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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Mortalité des abeilles : les manipulations du Monde Planète

28 Mars 2017 , Rédigé par Seppi Publié dans #critique de l'information, #Abeilles, #Pesticides

Mortalité des abeilles : les manipulations du Monde Planète
 

 

 

« Un pesticide interdit dépeuple des ruchers »... avec une histoire ancienne et un bon titre on fait croire à un événement actuel... Le Monde Planète l'a osé.

 

En prime, de l'institution bashing.

 

 

Le Monde Planète, de Mme Martine Valo et M. Stéphane Foucart, hélas encore...

 

Vous lisez un titre :

 

« Un pesticide interdit dépeuple des ruchers »

 

Vous pensez fort logiquement qu'il s'agit d'un nouvel épisode de mortalité... Et bien non, il s'agit d'une histoire ancienne.

 

En avril 2012, un apiculteur installe des ruches dans un verger de pommiers. Pratique courante : il faut polliniser. Mais c'est l'hécatombe. En cause, apparemment/prétendument, un fongicide, le Merpan (captane) dont les risques par voie orale et par contact sont considérés comme acceptables pour les abeilles. Mais le produit fabriqué par la société israélienne Makhteshim et commercialisé en France par sa filiale Adama entre 2011 et 2014 aurait aussi contenu du fipronil.

 

C'est nous qui mettons les conditionnels, même s'il y a des éléments extérieurs à l'affaire qui rendent les affirmations plausibles. Le Monde n'a pas cette prudence :

 

« Perquisitions, gardes à vue : l’enquête a été menée jusqu’au bout. On sait où, quand et par quel produit des dizaines de ruches ont été intoxiquées dans les vergers sarthois. On sait qui a fabriqué le pesticide en cause, on sait qu’il contenait une molécule interdite, on sait qui l’a distribué, qui l’a épandu. Mais il n’y a pas de coupable et nul dédommagement pour les apiculteurs lésés.

 

La magistrate chargée de l’instruction a en effet considéré qu’il n’existait pas de charges suffisantes contre quiconque dans cette affaire et a rendu, en décembre 2015, une ordonnance de non-lieu. [...] »

 

Voilà de quoi justifier un chapô :

 

« La justice refuse d’indemniser un apiculteur qui a perdu toutes ses abeilles dans la Sarthe. »

 

Un bel exemple de dénigrement de nos institutions, notamment de justice-bashing.

 

Et bien non, la justice n'a pas « refusé... » mais rendu une ordonnance de non-lieu. À moins de considérer que la magistrate était débile – ou « achetée », hypothèse très tendance dans l'industrie de la contestation – le couplet du « on sait tout » précité suscite, au moins chez le rationaliste, de sérieux doutes.

 

Il suffit en fait de lire avec attention. Des apiculteurs ont organisé une manifestation devant les locaux du Service Régional de l'Alimentation (SRAL) à Angers. Ils n'étaient que sept... Solidarité bien étrange... L'apiculteur a réclamé et obtenu les résultats d'analyse...

 

« Cependant, celles-ci ne permettent pas d’identifier le problème dans un premier temps. »

 

D'autre « contaminations » ont lieu en 2012 et 2013 dans la même région. Mais des prélèvements effectués chez un autre apiculteur sont égarés. Ah, la conspiration n'est pas très loin... Il n'empêche :

 

« L’enquête avance néanmoins et les soupçons se portent sur un fongicide... »

 

Vous avez bien lu : « soupçons »... En droit il faut des preuves.

 

L'histoire rocambolesque continue :

 

« En janvier 2014, la Direction générale de l’alimentation [...] confirme l’hypothèse d’une intoxication au fipronil. Mais elle ne lance pas d’alerte pour autant. Par conséquent, d’autres intoxications ont pu avoir lieu, soupçonne la Fédération française des apiculteurs professionnels (FFAP). »

 

Que signifie « confirme l’hypothèse... » ? D'une administration qui ne prend aucune mesure, alors qu'elle est si simple – lancer une alerte sur le Merpan ? Et encore des soupçons, mais rien de plus d'autres « intoxications ».

