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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Discorde à l'EPA sur le glyphosate ? Discordance au Monde

17 Mars 2017 , Rédigé par Seppi Publié dans #critique de l'information, #Activisme, #Glyphosate (Roundup)

Discorde à l'EPA sur le glyphosate ? Discordance au Monde

 

 

Les journalistes du Monde sont d'une remarquable objectivité... Où sont les preuves de cette affirmation grotesque ? Elle est bien sûr relayée, donc endossée, par M. Stéphane Foucart...

 

Discorde à l'EPA sur le glyphosate ? Une fake news !

 

Seul parmi les médias et dans le silence de la blogosphère (c'est un signe !), le Monde nous embobine avec une histoire de conflit au sein de l'EPA vieille de quinze mois. Si tant est qu'il y ait eu une « discorde » puisqu'on ne sait pas grand chose de l'unique note interne qui sert de fondement au récit.

 

Ce n'est qu'à la toute fin de l'article que l'on apprend que c'est du passé et qu'entre-temps, les deux services ont collaboré pour produire conjointement un document de discussion.

 

Mais tout est bon dans la fabrique du doute sur le consensus scientifique sur le glyphosate.

 

 

Comment s'assurer de ne pas être importuné par les faits ?

 

 

Quarante ans d'expérience et un consensus guère troublé de sécurité du glyphosate

 

L'expérience nous a appris depuis près de quarante ans. La science – la vraie, pas les bidouillages en vogue chez des militants en blouse blanchea parlé tout au long de cette période. Les agences d'évaluation et de régulation et, le cas échéant, les décideurs politiques ont entériné les constatations scientifiques lors de l'évaluation initiale et des réévaluations successives.

 

Jusqu'à ce que le glyphosate deviennent un enjeu politique pour des activistes ; un enjeu économique pour le lobby, non pas de l'agriculture biologique dans son ensemble, mais d'une fraction qui s'agite pour promouvoir ses intérêts sous-catégoriels (regardez qui finance Générations Futures...), ainsi que de remèdes de charlatans (regardez qui a financé le scandaleux Tribunal Monsanto...) ; un marronnier quasi sempervirent pour certains médias ; une « patate chaude » pour des politiques pleutres, préoccupés par leur propre carrière politique et incapables d'affronter une opinion « publique » manipulée avec un discours factuel ; ou au contraire un formidable outil de marketing politique démagogique mis au service de leur carrière ou, plus prosaïquement, de leur vanité.

 

 

Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose

 

Que faire alors quand la science déplaît, qu'elle n'est pas conforme à des options socio-politiques, plus particulièrement à la ligne éditoriale d'un journal ?

 

On tente de dénigrer, de décrédibiliser le consensus scientifique – perturbé par le seul Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) qui a classé le glyphosate « probablement cancérogène pour l'homme » dans des conditions, pour le moins, contestables et contestées. En l'absence d'arguments factuels, pertinents, on s'attaque au messager. Et on crée le doute, fût-ce au prix de demi-vérités et de vrais mensonges.

 

C'est ce à quoi on assiste dans le Monde, notamment avec l'auteur de « La fabrique du mensonge : comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger ». On attend du reste une suite sur notre mise en danger par les médias, avec moult citations de sa propre production.

 

 

Rififi à l'Agence de Protection de l'Environnement états-unienne ?

Exemple récent en date : « Glyphosate : discorde à l’Agence de protection de l’environnement américaine » (14 mars 2017 sur la toile).

 

C'est un nouvel avatar de « L’histoire qui se trame autour de Monsanto a tous les ingrédients d’un scénario à la Erin Brockovich » que nous avons examiné dans « Monsanto : quand le Monde se livre à l'assassinat médiatique du glyphosate et de son propre crédit ».

 

Quel est le ressort de la nouvelle fable ?

