Glyphosate, bière et Monsanto : une interview de Roland Solecki, du BfR
Risk-monger*
Le mois dernier, la Süddeutsche Zeitung a publié une interview intéressante de M. Roland Solecki, de l'Institut Fédéral Allemand d'Évaluation des Risques (BfR), sur le processus d'approbation du glyphosate. Le BfR est l'organisme qui a oeuvré pour le compte des États membres de l'UE à l'évaluation du glyphosate. Roland Solecki est le chef du département responsable de la sécurité des pesticides. Le BfR, ainsi que l'EFSA (Autorité Européenne de Sécurité des Aliments), ont critiqué la gestion de l'évaluation du danger du glyphosate par le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer).
Comme l'interview a été publiée, en allemand, derrière un péage, nombreux sont ceux dans le monde anglophone [et francophone] qui n'en ont pas entendu parler ; mais les déclarations de M. Solecki sont tellement pertinentes que cela vaut la peine de les partager. Les faiblesses dans le texte sont les miennes [dixit Risk-monger ; en ce qui me concerne, cela peut aussi être traduttore, traditore], les forces sont du Dr Solecki et du journaliste, Jan Heidtmann (ses questions sont en gras).
Voici les principaux extraits de l'interview du Dr Solecki par le quotidien allemand : Süddeutsche Zeitung, édition du 19 avril 2017. [Les] commentaires [de Risk-monger] sont en en bas des textes cités, lesquels sont mis en italiques.
Le glyphosate est-il sûr ? La dose fait le poison
« Boiriez-vous du glyphosate ?
Roland Solecki : Je ne bois généralement aucun produit phytopharmaceutique.
Des millions de personnes le font. Dans chaque bière, il y a du glyphosate. En fait, vous pouvez détecter des traces de glyphosate dans tous les aliments possibles et imaginables. La question est : en quelles quantités ? Par exemple, pour en rester à la bière : vous devriez boire environ un millier de litre en une fois pour que la quantité de glyphosate ingérée puisse vous nuire. Mais vous seriez mort bien avant par empoisonnement par l'alcool.
Le glyphosate a d'abord été introduit par la société américaine Monsanto il y a 40 ans. Pourquoi n'est-il toujours pas clair s'il peut déclencher un cancer chez l'homme ?
Roland Solecki : Nous sommes déjà d'avis que nous pouvons énoncer scientifiquement ceci : lorsque le glyphosate est utilisé correctement dans l'agriculture, il n'y a pas de risque de cancer pour les humains. C'est ce que les autorités des États-Unis, du Canada, de l'Australie, du Japon et de la Nouvelle-Zélande constatent.
Néanmoins, il existe une forte controverse quant à savoir si la substance devrait continuer d'être autorisée en Europe.
Roland Solecki : Tant que le glyphosate a été sur le marché, nous l'avons toujours évalué. Cela est nécessaire pour prendre en compte le dernier état de la science. La rotation est d'environ dix ans. Jusqu'à présent, nos résultats ont été largement acceptés.
Pourquoi alors ce débat féroce depuis deux ans ?
Roland Solecki : Cela peut avoir plusieurs raisons. Au cours des deux dernières années, des rapports sur l'utilisation du glyphosate en Amérique du Sud ont atteint l'Europe. En Amérique du Sud, il a été largement utilisé dans les conditions, il me semble, très difficiles. Par exemple, en plus du glyphosate, d'autres substances actives pesticides interdites en Europe ont été pulvérisées par avion. Des malformations ont également été associées à cette utilisation massive, mais leurs causes ne sont pas encore prouvées. Dans le même temps, les méthodes d'analyse des aliments sont devenues de plus en plus performantes. De petites quantités de glyphosate qui n'avaient pas été trouvées précédemment peuvent être détectées maintenant. »
L'un des points remarquables ici est la patience et la politesse de gens comme le Dr Solecki. Si quelqu'un m'aborde et me dit : « Je suis très préoccupé par les conséquences pour la santé du glyphosate après avoir bu 4.000 bières par jour », j'aurais du mal à être poli. Je pense que tout activiste d'ONG qui essaie de vendre des arguments aussi stupides que celui-ci devrait être sorti de la salle sous les quolibets, plutôt que de se voir donner un microphone et la possibilité de faire perdre son temps à tout le monde !
Sur la conclusion du CIRC : « Le glyphosate cause le cancer »
« Le conflit sur la question de savoir si le glyphosate peut déclencher un cancer est également mené avec véhémence par des scientifiques renommés. Contrairement au BfR, le CIRC considère que le glyphosate est "probablement cancérigène". Le CIRC est, après tout, l'agence de recherche sur le cancer de l'Organisation Mondiale de la Santé.
