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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Les « nouveaux OGM » sur Sciences et Avenir : vulgarisation du défaitisme, vulgarité de la mauvaise foi

14 Avril 2017 , Rédigé par Seppi Publié dans #CRISPR, #critique de l'information, #Activisme

Les « nouveaux OGM » sur Sciences et Avenir : vulgarisation du défaitisme, vulgarité de la mauvaise foi
 

CRISPR infographic

(Source)

 

Le numéro d'avril 2017 de Sciences et Avenir est arrivé. Coup d'œil sur le sommaire... il contient un trois-pages, « Les "nouveaux OGM" débarquent ».

 

Première réaction d'irritation, vite calmée : après tout, il faut un titre bref et accrocheur, et « nouveaux OGM » est entre guillemets. Le début du texte est plutôt plaisant, même s'il n'échappe pas aux clichés. Ainsi, CRISPR est présenté comme une « technique d'édition génétique bien plus puissante et précise […] que les outils de transgénèse classique ». En fait, chaque technique de modification génétique a son domaine d'excellence, et donc d'application privilégiée.

 

Mais, pour entrer dans le vif du sujet, on fait remarquer fort justement :

 

« En dépit de toutes ses qualités, la technique pourrait pâtir de la mauvaise réputation de ses prédécesseurs OGM et se voir sérieusement entravée. C'est du moins ce que craignent les défenseurs de CRISPR. »

 

L'article décrit donc les positions. M. Christophe Perin, du CIRAD de Montpellier, est cité :

 

« Il existe deux positions pour simplifier. Soit on se focalise sur les produits et dans ce cas, l'autorisation doit être attribuée au cas par cas en fonction du gène modifié. Soit on se concentre sur la méthode pour décider que tout ce qui a été obtenu de manière non naturelle est un OGM. Mais c'est une décision sociétale, pas scientifique. »

 

Cela se poursuit par l'évocation de procédures judiciaires au niveau du Conseil d'État et de la Cour de Justice de l'Union Européenne – en bref, il s'agit de savoir comment une législation déjà ancienne s'applique aux nouvelles techniques ou, plutôt, à leurs produits – et du coup de pub de M. Stefan Jansson, de l'Université d'Umea (Suède). Celui-ci a en effet servi, l'été dernier, le premier repas avec du chou « crispérisé ».

 

(Source)

 

L'un de ces deux éléments aurait pu servir de conclusion. Mais il fallait bien évidemment caser le point de vue « opposé ». Non pas opposé aux points de vue décrits précédemment – puisque ceux-ci sont factuels et surtout nuancés – mais opposé aux « nouveaux OGM ». Et, immanquablement, on sort M. Yves Bertheau de la naphtaline pour une séquence « bouh ! Ça fait peur ». Par exemple :

 

« …des problèmes subsistent. Yves Bertheau […] en voit trois. […] Ensuite les effets hors cible que CRISPR pourrait provoquer en dehors du site visé. "Des modifications que l'on ne sait ni correctement prédire, ni détecter ni éliminer.»

 

C'est très exagéré pour la détection et l'élimination. Et ce sont des modifications qui ne sont pas très différentes de par leur nature et leurs effets à ceux qui peuvent se produire lors de la banale mitose, la multiplication des cellules. Cette séquence est immanquablement suivie d'un couplet sur ce vilain Haut Conseil des Biotechnologies dont, début 2016,

 

« Yves Bertheau claquait ainsi la porte […] "suite à un rapport incomplet et scientifiquement mauvais sur ces 'nouveaux OGM'... »

 

 

Fragment Analyzer used in CRISPR/Cas9 research

(Source)

 

Plus d'une année s'est écoulée depuis l'esclandre – que nous prenons pour une piètre manipulation, une sorte de dépêche d'Ems de pacotille (voir notamment ici et ici). Sciences et Avenir nous ressert pourtant les mêmes niaiseries sans avoir examiné cette triste affaire de plus près.

 

Plus d'une année s'est écoulée, et M. Bertheau est le seul ou presque, avec un bagage scientifique conséquent, à propager la peur sur des techniques d'amélioration des plantes dont une partie des applications (les modifications qui n'incluent pas l'ajout d'un gène étranger) relève de la mutation exploitée par l'humain depuis l'aube de l'agriculture. Répétons-le : M. Bertheau agite donc des « effets hors cible » qui sont essentiellement de même nature que ceux qui se produisent lors de chaque division cellulaire.