 

Le Monde – son journaliste militant – obtient un mémo interne de l'Agence de protection de l'environnement (EPA) états-unienne. C'est sans nul doute par le plus curieux des hasards, et c'est encore plus extraordinaire parce que ce mémo n'a pas fuité dans les médias et les réseaux sociaux états-uniens. Bien sûr, il ne faut accorder aucun crédit aux élucubrations de Riskmonger, qui prétend que les lobbyistes anti-OGM états-uniens ont envahi Bruxelles et l'Europe, avec de beaux paquets de dollars, pour promouvoir une interdiction du glyphosate qui pourra donc être exportée à leur profit à Washington (attention : c'est de l'ironie).

 

Le Monde, curieusement (enfin, pas vraiment comme nous allons le voir), est aussi le seul journal à avoir évoqué ce mémo et élaboré une thèse pourtant médiatiquement vendeuse et alléchante. Mais le Monde est un grand journal d'information et d'investigation, n'est-ce pas ? Ne vient-il pas d'écrire :

 

« Afin de mieux rendre compte des bouleversements politiques et sociétaux, la rédaction du "Monde" se tourne encore davantage vers l’investigation » ?

 

Tout en ayant créé et en promouvant Décodex, l'« outil pour vous aider à vérifier les informations qui circulent sur Internet et dénicher les rumeurs, exagérations ou déformations. »

 

 

Investiguons donc l'investigation !

En bref, dans une note interne – nous n'en saurons guère plus – « les membres du département scientifique » de l’ORD reprochent « [à] mots à peine couverts » aux scientifiques de l’OPP « de ne pas respecter les conventions internationales dans l’analyse de la cancérogénicité du glyphosate ».

 

L'ORD, c'est l'Office of Research and Development ; l'OPP, l'Office of Pesticide Programs.

 

Cela donne donc en chapô :

 

« Le caractère cancérogène du glyphosate, le pesticide le plus utilisé au monde, divise profondément les experts fédéraux américains. L’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) doit rendre son avis mercredi. »

 

Une première phrase pour affirmer un état de fait (prétendument) actuel (et évidemment factuel, on n'en attend pas moins du Monde...). Une deuxième phrase pour introduire le doute, par association, sur l'avis de l'ECHA qui était alors attendu, mais dont la teneur était largement prévisible.

 

Dans le détail, l'ORD ferait grief à l'OPP d'avoir adopté une approche « oui/non » au lieu des cinq niveaux réglementaires : cancérogène ; probablement cancérogène ; présentant des signes suggestifs de cancerogénicité ; insuffisamment documenté pour l’analyse de cancérogénicité ; improbablement cancérogène. Et le principal point de discorde serait les méthodes statistiques employées. M. Foucart écrit :

 

« Selon la "moulinette" statistique qui traite les résultats de ces études sur l’animal, les conclusions peuvent être différentes : soit les cancers qui surviennent peuvent être le fait du hasard, soit ils ne peuvent être expliqués que par l’exposition à la substance testée. »

 

C'est là un problème de « pêche aux alphas », copieusement expliqué sur Forumphyto.

 

Et c'est une énormité scientifique : une corrélation, même statistiquement significative, n'est pas encore une relation de cause à effet.

 

M. Foucart écrit encore :

 

« Là encore, les scientifiques de l’ORD formulent une critique forte sur le travail de leurs collègues de l’OPP : ces derniers prétendent ne pas trouver d’effets significatifs après utilisation de certains tests statistiques, mais "sans préciser quels tests ils ont utilisés". »

 

C'est là, effectivement, une « critique forte » (ironie)...

 

Mais passons à la chute :

 

« Restent plusieurs questions : comment le mémo de l’ORD, daté du 14 décembre 2015, sera-t-il pris en compte dans l’avis définitif de l’EPA ? »

 

 

Une histoire ancienne

 

Il aura donc fallu attendre la fin de l'article pour apprendre qu'on nous a entretenus d'une note interne aux contours mystérieux, non exploitée par l'industrie de la contestation états-unienne, vieille de quinze mois !

 

Et, à aucun endroit avant le dernier paragraphe nous aura-t-on appris que c'est une histoire ancienne.

