HCB : quand sa présidente appelle à un « débat ouvert » en jetant de l'huile sur le feu
Le Salon de l'Agriculture est l'occasion pour beaucoup de se rappeler à l'attention du public ; qui par des manifestations, qui par des livres (avec le plan com' qui va avec), qui par des articles dans les médias.
Mme Christine Noiville, présidente du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB), a publié dans le Monde daté du 27 février 2017 sur la toile « Pour un débat ouvert sur l’encadrement des plantes génétiquement modifiées ».
Ce texte se rapporte aux nouvelles techniques génétiques, dont CRISPR/Cas9 constitue l'exemple le plus médiatisé et le plus connu, et à la question de savoir comment les traiter au regard de la législation européenne (et, partant, française) sur les OGM. Le HCB a produit une description de ces techniques que l'on trouvera ici. Très brièvement, elles permettent d'induire des mutations de manière infiniment plus précise et fiable que les techniques maintenant « classiques » comme l'irradiation, et aussi d'insérer dans le génome des séquences étrangères d'ADN.
Les URL sont parfois sans pitié. Le titre original de l'article devait être « ...sortons du dialogue de sourds ».
Y avait-il eu dialogue ? Le HCB s'était auto-saisi de la question dans des conditions fort curieuses. Les procédures suivies n'ont pas été exemptes de critique et il est permis de se demander si tous les efforts ont été faits pour favoriser le dialogue.
Son Comité scientifique a été le théâtre d'un conflit théâtral et, au final, grotesque, ayant mené à la démission fracassante et fort médiatisée d'un de ses membres, M. Yves Bertheau, au début de 2016 ; nous avons évoqué cette affaire dans, notamment, « Glané sur la toile (69) : "Tempête au HCB Saison 2 : hystérie ou craintes justifiées?" sur Écologie Raisonnée », lequel se fonde sur une analyse fort pertinente.
Son Comité économique, éthique et social (CEES) a été le théâtre d'une juxtaposition de contributions collectives et individuelles contradictoires dont la lecture laisse entrevoir une absence de dialogue ou, si on veut, un dialogue de sourds. Tout cela s'est traduit par la démission de sept organisations au printemps 2016 : les Amis de la Terre, la Confédération Paysanne, la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique, France Nature Environnement, Greenpeace, le Réseau Semences Paysannes, l'Union Nationale de l’Apiculture Française.
Depuis lors, les démissionnaires ne sont pas revenus sur leur décision ; certains diffusent un discours d'opposition de principe, intransigeante, aux variétés issues de ces nouvelles techniques – et même aux produits de la technique des mutations induites, vieille de 80 ans. Ils n'ont pas non plus été remplacés, de sorte que le CEES, qui n'a pas vraiment été un forum de dialogue au cours des années passées, l'est encore moins.
Dès lors, plaider pour un « débat ouvert » relève de l'incantation.
En fait, il serait temps – peut-être pas pour Mme Noiville qui doit au minimum sauvegarder les apparences – de faire le bilan de cette structure, du point de vue de sa composition ainsi que de son principe. Le HCB a été créé par la loi No 2008-595 du 25 juin 2008 dans le sillage du Grenelle de l’environnement, par un gouvernement de surcroît mécontent des prestations de la Commission du Génie Biomoléculaire, dont les avis ne permettaient pas de succomber en toute quiétude à la démagogie, au populisme et au renoncement devant un progrès technologique qui fait se cabrer une opinion publique française frileuse et savamment manipulée par les marchands de peur – ajoutons : dans le quasi-silence des milieux éclairés. Le CEES a été conçu pour offrir une tribune à des organisations se prétendant de la société civile ou d'une certaine agriculture, à la présence médiatique bruyante, mais à la représentativité discutable ; et pour assurer au gouvernement la garantie qu'il aura sur chaque dossier des points de vue lui permettant de passer outre les avis scientifiques.
Qu'a produit le CEES sur les nouvelles techniques génétiques ? Une juxtaposition de déclarations, sans volonté de dialogue... à preuve... sept organisations dont les positions sont fondamentalement intenables dans le cadre de ce comité ont démissionné. Que revendiquent-t-elles en effet ?
« Elles revendiquent :
* pour tout organisme répondant à la définition de l'article 2.2) de la directive 2001/18, quelle que soit la technique de modification génétique utilisée pour le produire, y compris celles qui sont énumérées à l'annexe 1 B de la même directive :
– une obligation d'information du public sur les traits brevetés et sur les techniques de modification génétique utilisées, accompagnant tout document de commercialisation ou de promotion de matériel de reproduction,
– une obligation d'étiquetage des produits commercialisés qui en sont issus, facilement lisible par les consommateurs ;
* pour tout nouvel organisme répondant à la définition de l'article 2.2) de la directive 2001/18 et pour tout nouveau produit qui en est issu, quelle que soit la technique de modification génétique utilisée pour le produire, y compris celles qui sont énumérées à l'annexe 1 B de la même directive :
– l'application de l'ensemble des mesures découlant des réglementations européennes appliquées jusqu'à ce jour aux OGM issus de transgénèse (évaluation sanitaire et environnementale, étiquetage, suivi post-commercialisation...),
– une évaluation économique, éthique et sociale préalable à toute autorisation de dissémination.