Roland Solecki : J'apprécie beaucoup les collègues du CIRC. Mais il existe dix institutions internationalement reconnues, ainsi que l'organe conjoint de l'Organisation Mondiale de la Santé et de l'organisation nutritionnelle de l'ONU [la FAO], qui concluent que : le glyphosate correctement appliqué ne déclenche pas le cancer. Et un groupe (le CIRC) a déclaré qu'il déclenche potentiellement le cancer.
La chimie est une science claire – pourquoi ces évaluations différentes ?
Roland Solecki : Je suis dans les sciences depuis 40 ans, et il y a toujours des opinions différentes. Cela peut être dû à l'objectif d'une évaluation. La mission du CIRC est d'examiner toutes les substances possibles, de la viande rouge aux colorants capillaires, afin de déterminer si elles pourraient causer un cancer. Dans le cas du glyphosate, le CIRC n'a utilisé qu'une partie des études déjà disponibles pour l'herbicide. Les données qu'ils avaient ont été évaluées en profondeur par des collègues du CIRC. Mais ce n'était qu'une partie des connaissances existantes sur le glyphosate.
L'étude du CIRC serait donc sans valeur. Est-ce bien cela ?
Roland Solecki : L'étude du CIRC nous a conduit, d'une part, à l'analyser à fond et à examiner une fois de plus de manière critique notre propre évaluation, comme cela est habituel dans la science. D'autre part, elle a stimulé un débat sur le point de savoir si les résultats des études de l'industrie devraient également être mis à la disposition du public, ce que nous appuyons fermement, en ce qui concerne les exigences légales à ce sujet. »
La dernière réponse de Solecki est importante. La seule valeur réelle de la monographie du glyphosate du CIRC est qu'elle a incité d'autres organismes et instituts de recherche à revenir sur le sujet et à vérifier soigneusement leurs résultats. Les agences, comme le BfR, sont maintenant plus sûres que jamais que le glyphosate est sûr. Pour la question du rôle de l'industrie dans la production de données de recherche, je pense que nous devons nous pencher sur la mentalité de chasseurs de sorcières des activistes anti-industrie (y compris sur les déclarations honteuses de ceux du CIRC) et résister à leur alarmisme.
Sur les Monsanto Papers
À l'heure actuelle, certaines études sont critiquées en ce qu'elles approuvent la ré-autorisation du glyphosate. La société américaine Monsanto a, dit-on, une influence sur les autorités et les scientifiques et a également écrit des études. Avez-vous eu des contacts avec Monsanto ?
Roland Solecki : Oui, j'ai eu trois demandes d'informations par courriel de Monsanto. Les employés voulaient savoir à qui ils devaient envoyer des données supplémentaires. Je les ai renvoyés à l'Office Fédéral de la Protection des Consommateurs, où les données ont leur place. Nous devons divulguer tout le trafic par courriel avec l'entreprise. Incidemment, nous n'avons utilisé aucune des études critiquées dans la suite donnée à notre évaluation, et dont il est dit qu'elles sont en faveur de la ré-autorisation du glyphosate.
Peut-être pas directement. Toutefois, ces études ont été incluses dans les évaluations de l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) et ont donc conduit à une évaluation positive du glyphosate.
Roland Solecki : Je ne peux parler que pour le BfR : nous examinons les études que nous obtenons, selon leur signification scientifique. Si elles ne satisfont pas aux critères scientifiques, nous ne les utilisons pas. La signification des quelques études actuellement discutées est, en outre, faible. L'évaluation de l'EFSA et des États membres repose principalement sur les études initiales et les données brutes sous-jacentes. Il n'existe actuellement aucune preuve solide indiquant que les avis scientifiques, directement ou indirectement soutenus par l'industrie, pourraient avoir influencé l'évaluation des risques du glyphosate par l'UE, ou même conduit à une évaluation positive du glyphosate. »
La stratégie des activistes militant aujourd'hui pour le secteur du bio est lamentable et contraire à l'éthique. Un message d'un consultant exubérant de Monsanto, et ils veulent que toutes les preuves et données soient rejetées. Comme le dit Solecki, les études en question étaient insignifiantes. Tous les militants qui utilisent les foutaises des Monsanto Papers admettent essentiellement qu'ils sont des escrocs – ils n'ont en main aucune preuve ni science et espèrent seulement soulever suffisamment de colère et de doute pour faire rejeter toutes les preuves.
Comment fonctionnent les évaluations des risques
« La méfiance est nourrie précisément par le fait que les entreprises elles-mêmes commandent et supervisent les études, que les institutions européennes utilisent ensuite comme fondement de leur évaluation.