 

Entre-temps, le vendredi 29 avril 2016, l'EPA a mis en ligne une série de documents, dont un « rapport final » – daté du 1er octobre 2015 (donc antérieur à la « note interne ») de la Commission d'Examen de l'Évaluation du Cancer (Cancer Assessment Review CommitteeCARC). Comme nous l'avons relaté dans « Glyphosate : il se passe des choses extraordinaires aux USA, et tout est normal en France », les documents ont été retirés du site le lundi 2 mai 2016.

 

Relevons ici qu'on a du mal à voir dans ce document des éléments à l'appui des allégations prêtées à l'ORD.

 

M. Foucart s'est interrogé au sujet du retrait intempestif :

 

« Pourquoi l’avis préliminaire de l’OPP a-t-il été publié sur le site de l’agence, avant d’en être retiré quelques heures plus tard ? »

 

Bonne question, mais que l'auteur n'a pas creusée.

 

Comme nous l'avons relaté dans « Glyphosate, CIRC et EPA : ça barde aux USA », des questions sont posées par des membres du Congrès – en particulier celle du manque de diligence pour un travail, commencé en 2009, qui aurait dû se terminer en 2015. Ce n'est donc pas pour débusquer une quelconque connivence avec Monsanto suggérée voire affirmée dans le dernier article dans le Monde... du travail de décodage en perspective !).

 

 

Une « discorde » évaporée (si tant est qu'il y en ait eu une)

 

Continuons :

 

« L’EPA assure qu’un document de discussion conjointement rédigé par les deux départements a été transmis en septembre 2016 à un troisième groupe d’experts fédéral, dont l’opinion devrait être publiée le 16 mars. Cette nouvelle opinion sera à son tour révisée avant publication de l’avis officiel final de l’EPA. »

 

Nous sommes formidablement ravi de voir : « document de discussion conjointement rédigé... » Mais pourquoi : « L’EPA assure... » ? La fabrique du doute... Peu reluisant !

 

Car ce document est accessible en quelques clics ; c'est « Glyphosate Issue Paper: Evaluation of Carcinogenic Potential », de l'OPP et du 12 septembre 2016. Conclusion proposée (traduction aussi littérale et barbare que possible) :

 

« En ce qui concerne les descripteurs de cancers, les données disponibles et le poids de la preuve n'étayent clairement pas les descripteurs "cancérogène pour l'homme", "susceptible d'être cancérogène pour l'homme" ou "informations insuffisantes pour évaluer le potentiel cancérogène". Pour le descripteur "signes suggestifs de potentiel cancérogène", on pourrait regarder les considérations isolément ; cependant, à la suite d'une évaluation approfondie, intégrative, du poids de la preuve des données disponibles, la base de données n'étayerait pas ce descripteur de cancer. Le soutien le plus important va à "improbablement cancérogène pour l'homme" à des doses pertinentes pour l'évaluation des risques pour la santé humaine.* »

 

Les lecteurs jugeront notamment, à la lecture de ce paragraphe, voire du document entier (« conjointement rédigé... ») si, comme cela lui a été (prétendument) reproché par l'ORD, l'OPP a utilisé une approche binaire.

 

 

Une conclusion proposée qui rejoint (à nouveau) le consensus

En tout cas, la conclusion est sans appel : seul dans la médiasphère, le Monde nous a « vendu » une «discorde à l’Agence de protection de l’environnement américaine » sur la base d'une note interne dont aucun détail n'est connu, sauf la date (14 décembre 2015), laquelle indique qu'il s'agit d'une histoire ancienne (pour autant que les allégations soient conformes à la réalité et à l'appréciation « discorde ») manifestement dépassée par les événements.

 

Un nouvel exemple de discordance entre faits et interprétation/instrumentalisation.

 

Allô non, mais allô quoi ! Décodex...

