Consumérisme toxique : 60 Millions remet une couche
Après avoir éreinté de manière totalement injustifiée le saumon « bio » dans son numéro de décembre 2016, 60 Millions de Consommateurs s'attaque ce mois-ci, avec les mêmes techniques de marketing et le même incivisme aux couches pour bébés : couverture putassière, éditorial démagogique, article anxiogène pour des résultats de tests révélant la présence de « résidus toxiques » à des doses infimes (non divulguées... et pour cause... cela aurait cassé le message, le buzz et les ventes de la revue).
Ce n'est plus de la protection du consommateur, mais du mercantilisme. Ce mercantilisme que condamne, notamment et à juste titre,... 60 Millions.
Dans « Thalassa, 60 Millions : le scandale du saumon "bio" », nous avons fustigé il y a peu l'indécence de 60 Millions de Consommateurs et sa mise en cause, voire le dénigrement, du saumon « bio ». Selon des tests sur quatre échantillons de pavés (et pas un de plus), il était/serait « contaminé » par, selon le cas, des métaux lourds, des dioxines et PCB ou des pesticides. Mais les niveaux de « contamination » – non divulgués – étaient inférieurs, voire très inférieurs aux normes, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de faire, en quelque sorte, tout un plat.
60 Millions vient de récidiver – selon la même technique – avec les couches pour bébés.
Le titre de l'article est dans le registre des slogans de manifestations : « Stop aux résidus toxiques pour les bébés ».
C'était en mars 2016... même technique (voir notre analyse ici).
60 Millions a testé douze références – sans nul doute douze couches ou, s'il en a fallu plus d'une par référence, le nombre requis issu d'un même paquet. En d'autres termes, le fait d'avoir trouvé, par exemple, du glyphosate dans la référence Carrefour Baby Éco Planet (une référence qui porte des allégations écologiques... décidément le « bio » et consorts n'est pas à la fête) ne permet en aucune manière d'incriminer – et de dénigrer – l'ensemble de la référence. Tous les lots de matières premières ne contiennent pas, en l'occurrence, du glyphosate. Mais il s'agit là d'une considération qui doit échapper aux marchands d'illusions consuméristes, fussent-ils un « établissement public à caractère industriel et commercial au service des consommateurs et de leurs associations », lequel, en raison de son statut, devrait s'appliquer les plus hautes valeurs déontologiques, et ne pas sombrer dans le mercantilisme.
Les couches ont été broyées et mixées. Cependant :
« Le cas échéant, des analyses complémentaires ont été réalisées sur les différentes parties de la couche. »
Une description de couche (source)
Cependant... cela n'est pas vraiment reflété dans les résultats. 60 Millions peut donc déployer son argumentaire même si une substance décrétée indésirable – ou plutôt intolérable – se trouve dans les couches internes de la couche.
Les testeurs ont donc trouvé : du glyphosate dans une référence ; des « autres pesticides » (du quintozène et de l'hexachlorobensène selon le texte) dans une autre référence ; des HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques) dans une référence ; des dioxines et furannes dans une référence ; et des composés organiques volatils dans neuf références sur douze.
Mais qu'on se rassure ! Ah non ! Justement pas :
« Malheureusement, les résultats de nos analyses ne sont pas rassurants. […] La majorité des couches que nous avons étudiées incorporent une ou plusieurs molécules à la toxicité suspectée ou avérée. »
Notons le mot magique, outil indispensable des marchands de peur : « suspectée ». Mais on apprend dès le paragraphe suivant que :
« Ces substances sont présentes en dessous des seuils fixés par la réglementation (quand de tels seuils existent!) et dans tous les cas à l'état de résidus. »
Que signifie « à l'état de résidus » ? Des traces...
Comme il n'y a aucune indication chiffrée, nous devons nous rabattre, par exemple, sur la polémique sur le glyphosate dans les tampons hygiéniques. Des médias avaient fait du ramdam parce que des chercheurs argentins – relayés notamment par Russia Today – avaient trouvé 17 microgrammes de glyphosate dans un kilogramme de gaze (ou 17 grammes – trois morceaux de sucre en poids – dans 1000 tonnes). Nous avions alors calculé qu'il fallait utiliser quelque chose comme une tonne de tampons par jour pour atteindre la zone de risque – elle-même issue d'un niveau de protection calculé de manière très conservatrice. Quant au HCB, il s'agit d'une molécule retirée depuis longtemps, notamment en vertu de la Convention de Stockholm sur les Polluants Organiques Persistants. Sa présence dans une référence de couche ne peut donc être que purement fortuite et vraiment à l'état de traces.