Que dit l'Annexe I B de la directive ?
« Les techniques/méthodes de modification génétique produisant des organismes à exclure du champ d'application de la présente directive, à condition qu'elles n'impliquent pas l'utilisation de molécules d'acide nucléique recombinant ou d'OGM autres que ceux qui sont issus d'une ou plusieurs des techniques/méthodes énumérées ci-après, sont :
1) la mutagenèse;
2) la fusion cellulaire (y compris la fusion de protoplastes) de cellules végétales d'organismes qui peuvent échanger du matériel génétique par des méthodes de sélection traditionnelles. »
Résumons : le CEES, organe chargé de produire des recommandations, a été instrumentalisé pour exposer des revendications, de surcroît doublement incompatibles avec le droit en vigueur. Le champ d'application devrait être étendu selon ces organisations, y compris à des méthodes d'amélioration des plantes en usage depuis huit décennies (pour les mutations induites), et l'étiquetage devrait inclure des références aux brevets et aux techniques de modification.
Parmi les variétés de tournesol résistantes à un herbicide, il y en a qui sont issues de mutations induites et d'autres issues de mutations spontanées.
Et Mme Noiville décrit ainsi la situation :
« Pour assurer son rôle d’éclairage des pouvoirs publics, le HCB doit prendre de la distance par rapport à la manière dont se construit depuis deux ans le débat d’acteurs sur les NPBT et qui manifeste tous les ingrédients de la controverse polarisée que l’on a connue avec les plantes transgéniques. Ainsi voit-on s’affronter deux camps à couteaux tirés et à la stratégie sémantique ciselée. »
On peut sans peine adhérer au premier propos. Enfin pas vraiment, car il pose le problème général de la participation aux affaires publiques d'une « société civile » kidnappée par des entités qui n'en sont pas la représentation.
Quant à évoquer « deux camps à couteaux tirés », c'est jeter de l'huile sur le feu... empoisonner ce débat que l'on voudrait « ouvert ». Nous nous sommes déjà exprimés de manière critique sur le fonctionnement du HCB, et notamment évoqué une chienlit dans « "OGM cachés" : arrêtez, gouvernement et HCB ! Continuez, M. Bertheau ! Persévérez, M. Foucart ! » Décidément, ça ne s'arrange pas... Mais poursuivons :
« D’un côté, ceux qui déplorent le développement d’"OGM cachés", employant un discours alarmiste sur les dangers de ces produits. »
Force est à nouveau de constater que la qualification du discours n'est pas de nature à promouvoir un débat – encore moins un débat ouvert. Émettre un jugement de valeur sur la nature et la qualité des arguments déployés par des membres du CEES n'est pas dans les prérogatives de la présidence du HCB. Il y a là, à notre sens, une faute grave.
De plus, on est en droit de contester la nature prétendument « alarmiste » d'un discours qui ne fait pas état d'un danger imminent et imparable, menant à une catastrophe, mais plutôt de risques non identifiés, éventuels, et d'incertitudes.
Mais la suite n'est pas meilleure :
« De l’autre, un discours relevant largement de l’économie de la promesse, soutenant que les NPBT seraient indispensables à une agriculture qui doit faire face à des défis démographiques et environnementaux sans précédent, l’"édition des gènes" se situant dans un continuum en termes de risques. »
C'est encore une interprétation personnelle, outrancière et, pour tout dire, infondée. Voici le résumé de la position de Coop de France, la FNSEA, le GNIS, les JA et l'UFS :
« Les biotechnologies se développent largement dans de nombreux secteurs de l’économie française, européenne et mondiale, de la santé à l’industrie et la protection de l’environnement. Les agriculteurs doivent aussi pouvoir bénéficier des fruits d’une recherche adaptée aux contextes de leurs exploitations, ainsi que le souligne le récent rapport Agriculture et Innovation 2025, qui rappelle que l’agriculture doit relever de nombreux défis.