Roland Solecki : C'est effectivement le cas que les législateurs en Amérique, en Europe, en Allemagne ont posé : si quelqu'un veut produire une voiture, il doit fournir la preuve de sa sécurité. Si quelqu'un veut vendre un médicament, il doit apporter la preuve de sa sécurité. Et si quelqu'un veut introduire un herbicide comme le glyphosate sur le marché, il doit également fournir la preuve de sa sécurité. Comme je l'ai dit, les résultats sont alors minutieusement contrôlés. Cette réglementation est également liée aux coûts de ces études, car ils peuvent aller dans les millions. J'aimerais savoir ce qui se passerait si le public devait payer ces études pour les entreprises privées.
Néanmoins, le processus est très unilatéral : les institutions qui préconisent le glyphosate se sont toutes fondées sur des études réalisées par des entreprises. Des sources indépendantes, comme le CIRC, sont déclarées non pertinentes.
Roland Solecki : Ces études sont examinées selon des règles légales claires. Il y a des centaines de scientifiques impliqués dans des organismes indépendants. Ce ne sont pas des personnes payées par l'industrie, ce sont des experts hautement qualifiés qui ont également une réputation à défendre. Je ne connais aucune institution qui préconise le glyphosate qui ait entrepris ses propres études. Elles se sont toutes fondées sur des études réalisées par des entreprises et sur une recherche exhaustive dans la littérature. Le CIRC n'a pas été déclaré sans pertinence par nous. Le classement du CIRC repose également sur des études financées par l'industrie. Contrairement au BfR, cependant, ces études du CIRC n'ont pas été publiées en original, mais seulement indirectement par le biais de publications.
Ne serait-il pas plus judicieux que les institutions de l'État commandent et contrôlent les études et que les entreprises paient ?
Roland Solecki : Il y a eu un débat politique intense depuis des années sur ce sujet. Cependant, le législateur décide des règles pour l'examen des matières actives, et nous n'avons aucune influence sur celles-ci. En tant que scientifique et évaluateur, je considère la qualité scientifique des études et des données sous-jacentes, et non la source de l'information.
Scientifiquement, cela peut être valide. Pouvez-vous néanmoins comprendre que les gens s'inquiètent à la suite du débat sur le glyphosate ?
Roland Solecki : Je peux comprendre cela. Mais je peux seulement dire que d'un point de vue scientifique, nous essayons de protéger les gens. Les produits phytopharmaceutiques sont testés bien plus que presque tous les autres produits chimiques. Les produits chimiques ménagers ne sont pas testés avec autant de rigueur, ni les produits cosmétiques. Et cela, même si vous appliquez ceux-ci quotidiennement sur votre peau. »
Ce sont des informations de base que certains d'entre nous ont oubliées dans l'hystérie fomentée par les activistes anti-industrie, anti-glyphosate. Si l'industrie produit une substance ou un article, elle est tenue d'en prouver la sécurité. L'industrie a l'expertise, et le rôle de l'organisme de réglementation est de s'assurer que l'industrie utilise correctement cette expertise. Monteriez-vous dans un avion si on vous disait que la sécurité de cet avion n'a pas été testée par la compagnie aérienne ou le fabricant de l'avion, mais par un régulateur ? Cela ne signifie cependant pas que le régulateur accepte aveuglément ce que fournit le scientifique de l'industrie. Le rôle du régulateur est de contrôler le processus et d'assurer la sécurité publique. Comme le dit Solecki, la réputation de centaines de scientifiques de la réglementation impliqués dans le BfR est en jeu – ils n'acceptent pas aveuglément toutes les études.
Commentaire intéressant sur l'hypocrisie du CIRC (ma conclusion [de Risk-monger, mais c'est aussi la mienne]). Le CIRC utilise des recherches financées par l'industrie, mais plutôt que d'analyser les données brutes (comme le BfR et l'EFSA), il ne tient compte que des données publiées. Le CIRC aurait-il dû être aussi fier d'une telle limitation ?
J'apprécie l'honnêteté et l'ouverture d'esprit du Dr Solecki. Sans aucun doute, il a été personnellement attaqué par des militants fanatiques à l'esprit obtus, obnubilés par la mise en œuvre de leur dogme fondamentaliste sur le glyphosate. Qu'il défende si patiemment et poliment le processus (même face à un journaliste qui sait qu'il doit « nourrir la bête ») mérite mon respect. Ses paroles nous rappellent à la nécessité d'être raisonnable. Malheureusement, la force des activistes et la faiblesse des décideurs dans l'Âge du Stupide signifient que de tels mots pleins de sagesse sont rarement reçus et rarement discutés.
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* David pense que la faim, le SIDA et des maladies comme le paludisme sont les vraies menaces pour l'humanité – et non les matières plastiques, les OGM et les pesticides. Vous pouvez le suivre à plus petites doses (moins de poison) sur la page Facebook de Risk-Monger.