Un calendrier de l'Avent postfactuel : (23) la spirale du silence
Schillipaeppa*
Pourquoi les allégations post-factuelles ont-elles une chance dans le débat public, pourquoi s'imposent-elles parfois ? Il y a un terme classique de la science des médias qui peut aider à expliquer ce phénomène : la spirale du silence.
En 1980, la chercheuse en communications Elisabeth Noelle-Neumann a publié « La spirale du silence – une théorie de l'opinion publique ». La théorie formulée par la fondatrice de l'Institut de démoscopie d'Allensbach a attiré l'attention internationale. Le livre a été traduit en deux douzaines de langues.
Les éléments de base peuvent être résumés comme suit :
• L'être humain en tant qu'être social s'adapte plus ou moins consciemment à une opinion majoritaire et s'y oppose rarement ;
• les gens se comportent ainsi parce qu'ils ont peur des sanctions et de l'isolement ;
• l'opinion supposée être de la majorité est principalement perçue à travers les médias ;
• l'opinion qui apparaît majoritaire dépend, entre autres, du « volume sonore » des acteurs ;
• les médias renforcent l'effet en publiant des rapports de manière répétée (« cumulative ») et cohérente (« consonante »)
• les spirales de silence se produisent principalement sur les sujets faisant l'objet de controverses.
Ceux qui sont les plus bruyants dans le discours public, qui maîtrisent le clavier de l'industrie des médias, qui livrent des informations, qui utilisent le journal ou le magazine TV pour l'audience, imposent leurs sujets et leurs interprétations.
En fond de scène : « Les faits n'importent pas. »
Légende : « Je suis désolé, Jeannie, votre réponse était juste, mais Kevin a crié sa réponse fausse en même temps que vous, donc il marque le point. »
Le principe de base de la spirale du silence est facile à décrire par le conte « Les habits neufs de l'empereur » : lorsque le souverain, nu, présente ses vêtements prétendument ostentatoires, seul un enfant ose dire la vérité. Les adultes – complètement socialisés – jouent tous le jeu – nous dirions aujourd'hui qu'ils respectent le « récit » – et ce, par crainte de conséquences négatives.
La biotechnologie végétale est certainement, à mon avis, une victime de la spirale du silence : les ONG comme Greenpeace ont, pendant des années et de manière concertée, créé un climat d'opposition à la nouvelle technologie. On a massivement utilisé des images : « décontamination » de champs, revêtus de combinaisons de protection ; dessins de personnages grimaçants ; fruits et légumes percés de seringues ayant l'air aussi artificiel que possible ; symboles de danger détournés.
L'autre bord – les scientifiques – n'ont pas l'habitude de s'investir dans les relations publiques sur leurs sujets [ma note : sont évidemment exclus de ce propos les scientifiques qui alimentent de leurs travaux les opinions « publiques » qui ont pignon sur médias]. Leurs arguments ne parviennent pas à la population. Le journaliste scientifique Johannes Kaufmann s'est vu répondre ceci à une demande d'entrevue par un chercheur en génétique renommé :
« Dois-je m'infliger ça encore une fois ? [...] Quand on a fait l'expérience de la diffamation à plusieurs reprises dans le cadre des activités officielles ? »
Donc, il est toujours possible aujourd'hui, dans notre pays de liberté, d'être réduit au silence. Même la liberté de la recherche est restreinte, et ce, par le vandalisme brutal : l'Institut Leibniz de génétique des plantes et de recherche sur les plantes cultivées (IPK) a dû déménager ses essais sur le terrain en Suisse.
Les ONG jouissaient et jouissent toujours d'un haut niveau de crédibilité auprès des journalistes, et probablement aussi de sympathie, bien qu'on ne trouve plus depuis longtemps, derrière les bureaux, des militants pur-sang mais des professionnels des relations publiques et du marketing [ma note : sauf...].
Le premier gazouillis : « Découvrez dans l'atelier de travail @correctiv.org comment les journalistes et les organisations de la société civile peuvent mieux coopérer. »
Le dernier : « Quand on posera un jour sur un site dédié à l'histoire la question de savoir comment tout cela est arrivé, la réponse sera : propagande. »
Les relations publiques de la science en sont encore à leurs débuts et il a un problème fondamental : les questionnements académiques sont souvent incompatibles avec les besoins du public. Ou, en d'autres termes, les médias et les ONG ont un objectif commun : attirer l'attention. La science n'a pas besoin d'attention ; elle doit convaincre, à savoir d'autres scientifiques, des comités de financement et éventuellement d'autres financeurs. Les règles selon lesquelles elle opère sont différentes de celles des médias de masse.
Pourtant, les scientifiques jouissent d'un degré élevé de crédibilité auprès du peuple. Quand un lauréat du prix Nobel s'exprime, il trouve parfois de l'audience en dehors des cercles de la connaissance. C'est dès lors d'autant plus triste que la presse germanophone se soit si peu intéressée à l'appel de maintenant plus de 120 lauréats du prix Nobel à ne plus bloquer le génie génétique vert. Nous somme aussi un peu responsables du fait que ceux qui crient plus fort peuvent se faire entendre.
Mais vous devez bien savoir qu'aucun des prix Nobel n'est compétent dans le domaine, non ? Nos expert(e)s sont du domaine. Notre (Greenpeace Allemagne) et docteur en agrobiologie et traite depuis des années de cette matière. Nous trouvons aussi qu'il est déloyal de trouver sur la liste des signataires quelqu'un qui est mort déjà l'année dernière. Et enfin les initiateurs de l'appel sont manifestement liés à Monsanto et à l'industrie du génie génétique. Juste pour info.
_________________
* L'auteure a fait des études de philosophie, est éditrice et a atterri il y a déjà plus de dix ans à la campagne. Sur son blog, elle (d)écrit – miracle ! La traduction peut être fidèle – ce qui la préoccupe, lorsqu'elle n'est pas en train de curer l'écurie des poneys, de chercher des gants de gardien de but, de s'occuper de quantités de denrées alimentaires ou de linge, ou encore de tenter d'arracher les mauvaises herbes plus vite qu'elles ne poussent.
Source : https://schillipaeppa.net/2016/12/23/postfaktischer-adventskalender-teil-23-die-schweigespirale/