À propos du glyphosate : « La peur, ça marche toujours ! »
Schillipaeppa*
Plus de [746.000] personnes ont signé à ce jour [18 mai 2017, 9 heures] l'initiative citoyenne européenne « Stop glyphosate ». L'objectif de l'initiative est de réunir jusqu'au 15 juin 2017 au moins un million de signatures**. De toute évidence, tout moyen est bon à prendre pour motiver les gens. Ainsi, la partie « Pourquoi est-ce important ?» de l'appel se conclut en français par :
« Agissez maintenant : signez notre Initiative Citoyenne contre le poison cancérigène de Monsanto. »
L'Agence Européenne des Produits Chimiques (ECHA) voit les choses différemment. Selon son verdict du mois de mars de cette année :
« Le Comité d'Évaluation des Risques (CER) de l'ECHA convient de maintenir le classement harmonisé actuel du glyphosate en tant que substance causant des lésions oculaires graves et toxique pour la vie aquatique avec des effets durables. Le CER a conclu que les preuves scientifiques disponibles ne répondaient pas aux critères pour classer le glyphosate comme cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction. »
Selon ce communiqué, le glyphosate n'est donc ni cancérigène, ni mutagène, ni toxique pour la reproduction. Seule l'Agence Internationale de Recherche sur le Cancer (CIRC), une agence de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), a classé l'herbicide glyphosate comme « probablement cancérogène » (groupe 2A), en mars 2015. Que signifie ce classement ? Le CIRC écrit dans le communiqué de presse [notre traduction, le CIRC n'ayant pas estimé nécessaire de produire une version française de son communiqué de presse] :
« Le Groupe 2A signifie que l'agent est probablement cancérogène pour l'homme. On emploie cette catégorie lorsque l'on dispose d'indications de cancérogénicité limitées chez l'homme et suffisantes chez l'animal expérimental. Indications limitées signifie qu'une association positive a bien été observée entre l'exposition à l'agent et l'apparition d'un cancer, mais que d'autres explications pour ces observations (le hasard, un biais ou des facteurs de confusion) n'ont pas pu être exclues. Cette catégorie est aussi utilisée quand il y a des preuves limitées de cancérogénicité chez l'homme et des données solides sur la façon dont l'agent provoque le cancer. »
Il est donc clair que l'étiquette du CIRC « probablement cancérogène » n'a rien à voir avec la formule du langage courant : « le produit x est une substance probablement cancérogène ». Ce n'est qu'une définition technique qui décrit le niveau de preuve que les chercheurs ont trouvé dans leur matériel d'étude.
Retour à l'initiative citoyenne : encore en mars, les internautes pouvaient consulter à cette adresse les derniers chiffres sur le nombre de signataires dans chacun des pays de l'UE. Malheureusement, cette fonctionnalité est maintenant désactivée. Autant de transparence... vous n'y pensez pas... En réponse à une demande par courriel, l'organisation faîtière WeMove m'a donné la situation actuelle pour chaque pays. Le 16 mai 2017, la distribution des signataires par pays d'origine se présentait comme suit :
De loin, le plus grand nombre de signatures provient d'Allemagne. Par rapport à la population, l'image est la suivante:
C'est le Luxembourg qui est en tête, suivi par l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique et le Danemark. Pourquoi le Luxembourg ? Un regard sur le revenu moyen dans chaque pays mesuré par le produit intérieur brut (PIB) par habitant donne un élément de réponse : le Luxembourg est de loin le pays le plus riche de l'Union Européenne.
Les préoccupation au sujet de la chimie dans les aliments semblent donc être dans une certaine mesure un phénomène de prospérité. Et cela alors que les résidus de glyphosate que l'on trouve couramment dans les aliments sont tout à fait négligeables en termes de danger éventuel pour la santé (en anglais ici).
Si les acteurs de l'initiative s'intéressaient vraiment à la santé, ils devraient organiser une campagne contre l'alcool. Le CIRC a déterminé sans laisser de doute que l'alcool (en chimie « éthanol ») est cancérogène.
Évaluation du CIRC tirée de la monographie « Consumption of Alcoholic Beverages »
Avec l'interdiction de l'alcool, les partis écologistes et les ONG réaliseraient bien plus en termes d'attention pour la santé que ce qu'ils pourraient obtenir grâce à leur activisme contre un produit de protection des plantes relativement inoffensif. Encore une fois, pour être clair : Hé ! Le CIRC a classé l'alcool dans le Groupe 1 de cancérogénicité (« provoque le cancer » – voir image). En tant que matière active d'un produit de protection des plantes, l'alcool ne pourrait donc probablement pas obtenir une autorisation ; mais on le trouve aligné sur des mètres et des mètres dans les rayons de nos supermarchés, et personne ne s'en émeut.