Les Nouvelles Techniques d’Amélioration des Plantes (NBT, en anglais) se sont développées depuis la fin des années 90 sur la base des techniques préexistantes. Elles constituent des outils complémentaires à ceux qui existent historiquement dans les programmes d’amélioration des plantes. Cependant, les innovations et améliorations ne peuvent être diffusées que si les coûts réglementaires sont acceptables au regard de la taille des marchés ciblés. Dans le processus d’évaluation et les approches réglementaires de ces innovations, nous considérons que l’approche scientifique devrait être privilégiée. Aussi, nous soulignons que les principes à la base d’une classification des nouvelles techniques doivent s’appuyer sur les domaines d’exclusion déjà prévus par le législateur dans la directive 2001/18/CE :
1. Lorsque les produits pourraient être obtenus par croisements sexués ;
2. Lorsque les produits ont été ou pourraient être obtenus par mutagénèse ;
3. Lorsqu’il n’y a pas d’introduction de matériel héréditaire exogène dans la descendance des organismes obtenus.
Compte tenu des enjeux considérables à long terme pour l’agriculture et l’alimentation et plus largement pour la santé et l’environnement, les décisions qui seront prises prochainement sur l’usage de la réglementation pour l’encadrement des technologies en amélioration des plantes doivent s’appuyer, comme pour la médecine, sur une analyse rigoureuse fondée sur la science et proportionnée aux risques réels. »
C'est là une opinion nuancée qui n'est pas sans rappeler celle de M. Urs Niggli qui s'est exprimé « contre une diabolisation générale du nouveau génie génétique ». On peut y adhérer – en fait, juridiquement, on doit, sauf à faire évoluer la législation ; mais on peut aussi estimer que l'approche canadienne – qui est d'adapter l'évaluation non pas à la méthode d'obtention mais à la nature et la nouveauté du produit – est plus rationnelle et plus féconde.
On relèvera ici encore la synthèse qui a été faite dans le document du HCB au statut ambigu, faisant la synthèse des contributions et débats – au chapitre « Enjeux liés aux NPBT », et le sous-chapitre « Opportunités potentielles des NPBT » :
« La contribution collective proposée par CdF, FNSEA, GNIS, JA, UFS (Annexe 1) insiste sur les enjeux économiques et agronomiques des biotechnologies (notamment au regard d’une durabilité accrue et d’un moindre recours aux intrants). Elle met l’accent, tout comme le CS, sur la précision des NPBT, qui permettent d’opérer des modifications limitées et ciblées du génome. Elle note que le recours aux NPBT permet de rendre plus rapide le processus la sélection de nouvelles variétés. Cela devrait à terme profiter tant aux agriculteurs qu’aux consommateurs et aux entreprises semencières françaises et européennes, aujourd’hui pénalisées par les exigences règlementaires qui, en Europe, pèsent sur les OGM. Cette contribution souligne par ailleurs que les NPBT peuvent contribuer à optimiser ou améliorer les pratiques agronomiques actuelles et à développer de nouveaux produits et débouchés. La contribution note enfin que le recours à certaines NPBT serait dès aujourd’hui possible et abordable pour des entreprises françaises de taille intermédiaire (qui constituent une part importante des entreprises françaises de sélection) à la condition que les coûts réglementaires associés à la mise sur le marché des variétés issues de ces techniques ne soit pas prohibitifs au regard de la taille des marchés ciblés. En l’état actuel, les obtenteurs d’événements transgéniques ne commercialisent en effet que des traits susceptibles d’être vendus à de très larges échelles, condition sine qua non pour rentabiliser l’investissement dans la procédure réglementaire européenne. »
« ...un discours relevant largement de l’économie de la promesse... » ? Non seulement nous n'avons pas lu ça, mais en plus, Mme Noiville se fait juge, de manière frivole et désinvolte, des enjeux et des opportunités potentielles des nouvelles méthodes génétiques.
Une conclusion alarmante s'impose : le débat est pollué par la présidence du HCB !
Selon l'article L. 531-4 du Code de l'Environnement,
« L'avis du Haut Conseil des biotechnologies, qui est composé de l'avis du comité scientifique et des recommandations du comité économique, éthique et social, est remis à l'autorité administrative par son président. Cet avis comporte, outre une évaluation des risques, une évaluation des bénéfices. »
On est bien en peine de trouver le mot « bénéfices » dans la descriptions des missions sur ce site du HCB dont l'ergonomie est détestable.
Idem pour la « plaquette de présentation » du HCB, alors que le mot « risques » y apparaît quatre fois.
Ne faudrait-il pas commencer par réviser les discours internes à l'administration du HCB pour promouvoir un « débat ouvert » ?
Cet article prévoit aussi :
« Le président du Haut Conseil et les présidents des comités sont nommés par décret. Les autres membres des comités sont nommés par arrêté du ministre chargé de l'environnement. »
Cette main-mise de l'environnement est-elle de nature à promouvoir un « débat ouvert » ?
Cet article se poursuit :
« Le président est un scientifique choisi en fonction de ses compétences et de la qualité de ses publications. Il est membre de droit des deux comités. »
Qu'est-ce qu'un scientifique dans l'esprit de cet article de loi ?