 

Pour bien nous convaincre, on évoque des mortalités d'abeilles en Suisse, mais avec un autre fongicide, en 2014 :

 

« Les lots incriminés sont rappelés par l’entreprise, qui négocie des indemnisations avec les apiculteurs touchés. "L’Etat suisse a fait son travail. Tout a été réglé en moins de six mois", note la FFAP. »

 

Cela n'a pas été aussi facile (chercher le rapport d'activité 2014 du Service Sanitaire Apicole ici) ! Et, comme le note M. Hans Peter Baumann, chef de l'état-major de l'Office de l'Agriculture et de la Nature du Canton de Berne, « il est relativement aléatoire, que vous pouvez identifier la source dans des traces si petites ».

 

Des indemnités ont été négociées en Suisse ? Certainement pas par l'État. En France,

 

« Adama reconnaît-elle une forme de responsabilité envers les victimes de ses produits ? "Nous n’avons jamais cherché à entrer en contact avec cet apiculteur, pourquoi l’aurions-nous fait ?", demande Stéphanie Le Hay, responsable des affaires réglementaires de l’entreprise [...] »

 

On peut retourner la question : l'apiculteur a-t-il cherché à entrer en contact avec Adama ?

 

Notons incidemment que le récit des intoxications et mortalités dans la Sarthe fait état de plusieurs cas en 2012 et en 2013. À Zäziwil, il y a eu un autre épisode en mai 2016... mais la cause était différente. Autre principe de droit : les faits relatifs à un événement différent ne sont pas forcément pertinent pour l'affaire en discussion.

 

On ne peut qu'éprouver un malaise certain à la lecture de cet article. Le monde se serait-il ligué contre l'apiculteur ?

 

« Je me suis adressé à quatre gendarmeries avant d’en trouver une cinquième, dans l’Eure, qui a accepté d’enregistrer ma plainte. »

 

Des gendarmeries qui refusent d'enregistrer des plaintes ? C'est là une grave mise en cause.

 

 

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Dans un article de Paris Match d'août 2012, « Les abeilles en péril 1/2 » – qui véhicule aussi des accusations et insinuations tous azimuts – c'est le vétérinaire qui est mis en cause :

 

« [L'apiculteur] a porté plainte, bien que le vétérinaire du service régional de l’alimentation à Angers ait tenté de l’en dissuader en le menaçant d’un possible ralentissement de l’enquête administrative en cours. »

 

Et la DRAL :

 

« Ladite ­enquête est menée par la Direction régionale de l’alimentation de l’agriculture et de la forêt (Draaf). Un organisme censé protéger les agriculteurs et les arboriculteurs peut-il également défendre les apiculteurs ? »

 

Dans le Monde, il a fallu batailler pour obtenir les résultats des analyses :

 

« Il a même dû s’adresser à la Commission d’accès aux documents administratifs pour pouvoir prendre connaissance des résultats d’analyses liées à son affaire. »

 

Mais pourquoi ne pas avoir évoqué une rencontre organisée par la DRAL ? Selon Ouest-France :

 

« Plus d'un an après les faits, le service régional de l'alimentation chargé de l'enquête restituait lundi [vraisemblablement 30 septembre 2013], au Mans, ses conclusions aux apiculteurs victimes et aux arboriculteurs locataires des ruches. Les premiers soupçonnant les seconds, par rapport à l'emploi de produits phytosanitaires. »

 

En ajoutant (gras dans l'original) :

 

« Les analyses n'ont pas trouvé de substances actives chez les abeilles mortes. "L'hypothèse la plus probable, admet le chef du service, Jean-Noël de Casanove, c'est que l'intoxication des abeilles est liée à l'utilisation de produits phytosanitaires. Mais il n'y a pas de trace suffisante de phytosanitaires pour établir un lien de cause à effet." »

 

En bref, le scénario auquel ont échappé les services suisses avec le concours de l'Institut Julius Kühn en Allemagne.

 

Mais au fait, pourquoi cet article du Monde ? Si la raison réelle est mystérieuse (quoique... il y a un article compagnon de M. Stéphane Foucart), il y a un prétexte :

 

« En attendant, [...] un apiculteur qui a perdu la plus grande part de ses essaims, entend relancer l’affaire en assignant au civil, avant la fin mars, le distributeur du produit mis en cause.

 

Il y a un véritable sens de l'opportunité au Monde Planète. Et faire croire à l'existence d'un fait actuel avec cette histoire, c'est vraiment très fort... et fort de café.

 

 

Les mortalités d'abeilles en Suisse en 2015 (source : chercher « Intoxications d’abeilles 2015 – Pourquoi les analyses sont-elles complexes ? »)

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