Suggestion pour un nouvel article anxiogène et vendeur : le papier toilette... Oups ! Les sièges aussi...
Les résultats n'étaient sans doute pas assez « mauvais », dans le sens de l'intérêt mercantile de la revue. Le tableau des résultats comporte une ligne « Autres molécules » incluant selon la note les solvants résiduels. Rien que des « plus »... alors on brode dans le texte :
« Concernant les diverses matières plastiques, on se demande si celles-ci ne conservent pas des traces de solvants et des procédés chimiques employés lors de leur fabrication. »
Idem pour la cellulose :
« Quant à l'origine naturelle de la cellulose ou des amidons végétaux, elle n'écarte pas les suspicions. Comment la cellulose est-elle blanchie ? Les céréales cultivées pour fabriquer les amidons ont-elles été traitées avec des pesticides ? Les réponses apportées par nos analyses ne sont pas rassurantes, car elles révèlent la présence non souhaitable de résidus. Ils sont potentiellement toxiques, même si le risque sanitaire reste à déterminer. »
Rappel : une référence sur douze avec un résidu de glyphosate ; une autre avec « autres pesticides » (dont un polluant persistant). Et toujours la technique de l'épouvantail... ici c'est en particulier l'adverbe « potentiellement ». Mais le glyphosate est aussi classé « cancérogène probable » par le CIRC ; en outre, « il peut s'avérer allergisant et irritant pour la peau et les muqueuses ». À quelles doses et dans quelles circonstances ? 60 Millions se livre manifestement à la propagande, celle qui consiste à attribuer à des traces des effets qui ne s'observent – et encore, dans des cas rares – qu'avec des doses massives en cas d'accident d'utilisation. Idem pour le quintozène et l'hexachlorobenzène, « cancérogènes possibles ».
Le comble de la culpabilisation et de l'infantilisation des parents – et de la démagogie – est peut-être atteint avec le voile en contact avec la peau (du polypropylène dans certains cas) :
« Ainsi, sans le savoir, les parents couvrent les fesses de leur bébé de plastique via les couches. Il ne viendrait pourtant à l'idée d'aucun parent d'habiller son bébé avec des sous-vêtements en plastique... »
« Mâles » est l'adjectif requis par la langue française, même si la signature est féminine :
« Martelons-le haut et fort, on ne devrait pas avoir à débattre de la dangerosité des substances chimiques trouvées dans des couches directement en contact avec la peau de son bébé, pendant généralement près de deux ans. Les couches n'ont pas à contenirde toxiques, un point c'est tout ! Au diable les traces, pour nous c'est tolérance zéro... »
C'est le talibanisme du consumérisme.
De nombreux médias se sont engouffrés dans la brèche. Sans analyse, ni mise en perspective, ni prise de recul... il ne faut surtout pas se laisser distancer dans la course au scoop, même défraîchi !
Épinglons le Figaro, avec son « Des substances toxiques détectées dans (presque toutes) les couches bébé ». Écrire pour la rubrique « conso » ne devrait pourtant pas empêcher une analyse critique des sujets traités. Le Figaro nous gratifie d'ordinaire d'un meilleur jugement éditorial.
Quant au Monde, son article, « Des résidus de substances toxiques présents dans la majorité des couches-culottes », est « avec AFP ». C'est, au fond, service minimum.
"J'ai saisi..." L'art compulsif de tirer la couverture à soi...
Mais le pire a sans conteste été atteint par les ministres de l'environnement, etc., et des affaires sociales et de la santé, et la secrétaire d'État à, notamment, la consommation qui, sans attendre plus de précision, ont saisi l'ANSES, ainsi que la Commission européenne.
(Source)
Et, bien sûr, c'est Mme Ségolène Royal qui se met en avant, avec des propos affligeants...
Sur BFMTV :
« ...D'abord je trouve que c'est intolérable qu'il faille toujours réglementer pour que les industriels fassent attention à ce qu'ils font font... J'ai réglementé l'interdiction des perturbateurs endocriniens... dans les biberons, dans les jouets... Jamais je n’aurais pu imaginer qu'en plus, dans les couches – qui sont au contact directement de la peau des enfants et des nourrissons toute la journée – il puisse y avoir des substances toxiques...J’ai donné immédiatement instruction à mes services (pour) l’interdiction et l’obligation d’étiquetage..."
On peut être surpris d'apprendre que la composition des couches pour bébés est de la compétence du ministère de l'environnement, etc. Mais bien pire est l'accusation portée, de manière générale et sans nuance, contre l'industrie. C'est intolérable.