Le Canada ré-autorise le glyphosate
Les produits de protection des plantes – les pesticides – sont autorisé pour des durées limitées, généralement dix ans. Cela permet aux autorités de réglementation de les réévaluer régulièrement afin de s’assurer qu’ils continuent de répondre aux normes modernes de sécurité pour l’environnement et la santé, notamment à la lumière des études les plus récentes ; et dans le cas des autorités qui ne sont pas contraintes à se limiter à la sécurité – ou ne sont pas obnubilées par ce facteur – de vérifier qu’ils continuent d’avoir de la valeur.
Incidemment, avec « Mise sur le marché des pesticides : mode d’emploi », le blog Résonnances – sous-titré : « L'agriculture par ceux qui la connaissent » – propose un résumé fort utile de la réglementation.
Quand les autorisations initiales et, le cas échéant, suivantes ont été accordées de manière relativement synchrone pour des durées identiques, il n'est pas surprenant que plusieurs pays se penchent en même temps ou presque sur la même substance. Nous avons appris que la Commission Européenne allait proposer aux États membres un renouvellement pour dix ans (voir pas exemple ici). Le Canada a précédé l'Europe le 28 avril 2017 et ré-autorisé le glyphosate – dans le silence médiatique par chez nous... Imaginez les articles du Monde Planète si la décision avait été négative...
Résumé selon une déclaration de Santé Canada :
« Santé Canada a publié la décision de réévaluation définitive concernant le glyphosate. Au terme d'une évaluation scientifique rigoureuse, Santé Canada a déterminé que les produits contenant du glyphosate, s'ils sont utilisés conformément au mode d'emploi qui figure sur l'étiquette, ne posent aucun danger pour la santé humaine et l'environnement.
[...]
En fonction de cette réévaluation, Santé Canada poursuivra l'homologation de produits contenant du glyphosate, mais exigera que les étiquettes de produits soient mises à jour afin d'assurer une protection supplémentaire pour les humains et l'environnement. D'ici avril 2019, les fabricants devront faire en sorte que toutes les étiquettes commerciales de pesticides contenant du glyphosate comportent les éléments suivants :
Un énoncé indiquant que la période d'interdiction d'entrée dans la zone où des produits contenant du glyphosate ont été pulvérisés doit être de 12 heures après l'application dans les zones agricoles.
Un énoncé indiquant que le produit doit être appliqué seulement lorsque le risque de propagation vers des zones d'activités humaines, comme des maisons, des chalets, des écoles et des aires de loisirs, est minime.
Des instructions concernant l'aménagement de zones tampons durant la pulvérisation afin de protéger les endroits non ciblés et les habitats aquatiques contre une exposition accidentelle.
Des mises en garde pour réduire le risque de ruissellement du glyphosate jusqu'aux milieux aquatiques. »
Rien de révolutionnaire, donc.
Santé Canada a aussi publié un document de consultation plus détaillé qui contient quelques éléments fort intéressants (de consultation car le public peut encore présenter des objections).
Voici, du résumé :
« Au cours de ce réexamen, l’ARLA [Agence de Réglementation de la Lutte Antiparasitaire] a évalué le risque potentiel que présente le glyphosate pour la santé humaine en raison de l’exposition à ce produit par l’eau potable, les aliments, en milieu professionnel ou de façon fortuite, ainsi que les risques environnementaux pour les organismes non ciblés. Cette réévaluation a porté sur le principe actif et les préparations. L’évaluation reposait sur les renseignements disponibles fournis par les fabricants des pesticides, la littérature scientifique volumineuse publiée sur le sujet, les données de surveillance (par exemple, surveillance des eaux souterraines et des eaux de surface) et les examens réalisés par d’autres organismes de réglementation.
Le réexamen du glyphosate donne lieu aux constats suivants :
Le glyphosate n’est pas génotoxique et il est peu probable qu’il présente un risque de cancer pour les humains.
L’exposition par le régime alimentaire (eau potable et aliments) associée à l’utilisation du glyphosate ne devrait pas présenter de risque pour la santé humaine.
Les risques professionnels et résidentiels associés à l’utilisation du glyphosate ne sont pas préoccupants, sous réserve que les modes d’emploi révisés figurant sur les étiquettes soient respectés.
L’évaluation environnementale a conclu que des zones tampons sont nécessaires pour atténuer les risques potentiels pour les espèces non ciblées (par exemple, végétation près des zones traitées, invertébrés aquatiques et poissons) dus à la dérive de pulvérisation.
Les produits contenant du glyphosate ne devraient pas poser de risques préoccupants pour l’environnement lorsqu’ils sont utilisés conformément au mode d’emploi proposé sur l’étiquette.
Toutes les utilisations homologuées du glyphosate ont une valeur pour lutter contre les mauvaises herbes dans l’agriculture et la gestion des terres non agricoles. »
La désinformation étant soigneusement entretenue en Europe sur les sources des données utilisées, soulignons le membres de phrase : « la littérature scientifique volumineuse publiée sur le sujet, les données de surveillance ». Non, trois fois non, les évaluations des autorités ne se font pas uniquement sur la base des études fournies par les fabricants.