 

______________

 

* « For cancer descriptors, the available data and weight-of-evidence clearly do not support the descriptors “carcinogenic to humans”, “likely to be carcinogenic to humans”, or “inadequate information to assess carcinogenic potential”. For the “suggestive evidence of carcinogenic potential” descriptor, considerations could be looked at in isolation; however, following a thorough integrative weight-of-evidence evaluation of the available data, the database would not support this cancer descriptor. The strongest support is for “not likely to be carcinogenic to humans” at doses relevant to human health risk assessment. »

 

 

 

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V
C'est un peu l'intuition qu'avait eue Alain Bauer quand il avait fait distribuer L'Insurrection qui Vient dans les services d’État ad hoc après avoir découvert le truc en librairie (en 2007 je crois, avant l'affaire de Tarnac donc). J'y crois pas trop perso même si effectivement ça peut jouer comme comme catalyseur dans un phénomène à la Trump avec effet de balancier pas vraiment sympa...
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S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour le commentaire<br /> <br /> Le livre est disponible en PDF ici :<br /> <br /> http://liberterre.fr/liberterres/z-pdf-liberterres/Insurrection.pdf<br />
B
À noter toutefois que Stéphane Foucart m'a débloqué ce matin vers 9h.<br /> Les raisons sont inconnues. Si certains pourront envisager qu'il s'agirait d'une réaction à ma gueulante ou à des critiques quant à ce blocage, soulignons que rien ne permet de confirmer une telle hypothèse. Au contraire, il peut simplement s'agir de me laisser voir des explications rédigées en rapport à nos derniers échanges. (C'est d'ailleurs ce que les derniers tweets précédent le déblocage laissent envisager.)<br /> <br /> En revanche, un certain nombre de critiques de Stéphane Foucart restent bloqués sous le prétexte qu'ils seraient des trolls. C'est par exemple le cas de @saprinti (bloqué en même temps que moi), et d'autres tweetos bloqués il y a bien plus longtemps.
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S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour la mise au point.<br /> <br /> Je trouve curieux qu'un « journaliste » ait un compte Twitter pour dialoguer avec ses lecteurs et bloque dans le même temps certains contributeurs.<br />
A
Sur la montée en puissance des délires anti-science, anti-ogm, anti-vaccin, je me demand si cet article ne pourrait pas vous inspirer.<br /> Le point clé est le triangle d'actualisation qui détermine le lancement d'une guerre civile.<br /> <br /> Un groupe en sécession (discutab, mais la faune NDDL o celle qu'on retrouve dans certains cafés associatifs m'interpelle, dans ses costumes et son rejet du système, que le système leur a bien rendu avec le chomage malgré l'éducation)<br /> Une idéologie messianique (importance, fin du monde, le climat inspirant)<br /> L'appel à la violence comme seule solution... Là aussi NDDL, mais aussi les faucheurs, sont inquiétants... je pense aussi aux saboteurs millénariste du TGV<br /> <br /> On en n'est pas encore à la guerre civile, mais on s'en rapproche...<br /> Vous pourriez certainement faire un article sur le risque de radicalisation de smouvements anti-science anti-démocratie écologistes.
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S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour le commentaire et l'invitation à réfléchir à cette évolution.<br /> <br /> Mais le véritable problème n'est-il pas dans la tolérance dont nous faisons preuve à l'égard de ces groupes et, surtout, de ceux –médias et réseaux sociaux – qui en sont les alliés objectifs ?<br />
V
Si un jour le CIRC parvient à faire interdire le glypho, juré, je désherbe mes vignes au jambon fumé, à la viande rouge et au salami.
A
Ci-joint l'article <br /> http://www.nonfiction.fr/article-8780-entretien___la_guerre_civile_naura_pas_lieu__avec_david_djaiz.htm<br /> <br /> Avec La guerre civile n’aura pas lieu (Cerf, 2017), David Djaïz, haut fonctionnaire, essayiste et enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris, nous propose un éclairage des troubles qui agitent la société française à la lumière de la notion de guerre civile. Une plongée historique et philosophique passionnante qui nous permet de mieux penser ces phénomènes de violence inédits.