augmenté au cours des 25 dernières années, mais le glyphosate a contribué pour moins de 4 % à ce danger au cours de la dernière année pour laquelle nous disposons de données. Des résultats similaires ont été observés pour le soja : le glyphosate représentait 43 % de tous les traitements herbicides en 2015, mais moins de 1 % du danger de toxicité chronique.
Une autre conclusion intéressante de cet article est que la plupart des principales réductions du danger de toxicité n'étaient pas liées à l'adoption des cultures GM. Lorsque la toxicité a été réduite, cela était principalement dû à l'élimination de l'usage commercial des herbicides les plus toxiques par l'EPA. En particulier, le retrait des autorisations pour la cyanazine, l'alachlore et le molinate ont eu des impacts majeurs sur les quotients de danger de toxicité dans l'analyse (voir le fichier d'information supplémentaire pour plus de détails).
J'ai déjà écrit par le passé que si nous cessions d'utiliser le glyphosate, un autre outil de contrôle des mauvaises herbes prendrait nécessairement sa place. Et ces autres outils présentent des risques (et des avantages). Les décisions agricoles ont des implications réelles, et non virtuelles. Cette analyse suggère également que si le glyphosate n'était plus utilisé sur ces cultures GM, il y aurait probablement une augmentation substantielle du danger de toxicité chronique associé à l'utilisation des herbicides, puisqu'il serait presque certainement remplacé par des herbicides plus toxiques. Malheureusement, il est très difficile de déterminer l'importance de cet impact. À mon avis, nous devons trouver des méthodes pour dépendre moins des herbicides pour le contrôle des mauvaises herbes ; l'augmentation globale de l'intensité de l'utilisation des herbicide dans toutes les cultures étudiées dans cette analyse est une source de préoccupation. Il est même possible que le recours continu aux cultures GM et aux herbicides associés ait ralenti le développement d'autres solutions potentielles (comme la robotique, les pratiques culturales comme les rotations, etc.).
En résumé, cette analyse suggère que les OGM ont eu un effet positif (ou à tout le moins un effet neutre ou non négatif) en ce qui concerne l'intensité de l'utilisation des herbicides et la toxicité pour les mammifères, et je suis sûr que cela décevra beaucoup de gens qui n'aiment pas les OGM. Mais elle montre également le bénéfice des OGM dans la réduction de l'intensité de l'utilisation des herbicides, et la toxicité n'apparaît pas aussi dramatique que beaucoup de promoteurs des OGM voudraient croire.
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Kniss AR (2017) Long-term trends in the intensity and relative toxicity of herbicide use. Nature Communications. doi:10.1038/ncomms14865.
Fiche d'information supplémentaire montrant les contributions des herbicides à la toxicité.
Fichier d'évaluation par les pairs.
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* M. Andrew Kniss est Professeur d'écologie et de gestion des mauvaises herbes à l'Université du Wyoming.
Source : http://weedcontrolfreaks.com/2017/04/gmos-and-herbicides-its-complicated/