Agriculture bashing en Allemagne : une ministre de l'environnement pète un cable !
Le dénigrement, voire la diffamation collective, des agriculteurs qui nous nourrissent est une constante dans certains milieux « écologistes », y compris dans les milieux gouvernementaux et institutionnels.
En Allemagne, l'« agriculture bashing » vient de battre un record.
Nous sommes contre un mobbing étatique de la profession agricole !
Vous vous souvenez ? En février 2011, à la veille du Salon de l'Agriculture, France Nature Environnement avait lancé une campagne d'affichage portant, prétendument,
« ...sur trois enjeux majeurs que sont les importations d'OGM, les algues vertes et les pesticides. Notre objectif ? Placer l'environnement au cœur du débat agricole et proposer des solutions pour une agriculture durable et plus respectueuse de notre environnement. »
La campagne a été vite interrompue devant le tollé. Le ministre de l'agriculture de l'époque, M. Bruno Le Maire, n'avait pas mâché ses mots : cette campagne constituait selon lui un « scandale » et une « provocation à quelques jours du Salon de l'Agriculture ». Et d'ajouter :
« Depuis des années, les agricultures français ont fait le choix de l'environnement. Par nécessité : le coût croissant des engrais, les risques des pesticides sur leur santé et la nature, la pollution des nappes phréatiques. »
La RATP – les affiches devaient être apposées dans des stations de métro – avait mis le holà ? FNE avait du coup « gagné » : ils ont été censurés !
Mais le temps porte conseil : si vous cherchez les visuels de la campagne sur leur site, vous faites chou blanc. Idem pour le cri d'orfraie à la suite de la « censure ». Mais le mal a été fait, et les affiches se trouvent facilement sur la toile et continuent à être instrumentalisées.
C'est du reste comme pour la scandaleuse campagne publicitaire pour laquelle Biocoop a été condamné... le prix payé par suite de la procédure judiciaire n'est rien comparé aux bénéfices engrangés en termes de notoriété et, partant, de chiffre d'affaires.
Mais qui croirait que ce genre de gesticulation et d'« agriculture bashing » puisse avoir pour source un ministère ?
En Allemagne, la campagne électorale pour le renouvellement des 630 sièges du Bundestag (24 septembre 2017) a bien commencé. Et manifestement tous les coups – et même les coups bas – sont permis. Nous sommes en plein dans la post-démocratie...
Le Ministère Fédéral de l'Environnement, de la Protection de la Nature, de la Construction et de la Sécurité Nucléaire (BMUB) a lancé une nouvelle campagne publicitaire qui n'a rien à envier à ce qu'on a vu précédemment. Il n'était bien sûr pas question de faire ouvertement de la propagande électorale. La campagne s'inscrit donc théoriquement dans le cadre de la consultation publique de l'Union Européenne sur l'avenir de l'agriculture.
Selon le communiqué de presse du 2 février 2017, « Hendricks proclame de nouvelles "règles pour les agriculteurs" pour une agriculture ayant un avenir ».
Les affiches se veulent plaisantes, sinon amusantes, avec des aphorismes rimés. En voici trois :
Les textes ? Traduits assez librement pour rendre le sens, pas le style :
Si le porc se tient sur une patte, c'est que la porcherie est trop petite.
S'il n'y que du maïs sur de grandes étendues, il n'y a plus de traces de hamsters.
Trop d'engrais dans les champs va dans l'eau et affecte ensuite le porte-monnaie.
Si les agrotoxiques tuent les plantes, les oiseaux restent muets.
Trop d'engrais, c'est un fait, est fâcheux pour les eaux souterraines.
Sans fleurs dans les prés, les abeilles sont très mal.
Trop de vaches dans l'étable et le purin exige beaucoup d'efforts.
S'il n'y a qu'une espèce cultivée, cela devient dur pour la perdrix.
Si rien ne change, il n'y aura plus de coq chantant sur le tas de fumier.
Si le sol déborde de nitrates, cela peut être dommageable pour l'eau.
Si les agrotoxiques restent loin des champs, cela plaît à la protection des espèces.
Insistons : la traduction ne rend pas la subtilité linguistique de ces onze « bons mots » qui ressemblent davantage à des lieux communs qu'à des aphorismes et sont fondamentalement une insulte aux agriculteurs.
Le ministre de l'agriculture Christian Schmidt. Au second plan la ministre de l'environnement Barbara Hendricks.
Dans une lettre à sa collègue Hendricks (SPD), le ministre de l'agriculture Christian Schmidt (CSU) a demandé l'arrêt immédiat de la campagne et exigé des excuses pour « les dommages causés aux agricultrices et agriculteurs ». Toute une profession serait mise au pilori et exposée à la risée du public. Et d'ajouter :
« Une soit-disant "élite intellectuelle" des grandes villes s'amuse aux dépens des populations des zones rurales ».
La profession n'a pas été en reste, tout comme les milieux politiques de la droite, apparemment dans le silence des partis rouges et vert (voir ici). L'Association Allemande des Paysans a qualifié cet exercice de « déclaration de faillite intellectuelle ». Et constaté que le BMUB ne peut plus être pris au sérieux dans le débat sur l'avenir de l'agriculture et l'avenir de la politique agricole commune. Si cela pouvait être vrai, ou si, au moins, l'écologisme pouvait prendre la mesure de cette manœuvre peu reluisante...
Sur Twitter, les réponses ont aussi fusé sous la forme d'aphorismes de réponse.
Par exemple :
Mme Hendricks édicte des normes environnementales au prix de départs massifs d'agriculteurs.
Les ravageurs ont mangé le colza et le blé ? Il n'y avait pas de traitement des semences.
L'agriculteur a fermé son étable, les normes environnementales l'ont mis sur la paille.
Willi l'Agriculteur s'y est mis lui aussi. Par exemple :
Nous exigeons des ruminants sans méthane (y compris des antilopes, chameaux, bisons et élans)
Pour plus de dialogue.
Nous exigeons : les agriculteurs doivent enfin parler avec nous.
Le BMUB a évidemment dû se défendre. Mme Hendricks :
« Nous n'avons diffamé personne, nous n'avons agressé personne en particulier. »
C'est un peu court comme justification ! Exciper de l'absence de diffamation personnelle pour justifier une diffamation collective...
Pour le directeur du service de presse :
« Nous serions heureux si la campagne était comprise comme elle a été conçue : comme une incitation à un dialogue entre environnement et agriculture. »
Franchement, comme base de discussion, il y a mieux. Encore que... cette boule puante médiatique aura montré aux milieux de l'agriculture l'importance de l'enjeu médiatique.
En France, notre starlette politique nationale et son ministère nous ont épargné (pour le moment?) un tel esclandre public, mais le mur d'incompréhension auquel se heurtent les milieux économiques et sociaux qui, non seulement nous nourrissent, mais encore gèrent l'essentiel de notre environnement rural, est le même. L'ont-ils compris et sont-ils disposés à relever le défi ?
Mme Heike Müller, agricultrice et vice-présidente de l'Association des Agriculteurs du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, a écrit une remarquable lettre ouverte à la ministre Hendricks. Mais ce sera pour un autre billet.