Proportion des décès attribuables à l'alcool, carte : OMS
Selon les données de l'OMS, environ 3,3 millions de personnes meurent chaque année des effets de la consommation d'alcool. En Allemagne, de 2 à 4,9 pour cent des décès sont dus à la consommation d'alcool (voir la carte).
L'argument « je consomme de l'alcool en connaissance de cause» ne tient pas dans ce cas, car il y a de l'alcool caché dans de nombreux aliments, où l'on ne s'attend pas à trouver la substance, par exemple dans le pain, les fruits et les jus de fruits, et le kéfir. Même les boissons portant la mention « sans alcool » peuvent en contenir. Le portail des consommateurs bavarois fournit des informations :
« Les boissons avec moins de 0,5 pour cent d'alcool en volume ne sont pas soumises à déclaration et peuvent porter la mention "sans alcool". Dans la bière de malt qui est souvent bue par les enfants, il peut y avoir jusqu'à 1 pour cent d'alcool en volume. »
Voilà une situation qui permettrait aux initiateurs de pétitions pour la protection des consommateurs de vraiment se défouler et faire de la sensibilisation du public. Mais les partis écologistes et les ONG ne le feront pas parce que ce serait un sujet impopulaire et donc « impropre pour une campagne ». La consommation d'alcool est socialement acceptée et courante. Que l'alcool ne soit pas bon pour la santé est largement connu. C'est un sujet qui ne permet pas de susciter la peur et l'attention. Les avertissements de la Société Allemande pour la Nutrition (par exemple : « Avec chaque verre d'alcool, le risque de cancer augmente ») s'évanouissent sans susciter de réactions. Il s'agit pourtant de risques bien réels pour la santé.
La société devrait bien réfléchir à la question de savoir comment elle veut traiter des mises en scène telles que l'initiative contre le glyphosate. Que vaut une pétition de Campact avec 250.000 signatures sur le marché des opinions ? Les campagnes de Campact ont presque toutes un écho à six chiffres. Celle qui a le moins de succès concerne les réfugiés ; elle croupit depuis des années à moins de 200 000 signatures – ben quoi... ce n'est pas un bon support de campagne.
Pour nous éclairer sur les mécanismes qui président à ces campagnes de peur, je recommande le film de Disney « Zootopie ». Dans la ville de Zootopie, tous les animaux – prédateurs et proies – vivent ensemble dans la paix. Pour arriver au pouvoir et prendre la place du maire (un prédateur), un méchant (une proie) fomente un complot contre les prédateurs : en leur donnant un poison à leur insu, il les rend agressifs et ceux-ci attaquent d'autres animaux, de sorte que les proies prennent soudain peur devant les prédateurs et ne leur font plus confiance. La méfiance règne désormais et règle la vie à Zootopie. Lorsque l'héroïne du film évente la machination, elle interroge le méchant :
« Ah, c'est donc ça : les proies ont peur des prédateurs et Vous restez au pouvoir ? Ça ne marchera pas ! »
Et le méchant répond:
« La peur, ça marche toujours ! »
_________________
* L'auteure a fait des études de philosophie, est éditrice et a atterri il y a déjà plus de dix ans à la campagne. Sur son blog, elle (d)écrit – miracle ! La traduction peut être fidèle – ce qui la préoccupe, lorsqu'elle n'est pas en train de curer l'écurie des poneys, de chercher des gants de gardien de but, de s'occuper de quantités de denrées alimentaires ou de linge, ou encore de tenter d'arracher les mauvaises herbes plus vite qu'elles ne poussent.
** Ma note : selon un mien pointage, très rudimentaire, il s'ajoute entre 1.500 et 2.000 signatures par jour. L'objectif est sur cette base hors de portée.
Par ailleurs, la Commission a annoncé qu'elle proposerait un renouvellement du glyphosate pour dix ans lorsque l'ECHA aura communiqué son rapport final. La tentative d'interférer dans le processus de décision avant son tout premier stade aura donc échoué.
Source : https://schillipaeppa.net/2017/05/17/das-mit-der-angst-funktioniert-immer/