 

Plus d'une année s'est écoulée, et M. Bertheau n'a pas été rejoint par des scientifiques de renom dans ses propos sur la qualité du document du HCB incriminé. Cela fait onze mois que ses griefs ont été publiés... ce n'est pas anodin, par Inf'OGM (ici, ici et ici). Comment s'intitulent les griefs exprimés peu après la démission ? « Notes circonstanciée [sic] quant au fonctionnement du Comité scientifique du HCB abordé au travers de l’exemple de la "discussion sur la note de synthèse du Groupe de travail" sur les nouvelles technologies de décembre 2015 » (c'est nous qui graissons).

 

Plus d'une année s'est écoulée, et M. Bertheau a fait la preuve des motivations qui l'animent : ce n'est pas la rigueur scientifique, mais le militantisme (pour une intervention récente dans un événement anti-OGM, voir ici).

 

Mais Sciences et Avenir n'en a eu cure. La revue lui laisse en fait le mot de la fin :

 

« Avec ces nouveaux organismes, on se retrouve dans la même économie de promesses qu'avec le clonage il y a 20 ans. »

 

C'est le texte mis en exergue avec sa photo et son curriculum :

 

« Yves Bertheau, biochimiste, directeur de recherche à l'Inra, membre démissionnaire du Haut Conseil des biotechnologies (HCB) ».

 

Intéressant curriculum : « membre démissionnaire »... son titre de gloire...

 

Mais revenons au propos. Dans le corps de l'article, c'est « ...qu'avec les OGM ou le clonage... » Et le journaliste ajoute :

 

« Beaucoup d'annonces mirobolantes, peu d'accomplissements véritablement nouveaux. »

 

Faut-il en rire ? En pleurer ? Trépigner de rage ? On baigne en plein dans la mauvaise foi.

 

Une « économie de promesses » pour des OGM « classiques » ? Ils sont cultivés sur quelque 180 millions d'hectares dans le monde (quelque 13 % des terres arables du monde) et ne doivent en grande partie la médiocrité de cette performance qu'aux obstacles qui sont mis à leur utilisation par les agriculteurs. Le mouvement anti-OGM se complaît à minimiser l'apport des OGM – tout en les présentant comme une menace agronomique, économique, sociale et environnementale – alors qu'il est en grande partie responsable des obstacles mis à leur développement et leur diffusion.

 

Et où sont « les promesses » et les « annonces mirobolantes » ailleurs que dans l'esprit de critiques prompts à monter un sophisme de l'homme de paille (et dans certains médias sensationnalistes) ?

 

En bref, les nouvelles méthodes de modification génétique sont à peine esquissées qu'elles sont déjà vilipendées et dénigrées. En plus dans une revue qui titrait il y a un an : « Génétique : CRISPR fait son entrée dans le monde de l'agriculture », et faisait état d'une trentaine de plantes modifiées par les nouvelles techniques et acceptées aux États-Unis ; il est vrai que ce n'est pas du même auteur...

 

Y a-t-il preuve plus éclatante d'un militantisme qui fait fi de la rigueur scientifique pour l'un et de la rigueur journalistique pour l'autre ?

 

Il y en a une ! Le clonage est pratiqué depuis des millénaires ! C'est même un élément fondamental de l'agriculture. On objectera peut-être que l'auteur du propos a visé le clonage animal... mais la rigueur rédactionnelle fait partie de la rigueur scientifique.

 

 

 

Post scriptum

 

Ce numéro contient aussi un articulet, « Moins de terres cultivées et d'agriculteurs » qui compare les situations en 1950, en France – 35 millions d'hectares cultivés, 2 millions d'exploitations – et en 2016 – 28 millions d'hectares cultivés, 452.000 exploitations. Commentaire :

 

« Des exploitations de moins en moins nombreuses produisant toujours plus sur de moins en moins de terres. C'est le chemin emprunté par l'agriculture industrielle depuis plus d'un siècle... » (c'est nous qui graissons).

 

L'obsession de l'agriculture « industrielle » est décidément maladive. Nous recommanderons à l'auteur de se renseigner sur l'augmentation de la productivité des exploitations qui ne se revendique pas de l'« agriculture industrielle ».

 

Cela se poursuit :

 

« Corollaire de ces évolutions : pollution des eaux et épuisement des sols... »

 

Là encore, renseignez-vous, M./Mme le/la journaliste (scientifique...). Et ouvrez votre focale : il vous apparaître que les 7 millions d'hectares qui ont été détournés de l'agriculture sont devenus en partie des forêts et en partie, hélas, des friches, des zones urbanisées, macadamisées, etc.

 

(Source) Cela commence à dater. Il n'y a plus de quoi pavoiser aujourd'hui.

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