Dans le corps du texte, cela donne :
« La réévaluation se fonde sur les données fournies par les titulaires, sur des rapports scientifiques publiés, sur des renseignements provenant d’autres organismes de réglementation et sur tous les autres renseignements pertinents. »
En France, nous avons eu une controverse sur les herbicides à base de glyphosate contenant – en tant que surfactant – du POEA. Les produits en contenant ont été interdits – à grand renfort de publicité vantant la détermination d'une certaine ministre, et aussi de l'ANSES – puis dans toute l'Europe après exportation de la controverse française en direction de Bruxelles. Voici ce qu'en dit Santé Canada – du POEA, pas des aventures européennes :
« Amines de suif polyéthoxylées (POEA)
Les POEA constituent une famille de plusieurs composés qui sont utilisés comme tensioactifs dans de nombreux produits contenant du glyphosate et homologués au Canada. Aucun risque préoccupant pour la santé humaine n’a été relevé, pourvu que les préparations commerciales ne contiennent pas plus de 20 % de POEA en poids. Toutes les préparations commerciales de glyphosate actuellement homologuées au Canada respectent cette limite. »
Santé Canada est aussi revenu sur cette décision du CIRC dont on attend toujours qu'elle soit explicitée par cette agence de manière à dissiper les malentendus (on peut craindre qu'il faudra attendre longtemps...) :
« En mars 2015, le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a publié un résumé des résultats de sa classification des risques posés par cinq pesticides, y compris le glyphosate. Le CIRC a classé le glyphosate comme étant probablement cancérogène pour les humains. Il est important de souligner que la classification du CIRC est une classification des dangers et non une évaluation des risques pour la santé. Cela signifie que le niveau d’exposition humaine, qui détermine le risque réel, n’a pas été pris en compte par le CIRC. »
Enfin, on appréciera la partie sur la valeur du glyphosate :
« Le glyphosate joue un rôle important dans la lutte contre les mauvaises herbes au Canada, tant pour la production agricole que pour la gestion des terres non agricoles, et c'est l'herbicide le plus utilisé au Canada.
Le glyphosate est un herbicide important pour l’agriculture canadienne pour les raisons suivantes :
En raison principalement de son profil d’emploi étendu et souple, et de son large spectre de lutte contre les mauvaises herbes, c’est l’herbicide le plus abondamment utilisé sur plusieurs grandes cultures au Canada, notamment le canola, le soja, le maïs de grande culture et le blé. C’est également l’un des rares herbicides régulièrement utilisés dans les vergers, notamment pour la pomme.
C’est un herbicide essentiel utilisé sur les cultures tolérantes au glyphosate (GTC), y compris le canola, le soja, le maïs, le maïs sucré et la betterave à sucre. La combinaison GTC-glyphosate a été adoptée comme pratique importante de la production agricole au Canada.
Sa fenêtre d’application est très large, allant de l’application présemis à post-semis (c’est à dire avant même la levée des plantules), en culture, en préculture ou en post-culture, ce qui permet l’établissement d’un programme souple et efficace de lutte contre les mauvaises herbes.
C’est l’un des rares herbicides qui peut également être utilisé comme gestion des récoltes et traitement de dessiccation.
Le traitement du chaume après la récolte à l’aide du glyphosate permet également de réduire le labour, voire de s’en passer, ce qui a facilité l’adoption d’une agriculture de conservation qui se traduit par une meilleure qualité des sols.
Le glyphosate est également un important outil de lutte contre les mauvaises herbes, et il est largement utilisé pour lutter contre les mauvaises herbes sur les terres non agricoles, notamment dans les forêts, les zones industrielles et le long des emprises. C’est un outil efficace pour lutter contre de nombreuses espèces invasives de mauvaises herbes, et on l’utilise également pour lutter contre les plantes toxiques, notamment l’herbe à puce. »
Cette décision n'a évidemment pas été du goût de la mouvance anti-pesticides. La Fondation David Suzuki présente ainsi dans un communiqué, « L'évaluation du glyphosate par Santé Canada inadéquate, soutiennent des groupes environnementaux » toute une série d'objections, par exemple :
« "L'utilisation répandue du glyphosate contamine l'environnement ainsi que les aliments que nous consommons, affirme Louise Hénault-Éthier, chef des projets scientifiques pour la Fondation David Suzuki. Les études démontrent que le glyphosate persiste dans l'environnement et que les zones tampons comme les bandes riveraines végétalisées ne sont pas nécessairement efficaces pour prévenir la dérive dans les cours d'eau. De plus, l'Agence canadienne d'inspection des aliments rapportait il y a deux semaines qu'un tiers de nos aliments contiennent des résidus de glyphosate", conclut Mme Hénault-Éthier.
Le Centre international de recherche sur le cancer, une agence de l'OMS, classifie le glyphosate comme étant "probablement cancérogène pour l'humain". Plusieurs chercheurs considèrent aussi les herbicides à base de glyphosate comme des perturbateurs endocriniens. »
Décidément, on ne sort pas de la rhétorique du disque rayé, particulièrement en ce qui concerne le CIRC.
Quant aux résidus de glyphosate dans les aliments, le document résumé est ici. Constat :
« En 2015-2016, l'ACIA a analysé un total de 3188 échantillons d'aliments aux fins de détection de glyphosate. Du glyphosate a été détecté dans 29,7 % des échantillons. Des résidus de glyphosate excédant les LMR ont été détectés dans seulement 1,3 % des échantillons. Cette donnée a été évaluée par Santé Canada, et aucune préoccupation pour la santé humaine n'a été décelée. »
Mais agiter les détections, c'est l'arme de guerre de l'activisme anti-pesticides... Et « La peur, ça marche toujours ! » Enfin... nous doutons fort que cela puisse ébranler les autorités canadiennes.